C'est l'Insee qui le dit : les prix à la consommation ont grimpé de près de 3% en 2021 ! 2,8%, plus exactement, à fin novembre. Faut-il réclamer une augmentation de salaire suivant a minima cette inflation ? Conseils et informations précieuses pour affûter votre argumentaire (ou pour vous ramener à la réalité), en 5 questions, alors que s'ouvre dans nombre d'entreprises la saison des entretiens annuels.

1 - De combien les salaires vont-ils augmenter en 2022 ?

D'un extrême à l'autre, crise oblige. Début 2021, pour de nombreux salariés, c'était la soupe à la grimace : le budget alloué par les entreprises n'était que de 1%, « du jamais-vu depuis la dernière crise mondiale de 2008 », illustrait alors Franck Chéron, associé du cabinet Deloitte et spécialiste en ressources humaines. Après les incertitudes économiques liées à la pandémie, place à la croissance, qui rebondit suite au tourbillon de 2020 (+6,7% attendus en 2021 en France). Les salaires vont remonter, en reprenant le rythme de 2018-2020 : « Nous sommes sur 2% en médiane avec des pics à 2,5% d'augmentation médiane sur certains secteurs tels que l'industrie et la chimie », explique Franck Chéron. Précision d'importance : le budget prévisionnel médian de 2% pour les revalorisations salariales s'entend à compétence et tâches constantes, donc « hors ancienneté et promotion ». En prenant en compte les promotions et l'ancienneté, ce budget passe à 2,3%.

Ce cabinet est loin d'être le seul à pronostiquer un net rebond des augmentations... L'étude annuelle de People Base CBM table sur 2,36% de hausse moyenne pour faire face à « la pénurie de main d'œuvre », aux « difficultés de recrutement » et pour répondre aux attentes des salariés après une « période compliquée ».

D'ailleurs les patrons ont compris le message. Fin octobre, le PDG du site de vente Veepee (5 500 employés), Jacques-Antoine Granjon, annonçait la couleur sur France Inter : « Les négociations des salaires en janvier seront bien plus tendues qu'en janvier [dernier]. Chez Veepee, on tourne autour de 2% à 3% d'augmentation de salaire. » La Confédération des PME annonce elle cette semaine que plus d'un tiers des patrons de PME ont déjà décidé d'augmenter les salaires dans leur entreprise en 2022. « Il y a, je pense, beaucoup d'entreprises qui augmenteront les salaires, parce que, d'abord, les salaires en 2020 et 2021 ont été peu augmentés, parce qu'il y a de l'inflation, et parce qu'on a du mal à recruter », déclarait mi-novembre le président du Medef Geoffroy Roux de Bézieux sur RTL, confirmant ses prévisions de l'été.

« Les premières négociations annuelles obligatoires ont néanmoins plutôt débouché sur des augmentations de la masse salariale en ligne avec l'inflation », relève enfin Philippe Askenazy, économiste du travail au CNRS, à Ouest-France. Ce dernier met toutefois en garde les salariés, pour cause de « risque de remontée du chômage au second semestre 2022 » : « Le petit avantage de négociation qu'ont les salariés aujourd'hui risque donc de s'évanouir en 2022. »

2 - Quels sont les secteurs où les salaires grimpent le plus ?

Pas la fonction publique, où le point d'indice restera gelé en 2022 comme l'a annoncé le 9 décembre la ministre Amélie de Montchalin. En revanche, dans le secteur privé, la tendance sera très majoritairement à l'augmentation. A la différence de 2020 ou 2021, quand les hausses ne concernaient qu'un salarié sur deux, cette fois « environ 80% des salariés seront augmentés », selon Deloitte, « a minima ». Malgré la crise.

« Ce qui change en cette fin d'année en vue de l'année 2022, c'est le rattrapage des entreprises et secteurs qui distribuaient moins en augmentation annuelle dernièrement », ajoute Franck Chéron, avant de lister les secteurs où s'anticipent les plus nettes augmentations salariales : l'industrie, la chimie mais aussi « la santé, la consommation, tout ce qui est “tech”, la distribution, les services financiers... » L'expert en rémunération de Deloitte nuance : « Cela reste une moyenne globale. Les moins-disants sont le service public et l'ensemble du secteur des services, la restauration collective, etc. »

Du côté du syndicat CFDT, le secrétaire national Luc Mathieu appelle de ses vœux une « attention particulière » pour les « travailleurs de la 2ème ligne » de la crise sanitaire (personnels de santé, aides à domicile, commerce de détail, agents de nettoyage, etc.). Des professions où la CFDT constate un « écrasement extrêmement important de l'échelle des rémunérations », au Smic ou un peu au-dessus du Smic.

3 - Faut-il réclamer une augmentation couvrant au moins les 2,8% d'inflation ?

Indexer les salaires sur l'inflation ? « C'est interdit ! » coupe Luc Mathieu, de la CFDT, avant de préciser aussitôt : « Mais évidemment que c'est un repère ! » C'est en revanche un critère de revalorisation automatique du Smic : le salaire minimum a ainsi augmenté mécaniquement pour la 1ère fois depuis 2011, pour cause d'inflation, en octobre 2021 : +2,2%, portant le Smic brut à 1 589,47 euros, soit 1 258 euros nets. Une hausse qui devrait être complétée par une seconde augmentation automatique, de 0,5% ou 0,6% au 1er janvier 2022, toujours pour cause d'inflation. Bref, les salaires ne sont certes pas indexés sur l'inflation mais elle les influence grandement. Mécaniquement, les salariés proches du Smic apprécieront de suivre la hausse du salaire minimum...

A la vue de l'inflation et de la hausse du Smic, devez-vous réclamer une hausse minimale de 2%, pour compenser le coût de la vie ? « Oui c'est entendable vue l'inflation, répond Franck Chéron. Cela relance le sujet. Avec le risque que, du point de vue du salarié, une petite hausse soit uniquement vue comme une compensation de l'inflation. » Les salariés peuvent-ils ainsi demander 4% ou 5% en expliquant que cela reste un pourcentage limité, au regard de l'inflation ? « Oui, cela peut être un argument », répond Luc Mathieu, de la CFDT, qui nuance toutefois : « Selon l'évolution professionnelle, par exemple si on peut montrer que l'on a été plus efficace. »

Simple rappel : à en croire le récent sondage d'OpinionWay pour Altaÿs, environ un salarié sur deux ne compte pas demander d'augmentation. Et le premier motif d'absence de réclamation est que « vous n'osez pas ». Oser, c'est déjà se donner la chance d'obtenir quelque chose.

4 - Comment savoir combien vous « valez » réellement ?

Un pourcentage d'augmentation, c'est joli, mais cela ne correspond à rien en euros sonnants et trébuchants ! Existe-t-il une recette miracle pour connaître le salaire que vous méritez ? A part les simulateurs fournis par le réseau Linkedin ou par les cabinets de recrutement (Robert Half, Robert Walters, etc.) ? Désolé... « Savoir combien l'on vaut, c'est la question à un million ! » reconnaît Jérôme Blanc, senior manager au cabinet de recrutement Robert Half. Il invite en premier lieu à consulter les guides de salaires listant les pratiques par secteurs. Puis « il faut surtout faire une analyse individuelle ». Jérôme Blanc cite « trois éléments clés : la rémunération, la charge de travail et l'équilibre avec la vie personnelle ». Mais l'expert de Robert Half estime que « la meilleure manière de savoir combien l'on vaut » reste celle de l'offre et de la demande, en répondant à l'une de ces deux questions : « à combien est-on chassé ? » ou « à combien sont les offres pour des postes équivalents ? »

Le syndicaliste CFDT Luc Mathieu invite lui à se tourner vers les délégués syndicaux de l'entreprise, qui disposent d'éléments de comparaison, ou à se tourner vers les représentants dans les branches professionnelles pour les plus petites entreprises : « Il faut se positionner par rapport au minima de la branche et par rapport à la réalité dans l'entreprise. »

Salaire brut : comment savoir ce que ça fait en net

5 - Changer de job, ça paie ?

Partir pour être mieux payer ? Un argument parfois brandi comme une menace pour le ou la salariée qui veut obtenir plus. Mais qui peut aussi se retourner contre ce ou cette salariée, si l'employeur l'encourage à sauter le pas... Pourtant, côté statistique et en s'appuyant sur l'expérience américaine, l'économiste Denis Ferrand de Rexecode juge la méthode payante.

Attention à ne pas se griller les ailes, met en garde Franck Chéron : « Cela fonctionne sur les premières années de travail. Mais vous êtes vite caricaturé si vous faites cela trop souvent. Oui c'est un accélérateur sur les 10 premières années de carrière, peut-être moins ensuite. Il y a un phénomène de rattrapage par la suite et cela peut avoir un effet plafond de verre pour ceux qui ont obtenu beaucoup rapidement. »

En cas de négociation décevante, ce dernier insiste sur d'autres aspects potentiellement négociables à moindres frais pour l'employeur : « Le télétravail, le transport, les horaires, les tickets resto ou les congés, ce n'est pas à négliger : la négociation annuelle de rémunération vous permet de vous projeter à un 1 an, alors que les conditions de travail s'entendent sur 3, 4 ou 5 ans... »

Salaires du privé : chiffres clés de l'Insee

  • 1 319 € : salaire net des 10% des salariés gagnant le moins
  • 1 940 € : salaire net médian (50% des salariés gagnent plus, 50% gagnent moins)
  • 2 424 € : salaire net moyen, à temps plein, en 2019
  • 3 844 € : salaire net des 10% des salariés gagnant le plus

Outil interactif : Combien de salariés gagnent plus ou moins que vous ?