Depuis quelques jours, le prélèvement à la source est inscrit dans le code général des impôts, avec la promulgation du budget 2017. Pourtant, il subsiste des doutes sur le fait que la mesure survive à la présidentielle, et la réforme génère de nombreuses inquiétudes. Dans ce contexte, Bercy a lancé une mission séduction.

« Certains disent qu’ils ne le mettront pas en œuvre. C’est leur responsabilité ! » Ce vendredi 9 décembre 2016, le secrétaire d’Etat au Budget Christian Eckert assure le SAV du prélèvement à la source, qui doit s’appliquer à partir du 1er janvier 2018. Une table ronde avec une vingtaine de contribuables est organisée à la Direction régionale des Finances publiques de Rennes. « Des dizaines de millions d’euros ont été investis par des éditeurs de logiciels de paie, par l’administration dans des plans de communication… », rappelle-t-il plus tard. Un nouveau tacle, indirect, à François Fillon, qui a promis de revenir sur le prélèvement à la source s’il était élu. Ce risque de remise en cause, Christian Eckert a bien tenté de l’écarter lors de la table ronde, mais la question revient inlassablement sur le tapis.

Face à lui : des étudiants, des salariés, des exploitants agricoles, un chef d’entreprise, un banquier, un expert-comptable, un représentant de l’Union départementale des associations familiales (UDAF), etc. Mission de « M. le ministre », comme l’appellent les intervenants : démontrer que le prélèvement à la source n’est pas une réforme complexe, et qu’elle ne casse pas l’actuelle progressivité de l’impôt sur le revenu. Un exercice de pédagogie auprès d’une sélection de contribuables triés sur le volet, doublé d’un exercice de communication puisque la rencontre est relayée par les médias régionaux. Christian Eckert s’est déjà prêté quatre fois à l’exercice cet automne, à Tours, Metz, Montpellier et donc Rennes, en attendant les dates 2017 du « Eckert Tour », qui « restent à caler ».

« Vous pourrez toujours opter pour le taux neutre »

Principale inquiétude des contribuables : quelles informations seront communiquées à l’employeur ? Réponse du « ministre » : « Il saura que Mme Duchemin a un taux d’imposition de 2,35%, qu’il intégrera chaque mois sur son salaire, c’est tout ! Il ne saura pas si elle a du patrimoine ou un oncle d’Amérique ! Et vous pourrez toujours opter pour le taux neutre, un taux de prélèvement moyen qui correspond au profil de votre foyer. » Le même discours rassurant que Christian Eckert tient en vidéo sur le site que Bercy a lancé à l’automne.

Rappelant ses attaches en Moselle, et se revendiquant « bavard », Christian Eckert joue la proximité avec les intervenants. Et s’amuse même à tester leurs connaissances : « La CSG est déjà prélevée sur les salaires. Savez-vous quel est son taux ? » Brouhaha dans l’assistance. 9% ? 8% ? « Non, 7,5% », coupe le secrétaire d’Etat, ex-professeur de mathématiques.

« Moi, je suis dans la tranche à 30% »

La complication d’un système fiscal, déjà complexe, revient aussi à plusieurs reprises dans la discussion, qui s’étale sur près de 2 heures au total. Christian Eckert s’appuie alors sur son cas personnel : « Moi je suis dans la tranche à 30%, mais mon taux d’imposition est de 12,5% », explique-t-il, pour différencier taux marginal d’imposition (TMI) et taux moyen. En s’appuyant sur cette confusion entre ces deux taux, il estime que le prélèvement à la source, avec un même taux appliqué chaque mois, va plutôt simplifier la lisibilité de l’impôt sur le revenu : « Contrairement à ce que l’on pense, je crois que l’on fait œuvre de pédagogie en instaurant le prélèvement à la source ! »

Un mode de perception déjà été adopté par « 98% des pays », appuie le secrétaire d’Etat au Budget pour appuyer le « bon sens » de cette ambitieuse réforme. Une statistique fiable ? Invérifiable, mais elle illustre une réalité puisque l’OCDE précisait dès 2004 qu’une « grande majorité de pays - à l’exception de la France et de la Suisse – » ont opté pour des « mécanismes de retenue à la source » de l’impôt sur le revenu.

« Deux tiers des Français y sont favorables »

L’échange semble parfois décousu, de « l’année blanche » pour les revenus 2017 à la possibilité d’adapter les taux appliqués au sein d’un même foyer en passant par le cas particulier de la moyenne triennale des agriculteurs. A chaque fois, « M. le ministre » joue l’apaisement, relativise, prend du recul… Ou assume sa méconnaissance sur une question technique, en se tournant vers son conseiller fiscal. Surtout, il rappelle que deux tiers des Français sont favorables à cette réforme, s’appuyant ainsi sur un sondage remontant à juin 2016. Il reste tout de même des concitoyens à convaincre, et pas uniquement dans la sphère politique. Un chef d’entreprise breton cite ainsi le témoignage d’une de ses salariés, défavorable à l’impôt à la source car ce prélèvement fera, mécaniquement, « baisser le salaire mensuel ». Pour que la séduction s’opère, Bercy va devoir sortir le grand jeu.

Les Sages valident mais laissent planer un doute

La perception à la source de l’impôt sur le revenu a été validée par le Conseil constitutionnel, et donc promulguée dans le cadre de la loi de finances pour 2017. Pour une application à compter du 1er janvier 2018. Mais les Sages ont toutefois pris soin de ne valider que les quatre articles sur lesquels ils ont été saisis. En précisant : « Le Conseil constitutionnel ne s’est donc pas prononcé sur la constitutionnalité des autres dispositions que celles examinées dans sa décision qui pourront, le cas échéant, faire l’objet de questions prioritaires de constitutionnalité. » Une formulation inhabituelle, qui illustre la complexité du chantier.

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