Bonjour,
Deux thèses s'affrontent: celle qui consiste à considérer qu'une banque n'a pas droit à la moindre erreur, fût-elle insignifiante au regard des sommes en jeu, et qu'en conséquence il faut la condamner à devoir payer des dizaines de milliers d'euros à l'emprunteur, lequel de ce fait s'enrichira à bon compte (c'est l'application pure et dure et aveugle du droit) et celle qui consiste à une application plus raisonnée du droit tenant compte du préjudice subi, et du caractère nécessairement proportionné de la sanction.
Mon cher agra07,
Vous parlez de « deux thèses qui s'affrontent » pour rester fidèle à votre conviction, que je respecte, que la faute d'un prêteur ne devrait être sanctionnée qu'à hauteur du préjudice que subirait l'emprunteur.
Nous en avons déjà beaucoup parlé ici, mais
en matière de nullité, il ne s’agit pas de réparer un quelconque préjudice de l’emprunteur, mais bien d’une sanction effective et dissuasive d’
un professionnel qui ne respecte pas les règles d'ordre public protégeant le consommateur ou le non professionnel.
Or, c'est le droit européen qui va répondre aux interrogations que vous formulez :
1) Lorsque la faute se répète (nous avions déjà parlé de “la faute lucrative des banques“), la Cour de Justice de l’Union Européenne a précisé que les fautes des professionnels doivent être assorties d’une «
sanction de nature à éviter les récidives. » (
CJUE, n° C-576/11, CE contre Grand-Duché de Luxembourg, 28 novembre 2013 - n° 36).
2) Cette même Cour indique expressément, dans une décision du 9 novembre 2016, que «
si la sanction se trouvait affaiblie, voire purement et simplement annihilée, il en découlerait nécessairement que celle-ci ne présente pas un caractère véritablement dissuasif. » (
CJUE, n° C-42/15, Home Credit Slovakia a.s. contre Klára Bíróová, 9 novembre 2016 - n° 65).
3) Elle a également indiqué qu’une sanction purement symbolique ne saurait être considérée comme étant compatible avec la mise en œuvre correcte et efficace de la directive 2000/78 (
CJUE, n° C-81/12, Asociaţia Accept contre Consiliul Naţional, 25 avril 2013 - n° 64).
4) Enfin, elle a jugé le 27 mars 2014 que « l
a sanction de la déchéance des intérêts conventionnels ne saurait être considérée comme ayant un caractère véritablement dissuasif. » (
CJUE, n° C-565/12, LCL Le Crédit Lyonnais SA contre Fesih Kalhan, 27 mars 2014 - n° 52 et n° 53).
Dans les cas de nullité, on ne peut prétendre que seule pourrait trouver à s'appliquer la sanction définie par
le nouvel article L.341-1 du Code de la consommation modifié par l’ordonnance du 17 juillet 2019, tendant à harmoniser les sanctions civiles en cas de défaut ou d’erreur du TEG, lequel prévoit désormais une sanction civile unique en ce cas, laissée à la libre appréciation du juge au regard notamment du préjudice pour l’emprunteur.
Une telle possibilité ne saurait s'appliquer lorsqu'il s'agit de vérifier les conditions de validité de la clause d’intérêt, sanctionnées par la nullité du droit des contrats, et non de statuer sur des règles de forme prévues par les dispositions du Code de la consommation, sanctionnées par la peine civile de déchéance des intérêts que le juge prononce à discrétion, d'autant plus que
l'article évoqué ne s'intéresse qu'au seul TEG absent ou erroné, et nullement au taux conventionnel.
Du reste, la refonte en 2016 du droit des obligations rappelle que l
a nullité n'a rien à voir avec le régime de la responsabilité qui s'attache aux seuls préjudices, précisant que lorsqu'une condition de validité du contrat ou de l’une de ses clauses fait défaut, il s’ensuit naturellement la nullité et non la mise en responsabilité du pollicitant, laquelle n’est du reste pas exclue.
En outre, ainsi que le précise la Cour de Justice de l’Union Européenne, le caractère proportionné de la sanction ne se mesure pas à l'aune du préjudice de l'emprunteur,
mais à la gravité intrinsèque de l'irrégularité (
CJUE 9 nov. 2016, aff. C-42/15, Home Credit Slovakia, D. 2017. 328 , note F. Boucard ; RTD com. 2017. 152, obs. D. Legeais).
Et pour conclure, pour la Cour de cassation, la sanction de la substitution de l’intérêt au taux légal
ne constitue pas une atteinte disproportionnée aux droits du prêteur au respect de ses biens, qu’elle est appropriée au manquement de la banque, qu’elle ne constitue ni une violation de l’intention des parties, ni un enrichissement de l’emprunteur, et qu’elle ne vient pas réparer un quelconque préjudice (
Cour de Cassation, Chambre commerciale, 12 janvier 2016, n° 14-15203 – Publié au bulletin ; Cour de Cassation, Chambre civile 1, 14 décembre 2016, n° 15-26306 – Publié au bulletin).
Comme vous le voyez, l'Europe et notre bonne vieille Cour de cassation vous apportent les réponses appropriées. Ne cherchez pas à jouer le bon Roi Saint-Louis sous son arbre, qui s'efforçait de juger en équité... face à la nullité d'un acte, il n'y point à statuer sur le préjudice. Aucune autre porte de sortie. Mais l'entendrez-vous ?