Bonjour à tous,
Je lis vos messages régulièrement, afin de recueillir pour une étude universitaire des décisions de première instance car celles sont plus difficiles à trouver sur les bases de données juridiques.
Je me permets d'intervenir car il me semble que l'arrêt du 11 mai 2017 fait l'objet de nombreuses interprétations superfétatoires.
Un arrêt rendu par la première chambre civile le 21 janvier 1992 retenait déjà que « le taux légal est celui fixé par la loi en vigueur au moment où il est acquis et (...) il doit en conséquence subir les modifications successives que la loi lui apporte » (Civ. 1ère, 21 janv. 1992, n°90-18.120 (arrêt n°3)).
L'arrêt du 15 octobre 2014 était mal rédigé et trompeur. Il faisait seulement référence à la réitération du taux conventionnel. Si le taux n'avait pas été inexact sur l'avenant, la nullité (et la substitution au taux légal) ne touchait pas la stipulation de taux conventionnel de cet avenant. Ceci est bien logique, le taux ne peut pas être nul s'il est régulier.
L'arrêt du 11 mai 2017, reprend donc la solution de 1992, et de manière très explicite, ce qui est assez rare chez la Haute juridiction :
" lorsqu'il est substitué au taux conventionnel d'un prêt mentionnant un taux effectif global erroné, l'intérêt au taux légal court, à compter de la souscription de ce prêt, au taux alors en vigueur, et obéit aux variations auxquelles la loi le soumet".
Le taux conventionnel est remplacé par le taux légal, qui est un taux variable qui change (désormais) tous les 6 mois. Il n'y a pas lieu de distinguer entre les crédits consentis à des consommateurs mobiliers ou immobiliers et les prêts consentis à des professionnels ou encore sur les demandes qui sont faites, comme expliqué plus haut.
Par ailleurs, certains confondent les sanctions, il me semble nécessaire de synthétiser là le droit applicable :
La nullité du taux est une sanction réparatrice dont l'objet est le taux conventionnel (art. 1907 Code civil). Bien qu'il s'agisse d'une sanction réparatrice, il n'est pas exigé qu'un préjudice ou un vice du consentement soit rapporté car la nullité est "automatique" (sauf deux exceptions plus ou moins polémiques : seuil de la décimale et irrégularité favorable à l'emprunteur), automaticité que ne manquent pas de dénoncer les établissements de crédit.
S'agissant d'une sanction réparatrice, la nullité n'a rien de répressive en elle même. Le taux légal se substitue au taux conventionnel car celui a disparu par l'effet de la nullité (art. 1907 Code civil). Le taux légal est variable. La Haute juridiction applique cette substitution à la lettre. La sanction s'en trouve moins attractive, mais il ne s'agit pas d'une sanction répressive. L'emprunteur ne peut donc pas vraiment s'en plaindre. Et effectivement, selon certaines analyses économiques, tout porte à croire que l'écart entre le taux conventionnel et le taux légal va se réduire voir même s'inverser dans un sens défavorables aux emprunteurs.
La déchéance du droit aux intérêts (voir articles du Code consommation) est une sanction répressive. Il s'agit d'une peine privée qui affecte la stipulation d'intérêt (art. 1905 Code civil). Cette peine repose, comme toute les déchéances, sur le seul comportement du titulaire du droit. Il n'y a donc, probablement pas de préjudice à démontrer pour que la peine soit prononcée. Le juge dispose toutefois d'un pouvoir discrétionnaire en la matière pour les crédits immobiliers, et certains juges du fond, bien qu'ils constatent l'irrégularité ne manquent pas de ne pas prononcer la déchéance comme ils peuvent le faire;
La Cour de cassation n'a pas toujours été clair quant au concours entre les deux sanctions. Dernièrement elle semble y voir une application de la seule déchéance.
Un cumul est pourtant possible, puisque la règle "le spécial déroge au général" ne s'applique que lorsque les normes sont inconciliables.
Or, les deux sanctions n'ayant ni le même objet ni la même fonctions peuvent se cumuler.
Première étape, la nullité est automatique et peut être prononcée dans tous les cas : il reste le taux légal. Seconde étape, l'objet de la déchéance du droit aux intérêts, et donc du pouvoir discrétionnaire du juge, se réduit donc aux seuls intérêts conventionnel. Cela fonctionne donc par étage. La Cour d'appel d'AIX-EN-PROVENCE retient se raisonnement dans un arrêt rendu le 15 juin 2017 (RG n°15/14554). Un arrêt de la Cour d'appel de LYON avait aussi rendu un arrêt similaire (CA Lyon, Ch. civ. 1 A, 9 juin 2016, n°14/05683, JurisData n°2016-011651). Comme vous le savez, toutes les juridictions du fond ne partage pas ce point de vue.
Reste encore le cas de l'année lombarde, pour laquelle il peut être soutenu que seule la nullité de la stipulation de taux peut être prononcée lorsqu'on dénonce le seul calcul des intérêts. La demande reposant essentiellement sur le visa de l'article 1907, seule la nullité pourrait être prononcée. Si le T.E.G. est dénoncé, les deux sanctions peuvent être demandées. Les deux dénonciations peuvent être faites simultanément, mais les juges ne saisissent pas forcément la différence. Les prêteurs ne manquent pas d'exploiter l'amalgame entre la dénonciation du taux d'intérêt et du calcul des intérêt (dont la sanction logique et la seule nullité avec substitution au taux légal) et la dénonciation du T.E.G. (dont les sanctions sont à la fois nullité/substitution et déchéance et dont la question du cumul se pose, voir plus haut), en insistant sur le fait que le second n'est plus souvent pas erroné en raison du calcul des intérêts des jours d'avance ou de retard dans le déblocage des fonds (premières échéances "brisées", "incomplètes" etc ...) selon la méthode lombarde.
Par ailleurs, j'aimerais toucher un mot à ceux qui n'interviennent que pour citer des arrêts favorables aux emprunteurs. Je pense particulièrement à ceux qui ne citent que les arrêts d'une des chambres de la Cour d'appel de Paris, devant laquelle les emprunteurs sont en défense, et ignorent ceux de l'autre chambre, devant laquelle les emprunteurs sont en demande, et n'ont pas du tout les mêmes chances de réussite. Il convient de désillusionner ceux qui se montrent très confiant, et de ne pas conforter ceux qui n'y croient pas. Chaque juridiction, et parfois même chaque juge, a adopté une politique très différente. Il est à tout le moins certain que les taux de réussite sont meilleurs lorsque le dossier à moins de 5 ans (même si ...) et lorsqu'il y a une inexactitude de T.E.G. (de plus de 0,1 point, même si ...).
Pour conclure, les sanctions ne semblent pas tout à fait adaptées à la situation. Il faudra bien que le droit du taux d'intérêt se dote de sanctions civiles spécifiques ni trop conciliantes ni excessivement sévères avec les établissements de crédit pour que les juges considèrent ce type d'action légitime. Trouver le juste équilibre est un vrai casse-tête. Il se murmure qu'un projet de loi sera bientôt présenté, je n'en sais pas beaucoup plus si ce n'est qu'il était question de procéder par voie d'ordonnances ...
J'espère avoir éclairé certains d'entre vous,