Par contre vous dites "Il ne suffit pas que la clause fasse référence à la pratique" , pas forcement
nous avons des arrêt de cours d'appel qui stipulent que seul la clause suffit.
J'ai connaissance de ces arrêts. Le raisonnement ne semble pas convaincant. Ce n'est pas raisonnable de prononcer la sanction si les calculs sont tous réguliers. La Cour de cassation donnera certainement son avis sur la question prochainement, le mien n'engage que moi. En revanche, il s'agit d'une clause abusive, lesquelles sont réputées non écrites. Le réputé non écrit ne devrait pas affecter le taux, mais seulement le mode de calcul. Cela ne générerait vraisemblablement aucune restitution.
De plus, vous savez bien que les juridictions ont chacune leur intime conviction et adoptent leur propre jurisprudence. Il faut évidemment qu'un avocat cite des arrêts soutenant le point de vue de son client mais cela ne suffit pas toujours. Si un emprunteur agissait avec la seule stipulation, sans calcul, et que l'adversaire lui opposait un calcul régulier, voir même procédait à un remboursement de la différence entre l'année civile et l'année lombarde (déjà vu), la tâche s'avérerait périlleuse ... Le juge du fond se ficherait bien du contenu de l'arrêt rendu par la CA de Versailles en 2015 par exemple.
Bonjour cher Amojito,
Pouvez-vous nous en dire plus concernant ces analyses économiques?
Sur la base de quelles projections sommes-nous en droit de penser, de manière certaine, que le taux légal va devenir supérieur au taux conventionnel?
Quel économiste est-en capacité de prédire avec précision l'évolution des éléments constitutifs du calcul du taux légal? (à savoir le taux directeur de la Banque centrale européenne (BCE) et le taux des crédits à la consommation)
Est-ce légitime, selon vous, que la Justice Française puisse prononcer une sanction qui devienne finalement profitable à l'auteur de la faute? Doit-on le cas échéant parler de sanction?
Enfin, un taux d'intérêt légal variable est-il cohérent au regard d'un taux d'intérêt contractuel qui serait fixe? Ce type de décisions (TIL variable) ne déroge t-il pas à l'intention initiale des parties de convenir d'un taux d'intérêt fixe? N'y a t-il pas une atteinte au principe de droit selon lequel le contrat fait la loi des parties?
Merci par avance de votre réponse.
Cordialement
Concernant ces analyses, le but affiché par l'ordonnance n°2014-947 du 20 août 2014, était de réduire l'écart (voir article F. FRULEUX et J.-M. SERRE, « Réforme du taux de l’intérêt légal : nouveautés, évolutions et choix fiscaux », JCP N 2014, 1356). Le taux légal au second semestre 2017 est 0,90%. Les taux du marché sont de 1,80% pour un crédit immobilier d'une durée de 20 ans. L'écart n'est pas vertigineux (0,90%). Pour les prêts de 30 ans, l'écart est de 2,65%-0,90%= 1,75%. Mais ceux là sont, sauf erreur de ma part, un peu plus rares.
Pour le cas d'une inversion de la différence entre taux conventionnel et taux légal dans les crédits immobilier, je vous renvoie à l'article de Th. COURVALIN, (« Les sanctions de l’erreur sur le taux effectif global de l’emprunt », Dr. et Patr. 2017, n°265, janv., p. 34 et p. 36. : "
Les économistes s’accordent pour considérer que le niveau actuel du taux REFI correspond à une politique monétaire de la BCE qui est transitoire et liée à la crise : à terme, ce taux va retrouver les valeurs qu’il a connues au début des années 2000. À de tels niveaux, l’intérêt légal est compris dans une fourchette entre 2,5 et 4,5 %. (...)"), qui a réalisé des analyses statistiques sur la question.
Je ne suis pas plus compétent que ça en matière économique, et ne peut pas vous dire quel économiste peut prédire cette évolution avec précision.
C'est intéressant que vous évoquiez la loi des parties. Je vais partir de ce principe pour vous expliquer mon point de vue sur la question. C'est parce que le taux conventionnel est inexact ou calculé selon des modalités non prévues par la loi des parties qu'il est annulé. L'emprunteur n'a pas accepté un taux supérieur ou un taux calculé selon certaines modalités (année de 360 jours par exemple). C'est en tout cas le choix fait par la Cour de cassation et suggéré par l'article 1907 du C. civ. :
"L'intérêt est légal ou conventionnel. L'intérêt légal est fixé par la loi. L'intérêt conventionnel peut excéder celui de la loi, toutes les fois que la loi ne le prohibe pas.
Le taux de l'intérêt conventionnel doit être fixé par écrit."
Si le taux conventionnel, annulé, n'existe pas, il est forcément légal puisque "L'intérêt est légal ou conventionnel" et que le taux de l'intérêt conventionnel n'a vraisemblablement pas été "fixé par écrit". C'est donc la loi qui est ainsi faite : le taux légal est supplétif. Le taux légal est un taux variable,
un taux supplétif en l'absence de volonté des parties. Si le contrat indiquait que le crédit n'était pas gratuit mais oublier de mentionner le taux, le taux légal serait appliqué. La Justice Française peut donc "
prononcer une sanction qui devienne finalement profitable à l'auteur de la faute" en l'état actuel. C'est légitime, la loi le dit. Certains juges peuvent toujours protéger les intérêts des emprunteurs en considérant,
contra legem, que le taux légal est celui du jour du jugement ou d'une autre date et que celui-ci est fixe. La Cour de cassation a bien créé de toute pièce la règle de la décimale avec un texte qui parlait d'arrondis ...
Le problème dans ces actions, c'est que la Cour de cassation a instrumentalisé une sanction réparatrice (la nullité) pour en faire une peine (voir rapport annuel de la Cour de cassation de 1988, doc. fr., 1989, p. 206.). Cela trouble tout le raisonnement. L'omission ou l'inexactitude du T.E.G. aurait pu être sanctionnée différemment, mais l'emprunteur n'aurait pas pu exercer son action efficacement pour dénoncer l'irrégularité du formalisme. La nullité du contrat de prêt, qui était la sanction la plus évidente, nécessitait la preuve d'un vice du consentement (extrêmement difficile à rapporter). De plus l'emprunteur, bien qu'il récupère les intérêts, aurait été obligé de rembourser tout le capital d'un coup, ce qui dans la plupart des cas est économiquement impossible pour l'emprunteur qui n'a pas la trésorerie suffisante. Les dommages et intérêts en France exigent un préjudice. Il n'y en a pas ici (ou très peu dans le cas de l'année lombarde) : le préjudice n'est pas personnel.
Le "préjudice" est porté à la collectivité par violation des dispositions d'ordre public, et du jeu du marché. Les taux moins élevés que la concurrence c'est une démarche malhonnête.
La Cour a donc exploité l'article 1907 du Code civil et l'a combiné avec les disposition du T.E.G. : en gros si le formalisme du T.E.G. n'est pas respecté, c'est comme si le taux d'intérêt conventionnel n'était pas "fixé" (voir arrêts fondateurs de juin 1981). S'ensuit toutes les règles qui en ont découlé. C'est un sacré imbroglio au final puisque la règle de l'année lombarde a été tirée de texte relatifs au T.E.G. et non des articles relatifs aux taux d'intérêts (Chambre commerciale, 10 janv. 1995, n°91-21.141 ; Bull. civ. IV, n°8, p. 7 )
En tout état de cause, cela démontre que les textes sont inadaptés à la situation : Dans le cas de la déchéance des crédits immobiliers, les juges sont tentés de ne jamais la prononcer, et dans le cas de la substitution au taux légal, celle-ci peut s'avérer profitable au prêteur. Comme je l'expliquait dans un autre post, il n'y a pas de recette miracle pour trouver une sanction idéale à la violation des règles du formalisme des taux : le cas est très particulier : la politique jurisprudentielle utilisée jusqu'ici "petite faute/grande sanction" a pour but de protéger la collectivité des emprunteurs. Mais cela a t-il un effet sur le comportement des prêteurs ? Impossible à mesurer rigoureusement.