Le système se défend bien
Je comprends, on est culturellement programmés depuis le lycée pour le défendre, et puis on a souvent des proches qui sont concernés, quand on ne l'est d'ailleurs pas soi-même. C'est le problème qui se produit quand la collectivité prélève la moitié de la valeur ajoutée et la redistribue comme elle l'entend : tout le monde en croque, ou presque, et beaucoup ont finalement intérêt à ce que rien ne change...
Je ne sais pas si je suis programmé depuis le lycée...
Et d'ailleurs pour défendre quoi?
Je pense que vous n'avez pas bien saisi ma position.
Je ne défend pas l'hôpital public, je trouve scandaleux la manière dont on traite les personnels soignants quelque soit l'échelon. Même les chefs de service ne sont plus écoutés. Certains directeurs de petits hôpitaux, moins loins du terrain et plus conscients des problèmes ne sont pas plus écoutés, car ils ont choisi "le mauvais camp", celui des geignards jamais contents.
Il est évident qu'il faut réformer l'hôpital public, nous sommes les premiers à le dire. Mais pour ce faire, ce ne sera jamais au détriment du SOIN, ni au détriment de l'HUMAIN, ni au détriment du personnel qui fait déjà plus que le maximum.
Les 35h à l'hôpital ont été une bêtise absolue. J'étais jeune interne à l'époque, et mes chefs de même que les cadres infirmiers le disaient déjà. Ont-ils été entendus? Bien sûr que non : "ne vous inquiétez pas, pour les 35h vous aurez des postes à équivalence des 4h en moins". Oui, bien sûr.
La suite, tout le monde la connaissait déjà : le nombre postes crées fut ridicule, et quelques années plus tard on a du rendre plus de postes que ceux qu'on nous avait donnés pour les 35h. Bravo.
Aucune grande entreprise privée ne fonctionne ainsi. Aucune grande entreprise privée ne paye pas ses salariés quand ils viennent travailler le dimanche,
sans récupération possible.
Je travaille le dimanche, je ne suis pas payé. Et je n'ai aucun droit à récupération**.
Tout travail ne mérite-t-il pas salaire? Je ne suis pas à mon compte : les horaires que je fais en plus le dimanche ne m'apportent rien financièrement parlant, ce qui n'est pas le cas si j'avais ma propre entreprise et que le travail du dimanche (que je choisis de faire) me rapporte une rémunération pour gonfler mon chiffre d'affaire.
Je le fais pour les patients, mais au bout d'un moment, ce n'est plus acceptable. Mais je vais continuer à le faire, car je n'ai pas le choix.
Il m'est arrivé (une seule fois heureusement) de travailler 4 semaines de suite sans m'arrêter un seul jour, vous pensez que c'est prudent? Que la fatigue ne peut pas altérer ma vigilance? Que je ne peux pas me tromper dans une posologie (la fatigue aidant) avec les conséquences qu'on peut imaginer?
Vous seriez d'accord pour que ces conditions de travail soient imposées à des pilotes d'avion?
Les infirmières comme les médecins ne comptent pas leurs heures; vous savez combien il y a d'heures supplémentaires rien qu'à l'APHP?
Tout cela a été dit et redit, je ne suis pas un cas exceptionnel ni un héros, je suis juste un médecin comme des milliers d'autres qui vivent la même chose que moi.
Devant cela, les gouvernants n'ont pas d'autres choix que de compatir, mais ne font rien. Comme si la page était tournée, que c'était juste un moment où on exprime son désarroi et que ça ira mieux après.
Et l'année suivante, on apprend que les coupes budgétaires ont été augmentées.
Moi, les difficultés du quotidien, je les vois tous les jours et je suppose que vous êtes capable d'imaginer ce qui peut se passer quand on doit gérer l'angoisse des familles, la détresse des patients, les annonces de décès, le réconfort des familles ensuite (ce qui est normal).... Et maintenant il faut gérer les tensions liées au manque de personnel. Par manque de temps, tout ce qui fait l'humain dans un hôpital est réduit quand il n'est pas inexistant car il faut s'occuper du patient suivant.
Ce n'est pas du mépris pour le personnel soignant, c'est du mépris pour la société entière. Car tout le monde est perdant dans l'histoire.
Ce n'est pas un tire-larme que je suis en train de faire, c'est la simple et triste réalité... malheureusement.
Et oui, la santé n'a pas de prix. On ne peut pas fonctionner à flux tendu, de prétendre qu'une infirmière à X minutes pour chaque patient. Chaque patient est différent, beaucoup ont besoin de parler pour être rassurés, et certains patients demandent plus de temps de soins que le voisin.
C'est ainsi, et c'est aussi ce qui fais que j'aime mon métier.
**A ce sujet, le Cour Européenne a déjà rappelé la France à l'ordre il y a quelques années, afin que les médecins hospitaliers soient payés comme leurs confrères Européens. J'ai été payé durant quelques années, mais depuis le 1er janvier 2017 je ne le suis plus. Faut-il encore attendre un deuxième jugement de la Cour Européenne?