Nouveau jugement pour un faux-capé

sven

Contributeur régulier
Ci-dessous un jugement qui était passé inaperçu, mais qui est intéressant puisqu'il se situe dans la lignée du jugement au TGI de Paris en mars 2009:


TGI du MANS - Première chambre - Jugement du 24 novembre 2009


Attendu que M. X a accepté une offre de crédit immobilier d'un montant de 161 600 € que leur a présentée le Crédit Foncier le 7 décembre 2006;

Qu'il est constant que ce prêt était à taux et durée révisable;

Que l'amortissement de ce prêt était prévu en 3 paliers:

- une échéance mensuelle de 786,82 € HA pendant 216 mois
- Echéance 511,82 € pendant 48 mois
- Echéance 790,75 € jusqu'à l'amortissement complet;

Qu'il était stipulé que le taux de première année était fixé à 3,70%; que ce taux était révisable comme suit: "le taux est révisable à compter du 12ème mois suivant le point de départ de l'amortissement sur la base du taux bancaire européen à un an, constaté le premier jour ouvré du mois de la révision majoré d'une partie fixe de révision de 1,30% et ensuite tous les 12 mois après la première révision".

Qu'il était précisé concernant la révision du taux d'intérêt: "le taux maximum servant au calcul des échéances est de 5,20%. Ce taux est distinct du taux d'intérêt";

Que le prêt étant à taux variable il était stipulé que la durée prévisionnelle initiale, de 348 mois, était susceptible:

-" de réduction du fait de la modulation des échéances à la hausse dans la limite d'une réduction de la durée totale prévisionnelle…
- d'allongement en cas de hausse de taux dans la limite de 20% de la durée totale prévisionnelle…";

qu'ainsi la durée maximale d'amortissement du prêt ne pouvait excéder 417 mois;

***

Attendu que, par courrier du 8 janvier 2008, le CF a fait connaître à M. X que le taux d'intérêt du prêt était porté pour l'année 2008 à 6,10% et qu'en conséquences l'échéance mensuelle passait à 856,11 € HA;

Que par différents courriers, et notamment une lettre de son avocat du 18 avril 2008, M. X a contesté cette révision en prétendant que dans leur esprit le taux ne pouvait excéder 5,20% et que l'échéance mensuelle de 825,61 € pendant les 216 premiers mois étaient invariables;

Que le CF n'a pas cru devoir donner satisfaction aux réclamants tout en leur proposant une renégociation du prêt en appliquant un taux fixe de 5,25% l'an et en fixant la durée du prêt à 33 ans et 4 mois, moyennant une modification à la hausse des échéances d'amortissement;

Que M. X a refusé cette offre;

Que par courrier du 9 janvier 2009 le CF a fait savoir aux emprunteurs que l'échéance du prêt au titre de l'année 2009 passait à 902,89 € pour un taux d'intérêt de 4,40%;

***

Attendu que, par acte d'huissier du 11 juin 2009, M. X a assigné le CF pour la voir condamner à appliquer les dispositions contractuelles de sorte que le taux d'intérêt ne dépasse pas 5,20% et que le montant de l'échéance mensuelle pendant la période de 216 mois n'excède pas 825,61 €; qu'ils demandent la condamnation du CF à leur rembourser les sommes indûment prélevées depuis janvier 2008, ainsi qu'à leur payer 5000 € à titre de dommages-intérêts pour le préjudice subi et 3000 € en vertu de l'article 700;

Que le CF n'a pas constitué avocat;

Attendu que l'établissement de crédit qui consent un prêt à des particuliers non initiés leur doit une information claire sur la portée de leurs engagements; que cette obligation est d'autant plus contraignante pour la banque lorsqu'il s'agit, comme en l'espèce, d'un prêt dont trois paramètres sont variables: le taux d'intérêt, le montant des échéances variant en cours de 3 périodes, et la durée d'amortissement;

Que, d'ailleurs, la complexité d'un tel prêt fait que l'indication du TEG (4,28%), qui est pourtant censé informer l'emprunteur sur le coût du crédit, n'est d'aucune utilité réelle puisque seul le taux d'intérêt appliqué durant la première année est déterminé (3,70%); que raison de plus pour que les termes du contrat soient suffisamment précis pour que les emprunteurs aient conscience des conditions de variation du taux des intérêts, du montant éventuel des échéances ou encore de la durée d'amortissement;

Qu'enfin il y a lieu de rappeler qu'en vertu de l'article 1162 du code civil, "dans le doute, la convention s'interprète contre celui qui a stipulé et en faveur de celui qui a contracté l'obligation";

Attendu qu'en l'espèce M. X soutient que dans son esprit le taux d'intérêt était variable dans une frange de plus ou moins 1,5% et qu'ainsi en cas de hausse ce taux ne pouvait excéder 5,20%;

Que Mme Y, mère de l'emprunteur, a établi une attestation aux termes de laquelle elle expose qu'elle a assisté avec son fils à un RDV au cours duquel la conseillère du CF leur a expliqué qu'il s'agissait d'un prêt variable lissé capé 1,5%"; qu'elle affirme avoir demandé des explications sur ce qu'était un taux capé et qu'à sa question la préposée a répondu que "si le taux venait à changer soit en augmentant ou diminuant, seule la durée du prêt diminurait ou augmenterait, mais les mensualités, elles, ne changeraient pas";

Attendu qu'en réalité la confusion résulte de la clause suivante: "le taux maximum servant au calcul des échéances est de 5,20%. Ce taux est distinct du taux d'intérêt";

Qu'à travers cette formulation compliquée, le tribunal croit deviner que pour le CF, le taux de 5,20% n'est en réalité que "le taux interbancaire européen à un an" dont il était fait état au paragraphe précédent et qu'il fallait donc comprendre qu'à ce taux de base venait s'ajouter 1,30%;

Que ce raisonnement était d'autant plus difficile à suivre pour des profanes du crédit et des mathématiques financières que, pour le taux de 3,70% applicable la première année, la banque n'avait pas mentionné le taux interbancaire européen applicable en décembre 2007 qui lui avait servi de référence pour arrêter le taux contractuel durant la première année;

Que, par ailleurs l'emprunteur était fondé à croire qu'en cas d'augmentation du taux des intérêts il n'était pas nécessaire d'augmenter le montant des échéances puisque c'était la durée du prêt qui variait pour compenser le fait que la part de capital amorti dans chaque échéance était diminuée;

Que M. X a de bonne foi pu croire que le montant des échéances était invariable; que dans son esprit le taux d'intérêt de 3,70% la première année pouvait varier au plus de 1,50% sans excéder 5,20%;

Qu'à la lecture des attestations qui sont produites il est permis de penser que la conseillère du CF, elle-même, le croyait sans doute;


Attendu que, dans ces conditions, le tribunal considère que le CF a manqué à ses obligations d'information et de clarté dans la rédaction du contrat soumis à l'approbation de M. X; que le contrat devra donc être interprété et s'appliquer tels que les emprunteurs avaient cru le comprendre;

Attendu que par la suite le CF devra restituer les prélèvements indus qu'il a effectués;

Attendu que le CF avait été alerté dès le mois d'avril 2008 de la question posée de façon pertinente par M. X; qu'il n'ignorait pas la difficulté ainsi qu'il résulte d'une procédure ayant donné lieu à un jugement du TGI de Paris le 10 mars 2009; qu'il aurait pu spontanément au cours de l'année 2008 choisir de faire droit à la thèse des réclamants; qu'au contraire il a tenté de tourner la difficulté en proposant à M. X un avenant qui ne lui était pas favorable puisque le prêt passait à taux constant à 5,25%;

Qu'ainsi depuis presque 2 ans M. X se voit prélever des échéances d'un montant supérieur à celui qu'ils avaient prévu dans leur budget familial; qu'ils ont dû engager des démarches en consultant un avocat, avant d'entamer une procédure judiciaire;

Qu'il résulte pour eux un préjudice qui sera réparé par l'allocation d'une somme de 1500 € à titre de dommages-intérêts;

Attendu qu'il y aura lieu d'ordonner l'exécution provisoire jugement;

Attendu que le CF sera condamné aux dépens, ainsi qu'à payer aux demandeurs une indemnité de 2500 € en vertu de l'article 700 du CPC;


PAR CES MOTIFS


Dit que le contrat de prêt consenti par le CF à M. X doit être interprété en ce que le taux variable des intérêts, initialement fixé à 3,70%, ne peut excéder 5,20% et que les échéances mensuelles d'amortissement tout au long du prêt ne peuvent excéder celles qui ont été fixées au contrat;

Condamne le CF à rembourser les sommes supplémentaires qu'il a prélevées indûment;

Condamne encore Le CF à payer à titre de dommages-intérêts une somme de 1500 €;

Ordonne l'exécution provisoire du jugement;

Condamne le CF aux dépens, dont distraction au profit de Me. W, ainsi qu'à payer aux demandeurs une indemnité de 2500 € en vertu de l'article 700.
 
Voilà qui est intéressant. La jurisprudence semble se mettre en place d'une manière effective. Reste a initier une procédure pour le cas des clients qui ont quitté le CF (récupération d'IRA indues). Il y a du grain à moudre.
 
J'ai le sentiment que pour ceux qui sont passés en fixe dans une autre banque, la démonstration doit être plus soutenue.
Pour pouvoir espérer le remboursement du préjudice réel, et pas que de l'IRA, je pense qu'il faut d'abord démontrer que le prêt CF était dolosif.

Le préjudice réel comprend l'IRA, les frais de garantie et frais d'entrée, mais aussi le mauvais remboursement du prêt CF (capital remboursé moins fort que prévu voir négatif) et la perte financière consécutive à l'obligation de contracter dans l'urgence un prêt plus onéreux que celui qui était prévu au CF.

Ceci n'est pas neutre, les préjudices les plus forts sont pour ceux qui ont racheté leurs prêts.

Pour le dol, il y a plusieurs moyens, mais je reste convaincu (certains pensent que je me plante, voir discussion sur TEG) que les éléments se trouvent déjà dans le prêt et qu'il suffit de les mettre en valeur par un expert:
- Impossibilité de rembourser le capital dans la durée max et la mensualité d'origine.
- Taux d'appel trompeur (voir ce qu'en dit le député Lefebvre dans son rapport parlementaire sur les taux variables)
- Conséquences du taux d'appel: Tableau d'amortissement, TEG et coût total erronés (voir étude sur le TEG sur le site du collectif)
- Bien sûr tout le raisonnement des défauts d'informations et du contrat ambigu qui appuient la thèse du dol.
- absence totale de sécurité sur le taux d'intérêt alors que les brochures en parlent.
- Calculs de lissage de prêt qui entraîne un surcoût pour l'emprunteur et plus de gain pour la banque dès que les taux augmentent.
- Discours des conseillers...

La grosse difficulté pour exploiter les failles que le contrat nous offre, c'est qu'il faut avocat et expert compétents, et ils sont peu nombreux ceux qui feront ce travail.
 
bj,

Pour information, je reçois ce jour confirmation du CF que je ne fais pas partie de l'accord de médiation (je m'en doutais un peu), ayant racheté le prêt en question.
Je vais donc étudier courant de ce mois avec mon conseil la "viabilité" d'une action au civil pour indemnisation des différents préjudices.
Je vous tiens informé de la suite des événements.

A noter également que j'ai reçu de l'Afub un doc de collecte d'infos au sujet des récupérations d'Ira à faire valoir, pour ceux qui ont quitté le CF. Je ne sais pas ou cela mène et dans quel cadre collectif mais bon à suivre également.
 
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