En septembre puis en décembre 2018, les banques se sont engagées à plafonner les frais d’incidents des clients fragiles et à ne pas augmenter les tarifs bancaires en 2019. Des engagements que la Banque de France juge « ambitieux » et que cette dernière suit de près.

Frédéric Visnovsky, Banque de France, ACPR

Frédéric Visnovsky est coordonnateur au niveau de la Banque de France et de l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) sur le suivi des engagements des frais bancaires. Il est également secrétaire général adjoint de l’ACPR.

Les engagements pris par les banques ciblent les personnes fragiles financièrement. Qui sont-elles en France ?

Frédéric Visnovsky : « La définition et l’identification des clients en situation de fragilité financière est l’élément central des dispositions prises par les banques l’an passé. Le dernier rapport de l’Observatoire de l’inclusion bancaire, qui rassemble, sous la présidence du gouverneur de la Banque de France, les pouvoirs publics, les banques et les associations de consommateurs, estime à 3,6 millions le nombre de personnes précaires financièrement. 40% d’entre elles ont été identifiées sur la base des critères réglementaires objectifs. C’est le cas de celles déclarées recevables à une procédure de surendettement et de celles faisant face à des incidents de paiement récurrents depuis 3 mois. Mais, pour la majorité des clients identifiés comme fragiles – les 60% restant -, ce sont les banques qui, sur la base de leurs critères internes, les catégorisent ainsi. »

Le fait que l’identification des clients fragiles reposent, en proportion, davantage sur les paramètres retenus individuellement par les banques ne plaident-ils pas en faveur d’une extension des critères définis par la loi ?

« Nous estimons à 600 millions d’euros le coût des engagements pris fin décembre »

F.V. : « Tout système présente des inconvénients. Se baser uniquement sur des critères stricts et objectifs faciliterait le suivi du respect des obligations en termes de détection qui incombent aux banques. Mais, d’un autre côté, cette flexibilité permet aussi de s’adapter à la complexité de la précarité financière. Par exemple, il peut être tentant de s’appuyer sur le montant des ressources pour catégoriser un client fragile. Mais, ce critère est en lui-même insuffisant. Il est à rapprocher de l’activité sur le compte bancaire et des habitudes de dépenses du client, deux paramètres qui peuvent difficilement être synthétisés dans des indicateurs fixes. »

Les banques ont pris plusieurs engagements l’année dernière, celui de plafonner les frais d’incidents pour les clients fragiles, mais aussi de ne pas augmenter leurs tarifs bancaires en 2019. Peuvent-ils faire diminuer la précarité financière en France ?

F.V. : « En moyenne, les frais d’incidents atteignent 320 euros par an. Pour les clients d’établissements bancaires appliquant des tarifs plus élevés, l’impact sera donc important et immédiat. Plus généralement, nous estimons à 600 millions d’euros le coût des engagements pris fin décembre par les banques, soit autant de frais qui ne seront pas facturés aux clients. Rapportés aux quelques 25 milliards d’euros de bénéfices dégagés l’année dernière par les banques, ces engagements paraissent ambitieux. »

Rappel des promesses des banques

En 2018, les établissements bancaires se sont engagés par deux reprises à modérer les frais d’incidents bancaires (commission d’intervention, lettre d’information, frais de rejets, frais d’opposition…) :

  • Un plafond à 20 euros par mois et 200 euros par an pour les bénéficiaires de l’offre spécifique clientèle fragile (OCF), annoncé en septembre 2018 et qui doit être appliqué au plus tard en juin 2019. L’automne dernier, les banques se sont également engagées, d’ici fin 2019, à augmenter de 30% le nombre de détenteurs de l’OCF. Il passerait à près de 500 000 bénéficiaires.
  • Un plafond à 25 euros par mois, soit 300 euros par an, pour les clients détectés fragiles n'ayant pas souscrit à l'offre qui leur est dédiée. Cet engagement, applicable depuis février 2019, a été pris fin décembre 2018 dans l’effervescence du mouvement des Gilets jaunes. Au même moment, les banques ont promis de ne pas augmenter leurs frais bancaires en 2019.

Lire aussi : Frais bancaires : pourrez-vous bénéficier du plafonnement à 25 euros ?

Comment la Banque de France va-t-elle s’assurer de leur respect ?

F.V. : « La Banque de France et l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) ont engagé trois types d’action distinctes. La première a consisté à s’assurer que l’ensemble de la place financière et des acteurs de l’insertion financière soient au courant des engagements pris. Pour ce faire, nous avons, en régions, demandé aux succursales de la Banque de France d’organiser des réunions de sensibilisation avec les banques mais aussi avec les associations de consommateurs, de manière à nous assurer que les engagements soient connus et déployés. En métropole, près de 70 réunions se sont tenues avec les acteurs bancaires locaux et environ autant avec des représentants d’associations. En outre-mer, l’Iedom [Institution d’émission des départements d’outre-mer, ndlr] a conduit des actions similaires. Ce qui en est ressorti, c’est que l’information avait bel et bien circulé. »

Les prérogatives de l’Observatoire de l’inclusion bancaire vont aussi lui permettre de suivre le respect des plafonds…

« Un premier bilan du gel des tarifs bancaires et du plafonnement des frais d’incidents d’ici à l’été »

F.V. : « Il est en effet de la responsabilité première de l’Observatoire de suivre le respect des engagements pris et plus généralement des règles qui incombent à la profession. C’est d’ailleurs suite à son action que les banques ont amélioré le recensement des clients fragiles, passés de 2,4 millions à fin 2016 à 3,6 millions un an plus tard. L’Observatoire fera un premier bilan du gel des tarifs bancaires et du plafonnement des frais d’incidents pour les clients fragiles d’ici à l’été 2019. Il permettra de dégager les bonnes pratiques des banques. Mais, pour obtenir l’évaluation complète des engagements, il faudra attendre début 2020. En effet, tous ne s’appliquent pas au même moment. Le plafonnement à 25 euros est en vigueur depuis février, tandis que celui à 20 euros prend effet au plus tard au 30 juin. Quant à l’objectif d’augmenter la diffusion de l’offre clientèle fragile, les banques ont jusqu’à fin 2019. »

Après les réunions de sensibilisation et la récolte de données au travers de l’Observatoire de l’inclusion bancaire, quel est le troisième volet du contrôle ?

F.V. : « Il passe par l’ACPR qui assure notamment une mission de protection de la clientèle. Des contrôles ont été renforcés dès mars afin de vérifier sur place et concrètement que les banques appliquent bien le plafonnement à 25 euros mensuels des frais d’incidents. L’ACPR s’assure aussi qu’il n’y a pas de détournement, c’est-à-dire que les banques ne facturent pas de nouveaux frais hors plafond. Elle s’intéresse également à la façon dont les banques procèdent pour identifier leur clientèle fragile. »

A terme, il y aura un double plafonnement des frais d’incidents de 20 et 25 euros mensuels. La différence est relativement faible. Ne craignez-vous pas que cela freine encore davantage le recours à l’OCF ?

F.V. : « C’est un argument effectivement avancé par les banques. La différence de seulement 5 euros par mois entre les deux plafonds ne va-t-elle pas diminuer l’intérêt de l’offre clientèle fragile ? C’est une question légitime. Toutefois, il ne faut pas que les établissements bancaires se cachent derrière cet argument pour ne pas diffuser correctement cette offre. »

L’OCF est déjà très peu souscrite. Seulement une personne éligible sur 10 la détient. Comment l’expliquez-vous ?

« Il y a des réflexions à mener sur l'offre clientèle fragile »

F.V. : « Les banques nous donnent diverses explications, notamment la crainte de leurs clients d’être étiquetés « fragiles ». Les facilités de paiement minimums auxquelles elles donnent accès, notamment le nombre limité de chèques et la carte à autorisation systématique, en est une autre. Il y a donc des réflexions à mener sur cette offre et un équilibre à trouver entre protéger la population fragile en évitant que sa situation financière n’empire et lui permettre d’accéder à des services bancaires satisfaisants. »

Son prix, fixé à 3 euros maximum par mois, n’est-il pas un autre frein à son développement dans un contexte où les comptes courants à 2 euros se répandent dans les banques traditionnelles ?

F.V. : « Les banques ont effectivement développé leur propre offre, avec parfois des services supplémentaires, au même prix voire moins chère que l’offre clientèle fragile. Nous sommes attentifs à ces offres de compte bancaire, notamment sur le fait qu’elles n’accroissent pas la fragilité financière de leurs détenteurs. »