« Refonder » le système de retraite à la française : tel est le projet, vaste et ambitieux, porté par le gouvernement. Le point sur ce que l'on sait de cette réforme, et sur ce qui reste encore très flou.

L’objectif principal

« Nous créerons un système universel de retraites où un euro cotisé donne les mêmes droits, quel que soit le moment où il a été versé, quel que soit le statut de celui qui a cotisé. » Cette phrase n’est pas tirée d’un discours d’Edouard Philippe à la veille de la grève d’ampleur annoncée ce jeudi 5 décembre. Non, elle est tirée du programme d’Emmanuel Macron lors de la campagne présidentielle. Simplifier le système de retraite en mettant fin aux 42 régimes actuels reste le fil rouge de cette réforme. Le but étant de permettre de changer de profession sans dépendre de plusieurs régimes de retraite différents.

Ce qui n'est pas négociable

Le 27 novembre dernier, à l’heure de faire un « point d’étape » sur ce projet, Edouard Philippe a justement insisté sur l’ampleur de la tâche : « Construire un système universel de retraite, ça n’est pas réformer le système actuel, c’est le refonder. Le refonder pour qu’il soit plus juste, et plus solide. » Cette « refonte » repose donc sur un « principe fondamental », qui constitue donc clairement le point central et non négociable du projet : « Remplacer les 42 régimes existants par un système unique et universel, commun à tous les Français et dont les règles seront les mêmes pour tous. » Edouard Philippe a insisté sur le fait que ce « projet de société » répond à un objectif de « justice sociale », pour passer d’un système de « solidarités corporatistes », marqué par une importante complexité des inégalités, à un système de « solidarité universelle » : « Un euro cotisé vaudra autant de points dans chaque profession », a-t-il insisté.

Plus concrètement, cette réforme doit donc se concrétiser à terme par la création d’une « caisse nationale de retraite universelle », à la place des multiples caisses actuelles. Et par un calcul de pension basé sur des points, gagnés tout au long de la vie professionnelle. Ces points seront ensuite convertis en euros pour calculer les pensions, avec un barème unique intégrant l’ensemble des rémunérations, y compris celles des indépendants, les heures supplémentaires, les primes, etc.

Ce que le gouvernement a promis

Le système de retraite français restera un système par répartition : le Haut-commissaire Jean-Paul Delevoye et les autres membres du gouvernement insistent tous sur le fait qu’il n’est pas question de créer un système par capitalisation. « Comme dans le système actuel, les cotisations versées par les actifs d’aujourd’hui financeront les pensions des retraités d’aujourd’hui », lit-on dans le rapport de Jean-Paul Delevoye.

Le Premier ministre en a profité pour rassurer sur deux points : « les retraités actuels ne seront pas concernés par la réforme » et « les droits acquis seront conservés à 100% ». En bref : pas de remise en cause de l’existant, ni pour les pensions versées, ni pour les cotisations enregistrées à ce jour. Le gouvernement promet aussi de ne pas remettre en cause la possibilité de départ anticipé à 60 ans dans le cadre du dispositif carrière longue.

Fin novembre, à l’approche du mouvement social et de la présentation du détail du projet de réforme, le gouvernement a rappelé quelques promesses phares, parmi lesquelles une « pension majorée dès le premier enfant », la non remise en cause des pensions de réversion (le fait de reverser une partie de la retraite du conjoint décédé au conjoint survivant), ou « l’indexation des points de retraite sur le niveau des salaires ». « La valeur du point ne baissera pas », a insisté Edouard Philippe le 27 novembre. En clair : le montant des pensions ne doit pas être revu à la baisse d’une année à l’autre, selon la conjoncture, et la formule de calcul ne doit pas devenir défavorable au fur et à mesure d'une carrière. Edouard Philippe a aussi souligné la possibilité, avec cette réforme, de « lisser le départ » à la retraite, en continuant à travailler partiellement, tout en touchant sa pension. « Contrairement au système actuel, le cumul emploi-retraite permettra d’acquérir de nouveaux droits pour augmenter sa retraite », lit-on sur le site gouvernemental dédié à la réforme.

Dernière promesse phare : une pension minimale de 1 000 euros par mois. Mais attention, il ne faut pas confondre ce seuil avec le minimum vieillesse : il est ici question d’une retraite minimum « pour une carrière complète », donc à l’âge d’obtention du taux plein. Selon les cas et les carrières, ce taux plein n’est pas nécessairement acquis à 62 ans (l’actuel âge légal où il est possible de partir en retraite). Actuellement, à défaut de disposer du nombre de trimestres de cotisations suffisant, il faut travailler jusqu’à 67 ans pour obtenir le taux plein. Selon les chiffres livrés par le gouvernement, cette pension minimale est actuellement de 900 euros pour les agriculteurs et de 973 euros pour les salariés du privé. Le projet soumis à la consultation prévoit une revalorisation de cette pension minimum au même rythme que le Smic, afin qu’elle ne soit jamais inférieure à 85% du salaire minimum.

10 € cotisés = 1 point

Voilà le barème annoncé, dans le rapport Delevoye, sur la base d’« hypothèses » économiques « actuelles », le point lui ayant une valeur de 0,55 euro. Plus concrètement ? 100 € cotisés = 10 points = 5,5 € par an pendant toute la retraite. Voilà pour le principe général. Mais s’y ajoute des « points de solidarité » suite aux congés maternité, maladie, période de chômage, la revalorisation de 5% pour chaque enfant (par défaut pour la mère), etc. Jean-Paul Delevoye préconise aussi l’octroi de « points supplémentaires » pour les militaires, qui pourraient donc partir un peu plus tôt que les autres professions. Dans son rapport, Jean-Paul Delevoye livre des cas concrets, mais l’extrême diversité des cas et la pension variant selon l’âge de départ rend les projections peu représentatives.

Ce qui est en discussion

« Sur certains sujets, nous pouvons évoluer », a déclaré Edouard Philippe le 27 novembre, avant d’ajouter : « Je pense notamment au travail de nuit », en faisant ainsi référence à la prise en compte de la pénibilité de certains emplois. Mis à part le principe général de régime universel, le gouvernement se dit globalement ouvert à la discussion. De fait, aucun projet de loi n’a encore été dévoilé, uniquement des préconisations émanant du rapport Delevoye…

Ce qui pose problème

A gauche comme à droite, la classe politique s’avère divisée sur cette réforme, les responsables politiques pointant surtout le flou concernant l’âge de départ et un possible allongement de la durée de travail. Le discours gouvernemental reste plutôt évasif sur le sujet. Pour sa part, Emmanuel Macron a plus insisté sur l'importance de la durée de cotisation que sur la nécessité de définir un « âge pivot ».

Les organisations syndicales FO et CGT rejettent en bloc l’idée d’un système par points. La CFDT, elle, est favorable à une uniformisation mais elle refuse d’allonger la durée de cotisations. Les syndicats se méfient aussi d’une réforme cachant un objectif de réduction budgétaire pour les retraites, même si le gouvernement s’en défend.

Les bénéficiaires des régimes spéciaux, parmi lesquels les cheminots, craignent d’être les grands perdants de la réforme. Un rapport de l’Institut de la protection sociale (IPS) pointe des effets pervers de la réforme : ainsi de « nombreuses femmes » ou les cadres supérieurs figureraient aussi parmi les perdants potentiels. La perte de la bonification systématique (de 10%) pour les deux parents au 3e enfant est aussi pointée du doigt.

Enfin, la communication à géométrie variable des membres du gouvernement sur la « clause du grand père » a clairement nui à la compréhension de ce projet de réforme. Pour rappel, il s’agit de savoir si la réforme s’applique à tous les actifs, uniquement aux nouveaux entrants sur le marché du travail, ou si le gouvernement choisit une solution intermédiaire.

Le calendrier des débats et du projet de réforme

Jusqu’au 8 décembre, vous pouvez encore donner votre avis sur les préconisations de Jean-Paul Delevoye sur participez.reforme-retraite.gouv.fr. La phase de concertation – avec les syndicats, les organisations patronales, etc. - doit se poursuivre jusqu’au 10 décembre 2019.

Mi-décembre, le Premier ministre doit détailler « très précisément » le projet qui doit ensuite être déposé au Parlement au début de l’année 2020. Objectif : un vote de la loi portant la « refonte » du système de retraite à l’été 2020.

Quand cette réforme doit-elle s’appliquer ? Cet arbitrage très attendu doit être rendu dans les prochains jours. Préconisation du rapport Delevoye : « Le système devra être à l’équilibre en 2025 au moment de la mise en place du nouveau système ». Ce calendrier sera-t-il confirmé ? La mise en œuvre sera-t-elle progressive, avec l’activation de la fameuse « clause du grand-père » ? Mystère.