A la suite du rapport de l'ACPR remis fin avril, les sénateurs appellent à une modification de la loi Eckert pour mieux prendre en compte les contrats souscrits par les entreprises. Pour le moment, ces contrats ne pèsent pas lourd dans le stock en déshérence. Mais les données connues ne sont que partielles et plusieurs milliards pourraient venir s'ajouter dans les prochains mois.

La mise en œuvre de la loi Eckert, votée en juin 2014 et appliquée depuis le 1er janvier 2016, met en lumière les difficultés rencontrées par les assureurs dans l'administration et le suivi des contrats collectifs, tant en matière de prévoyance que de retraite complémentaire. Ces deux types de contrats sont souscrits par les entreprises au profit de leurs salariés. Des salariés, ou leurs ayant-droits, qui à terme ne profitent pas toujours de la garantie décès quand elle est incluse dans le contrat ou du capital devant être transmis.

Au 31 décembre 2015, selon les chiffres communiqués par l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dans son rapport d'évaluation de la loi Eckert remis au Parlement fin avril, les contrats collectifs de prévoyance non liquidés représentaient un encours total à restituer de 239 millions d'euros. Les contrats collectifs de retraite non liquidés pesaient, quant à eux, pour 6,7 milliards d'euros (dans l'hypothèse d'un départ en retraite du salarié à 62 ans) ou 3,4 milliards d'euros (départ en retraite du salarié à 65 ans). Par contre, il ne s'agit ici que de chiffres estimés. Rien n'interdit de penser que d'ici quelques semaines, ou quelques mois, de nouveaux contrats « oubliés » fassent surface. Et c'est ce scénario qu'envisage le régulateur. Son message a fait mouche et alerté les parlementaires : « Le phénomène a été fortement sous-estimé jusqu’à aujourd’hui et pourrait rendre nécessaires de nouvelles modifications législatives », annonçait le Sénat dans un communiqué en date du 18 mai.

Les départs à la retraite non pris en compte

Plusieurs raisons sont avancées par l'ACPR pour expliquer cette situation. La première : les contrats « ont le plus souvent été exclus des consultations du RNIPP [répertoire national d'identification des personnes physiques, ndlr] jusqu’à très récemment par certains organismes ». Mais après avoir imposé une consultation du répertoire de manière rétroactive depuis 2009, l'ACPR note que de nombreux décès ont pu être mis à jour pour parvenir à établir les chiffres évoqués plus haut.

Deuxième raison : de nombreux contrats n'ont pas été liquidés, alors même que les bénéficiaires avaient déjà atteint l’âge moyen de départ à la retraite. Pourquoi ? Le défaut d'information : les assureurs ne savaient pas que le salarié avait fait valoir ses droits à la retraite. Ce problème de communication est partagé avec la troisième raison : « l’absence d’information ou à des données incomplètes sur les adhérents ou affiliés rendant difficiles les recoupements avec le fichier des personnes décédées de l’INSEE ». L'ACPR a très bien identifié les sources de cette difficulté : erreurs typographiques, absence d’informations dans les fichiers clients, absence de contact avec le salarié... Une situation peu étonnante car les assureurs « peuvent n'avoir de contact qu’avec l’entreprise souscriptrice et ne disposent pas toujours des données se rapportant aux adhérents », relate l'autorité de contrôle. Bref, les salariés ne connaissant pas leurs droits, les assureurs ne connaissant pas les salariés, les prestations ne sont tout simplement pas versées.

Des données incomplètes ou inexistantes sur les assurés

Quatrième raison : les assureurs ne savent pas toujours qui ils assurent, et pas seulement du fait d'un contact limité avec l'entreprise. Si le contrat a été initié par un courtier délégataire, elles ne disposent pas, en effet, des informations détenues exclusivement par ce tiers. Une situation « qui peut faire obstacle ou retarder la consultation du RNIPP et a limité, par exemple, la mise en œuvre des garanties décès, en particulier la rente de réversion du conjoint », commente encore le régulateur dans son rapport.

L'ACPR propose des solutions pour sortir de ces impasses, et c'est sur celles-ci que les parlementaires pourraient décider de légiférer pour leur donner un cadre plus formel, voire contraignant :

  • Incitation des bénéficiaires des contrats collectifs de retraite à liquider leurs droits (ex. indication du droit à liquidation de retraite dans les relevés annuels de situation) ;
  • Traitement des retours de courrier en « n'habite pas à l'adresse indiquée » ou « pli non délivrable » avec la mise en œuvre de l'actualisation des adresses des adhérents ou affiliés ;
  • Actions de récupération de l’identité et des coordonnées des salariés avec mise à jour des informations sur les adhérents ou affiliés auprès des apporteurs/délégataires de gestion et des entreprises souscriptrices (en particulier pour faciliter les consultations du RNIPP) ;
  • Conservation des informations sur les clients par l’assureur conformément aux dispositions de l’article A. 342-5 du code des assurances (les informations doivent être à tout moment d’un accès facile) ;
  • Actions de recherche des bénéficiaires des prestations en cas de décès ou des prestations retraite ;
  • Mise en place de différents dispositifs d’information permettant de suivre les adhérents ou affiliés quand il quitte l’entreprise souscriptrice, lorsque l’entreprise souscriptrice change d'adresse ou fait l'objet d’une liquidation judiciaire ;
  • En cas de résiliation des contrats comme un départ des salariés de l’entreprise : soumission des contrats au RNIPP pour vérifier le décès de l’assuré pendant la période de validité du contrat ;
  • Incitations des entreprises souscriptrices à contrôler la situation de leurs adhérents.

Vers une loi contraignante ?

Ces mesures peuvent dès à présent être appliquées par les assureurs et les entreprises proposant un contrat collectif à leurs salariés. D'ailleurs, elles le sont déjà pour certaines, à la demande du régulateur : « Les assureurs vie ont dû mener des actions de récupération des informations qui ne sont toutefois pas achevées et se poursuivront chez la plupart des assureurs en 2016. » Le nouveau dispositif législatif souhaité par les sénateurs ne viendrait donc que les obliger à le faire. « Le marché semble avoir pris conscience de la nécessité de conserver une connaissance individualisée des assurés de ces contrats collectifs, ce qui les a le plus souvent conduits à réviser leurs conventions de délégation », fait remarquer l'ACPR. Est-ce suffisant ? Réponse dans quelques mois.