Vous vous apprêtez à signer un prêt immobilier et votre banquier vous demande d’ouvrir un compte bancaire pour y domicilier tous vos revenus ? Le point sur vos droits.

Quand vous signez un prêt immobilier, dans la bouche du banquier, la question du compte bancaire a tout d’une évidence : il faut ouvrir un compte, transférer les prélèvements réguliers, et domicilier ses revenus, à commencer par le salaire. Avez-vous le choix, ou plutôt pouvez-vous refuser cette mobilité bancaire contrainte ? Le législateur a tenté de mettre de l’ordre dans ces pratiques, via une ordonnance publiée en juin 2017. Avant de faire marche arrière par le biais de la loi Pacte, entrée en vigueur fin mai 2019. Qu'en est-il aujourd'hui ?

Que répondre à votre banquier ?

La tentative d’encadrement, avortée, a eu une conséquence : « la domiciliation bancaire doit être intégrée à la négociation commerciale », pour reprendre le commentaire de l’amendement intégré à la loi Pacte. En théorie, le fait de domicilier vos revenus dans la banque prêteuse est un élément de négociation, pour abaisser le taux de crédit, au même titre que l’assurance emprunteur, l’assurance habitation, le transfert de l’épargne, le niveau de frais sur le compte courant ou encore la souscription de parts sociales dans les réseaux mutualistes.

« Les banques ont le choix de leurs clients ! »

Dans les faits, tous les grands réseaux bancaires font de la domiciliation bancaire un élément incontournable du prêt immobilier : dans l’immense majorité des cas, s’il s’agit du financement de la résidence principale, la banque peut accepter des concessions sur les autres éléments de négociation, mais pas sur la domiciliation, ou de façon très exceptionnelle. « Les banques ont le choix de leurs clients ! » rappelle l’avocate spécialisée dans la défense des épargnants et emprunteurs Hélène Feron-Poloni.

Lors de la phase de négociation du taux et des conditions de crédit, à l’oral, vous arc-bouter sur la domiciliation de revenus risque d’être contre-productif, préjudiciable pour vos conditions de financement.

La banque peut-elle imposer une clause dans le contrat ?

Contrairement au message colporté lors du vote de l’amendement des députés Dubost et Lescure, la loi Pacte n’a pas interdit les clauses de domiciliation ! Elle a uniquement abrogé les mesures d’encadrement en vigueur depuis 2018. Résultat : la clause n'est ni interdite ni autorisée, c'est un retour à la situation antérieure : le flou. Comme le confirme Me Feron-Poloni, c’est désormais la recommandation de la Commission des clauses abusives – datant de 2004 - qui fait autorité. Or cette commission juge « déséquilibrée » toute clause d’une offre de prêt obligeant l’emprunteur à domicilier ses revenus « si cette obligation n’est accompagnée d’aucune contrepartie individualisée ».

« Une telle clause ne peut pas figurer dans un contrat cadre »

Traduction ? Toute clause floue est abusive ! Hélène Feron-Poloni va plus loin : « Une clause de domiciliation ne peut pas figurer dans un contrat cadre », de façon systématique, pour l'ensemble des emprunteurs. « Tant que les grilles de taux sont gardées secrètes, les banques ne peuvent pas démontrer la réalité de la contrepartie. » En clair, une banque peut intégrer une clause contractuelle sur la domiciliation, mais pas de façon généralisée, et en précisant clairement quel est l’avantage « individualisé ». Dans ce cas, tous les frais liés à la domiciliation (package du compte courant ou frais de tenue de compte, etc.) doivent être intégrés dans le calcul du taux annuel effectif global (1).

Les banques ont supprimé ces clauses des contrats de crédit

« Seuls 30% des prêts intégraient une clause de domiciliation », souligne une association de consommateurs dans le rapport du CCSF (Comité consultatif du secteur financier), le document qui a poussé le gouvernement à accepter cette « marche arrière » dans la loi Pacte. De fait, avant l’encadrement lancé en 2018, ces clauses étaient déjà peu présentes et rarement actionnées par les établissements de crédit.

Cet aller-retour législatif a eu pour effet de faire disparaître les clauses des offres de prêt. Fin 2018, ces clauses ne figuraient pas, ou plus, dans les contrats de crédit immobilier de la Banque Postale, de la Société Générale, du Crédit Mutuel Arkéa (Bretagne, Sud-Ouest, Massif central) ou encore du Crédit Agricole. De son côté, le Crédit Mutuel Alliance Fédérale a annoncé voici quelques semaines supprimer « la tarification différenciée liée à la domiciliation bancaire » pour le crédit immobilier : une décision valable pour les 11 fédérations du groupe, qui couvrent la majeure partie du territoire, ainsi que le CIC. Désormais, comme le confirme Maël Bernier, directrice de la communication du courtier Meilleurtaux, plus aucun grand réseau bancaire ne prévoit une telle clause dans son offre de prêt « type ».

Nous avons relevé deux exceptions fin 2018 : Axa Banque et ING. Sollicité, l’assureur confirme « réfléchir » à cette nouvelle donne : jusqu'à présent, Axa propose un taux préférentiel (de 0,20 point) en l'échange de la domiciliation. Quant à la banque en ligne ING, la clause de domiciliation apparaît moins problématique car la grille de taux « standard », non négociable et sans domiciliation, est accessible publiquement via les simulations en ligne. La banque peut donc plus aisément prouver la réalité de la contrepartie, de 0,10 point sur le taux de crédit. Par ailleurs, après publication de cet article, LCL nous a précisé avoir intégré une clause dans ses contrats courant 2018.

Devez-vous respecter cette domiciliation ?

Pour résumer, un emprunteur peut difficilement refuser la domiciliation de salaire à son banquier, lors de la phase de négociation, mais cet accord n’est quasiment jamais inscrit dans l’offre de prêt ! Autrement dit, rien ne vous oblige à respecter cet engagement informel sur la durée. Si jamais vous souhaitez changer de banque, pour votre compte principal, rien ne vous en empêche (sauf dans les rares cas de contrats intégrant une clause avec une réelle contrepartie individualisée). Il faudra en revanche probablement conserver un compte dans la banque prêteuse, à alimenter régulièrement, pour le prélèvement des échéances de prêt.

Les banques pourraient-elles profiter de l’absence de cadre réglementaire pour intégrer des clauses contractuelles avec contrepartie ? « Elles vont se sentir surveillées sur le sujet », répond Me Feron-Poloni. Ce retour de la domiciliation bancaire dans l’univers « tacite » convient à Matthieu Robin, chargé de mission banque à l’UFC-Que Choisir : « Nous avons montré au CCSF que l’avantage individualisé ne pouvait être réellement individualisé. Il s’agissait donc d’une pénalité pour ceux qui refusaient de domicilier. » Le retour à la situation antérieure lui semble plus conciliable avec la mobilité bancaire.

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(1) A noter : l’ordonnance du 1er juin 2017 transposait aussi une disposition européenne cadrant tous les frais à intégrer dans le calcul du TAEG. Paradoxalement, cette transposition a temporairement été annulée suite à la loi Pacte, mais le législateur devrait y remédier. A noter, par ailleurs : les éventuels frais de tenue de compte doivent aussi être pris en compte dans le TAEG si l’offre de prêt mentionne la nécessité pour l’emprunteur de posséder un compte bancaire pour le prélèvement des échéances.