Le gouvernement Philippe l’a annoncé : il a l’intention de bloquer le taux du Livret A à son niveau actuel, 0,75%, pendant deux ans. Un choix présenté comme une contrepartie à la baisse des APL pour les locataires de logements sociaux. Mais qu’est-ce qui lie exactement ces deux mesures ? Explications.

D’un côté, une baisse significative de l’allocation personnalisée au logement (APL) pour les locataires de logements sociaux, compensée par une baisse des loyers ; de l’autre, un blocage annoncé du taux du Livret A pendant deux ans. Entre les deux, un lien pas forcément évident au premier abord, mais auquel le gouvernement a fait référence à plusieurs reprises ces dernières semaines dans sa communication.

Confirmation hier à l’occasion de la présentation par Jacques Mézard, le ministre de la Cohésion des territoires, de la « stratégie logement », au chapitre « réforme des aides au logement » : il s'agit « d’améliorer les conditions de financement des bailleurs sociaux à travers le Livret A et d’un allongement de leur dette pour baisser les loyers dans le parc social, et réduire les aides au logement sans perte de pouvoir d’achat pour les allocataires ».

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Quel lien entre Livret A et financement des bailleurs sociaux ?

En quoi le blocage du taux du Livret A peut-il permettre « d’améliorer les conditions de financements des bailleurs sociaux » et compenser ainsi une baisse des loyers estimée par le mouvement HLM à 1,5 milliard d’euros par an ? Pour le comprendre, il faut plonger dans les rouages du système français de l’épargne réglementée.

Une bonne partie de l’argent déposé par les Français sur leurs Livrets A, leurs Livrets de développement durable et solidaire (LDDS) et leurs Livrets d’épargne populaire (LEP) est « centralisée » par les banques collectrices au sein d’un fonds d’épargne géré par la Caisse des dépôts et consignations (CDC), bras financier de l’Etat.

En 2016, 59,5% des dépôts sur le Livret A et le LDDS étaient ainsi centralisés. Fin 2016, l’encours des deux produits atteignait 360 milliards d’euros, dont 215 milliards déposés au fonds d’épargne.

Les ressources du fonds d’épargne servent prioritairement à financer la construction de logements sociaux, grâce à des prêts à très long terme (30 à 60 ans) accordés aux bailleurs sociaux. Ainsi, toujours fin 2016, l’encours des prêts du fonds d’épargne au logement social et à la politique de la ville a atteint 157 milliards d’euros.

Que vient faire le taux du Livret A dans l’histoire ?

Le taux du Livret A, c’est-à-dire la rémunération de l’épargnant qui choisit d’y placer son épargne, est une composante essentielle du coût de ces prêts sur fonds d’épargne pour les bailleurs sociaux. Au même titre que la rémunération accordée aux banques par la CDC : 0,30% des montants centralisés. Autrement dit, cette épargne placée sur le fonds d'épargne coûte 1,05% à la CDC, qui ne peut pas prêter à moins. Qui dit stabilisation du taux du Livret A dit donc stabilisation du coût de la ressource.

Placée au cœur de leur modèle économique, la ressource Livret A, historiquement très avantageuse, l’est toutefois un peu moins en ces temps de taux bas. La preuve : le montant des nouveaux prêts signés (14,3 milliards d’euros) a diminué de 17% en 2016. En cause selon l’Observatoire de l’épargne réglementée de la Banque de France : « le taux du Livret A » justement qui, « maintenu au‐dessus de sa formule d’indexation, s’écarte des offres bancaires les plus attractives et entraîne un recul des signatures sur les segments les plus exposés à la concurrence ».

Dans ce contexte, le blocage du taux du Livret A sur 2 ans peut-il être une réelle contrepartie de l’effort financier demandé aux bailleurs sociaux pour compenser la baisse de l'APL ? A court terme certainement pas. A horizon 2 ans peut-être, comme le gouvernement semble l’anticiper, si les taux repartaient fortement à la hausse. Dans ce cas en effet, la ressource Livret A stabilisée pourrait redevenir une très bonne affaire.

Mouvement HLM : « une catastrophe »

Le mouvement HLM n’est pas convaincu, c’est le moins qu’on puisse dire, par le « deal » proposé par le gouvernement. Hier, à la suite de l’annonce de la « stratégie logement », l’Union sociale pour l’habitat en a appelé « solennellement » au président de la République. « Les locataires du parc HLM, les demandeurs d'un logement social, les collectivités locales et les entreprises du bâtiment seront les grands perdants de la réforme Mézard-Denormandie », annonce l’USH. Ce mouvement considère que l'objectif de baisse des APL et des loyers n'est « pas soutenable » et constituerait « une catastrophe pour l’ensemble des territoires ».

Le blocage du Livret A est-il une bonne nouvelle pour les épargnants ?

Qu’en est-il pour les épargnants ? Le Premier ministre Edouard Philippe l’a promis le 12 septembre dernier : « [Ils] n'y perdront pas ». C’est pourtant loin d’être une évidence. Leurs intérêts, en effet, sont contraires à ceux des bailleurs sociaux, ce qui rend la situation actuelle insoluble, compte tenu du contexte de taux.

A 0,75% net de prélèvements sociaux et fiscaux, le Livret A est actuellement une bonne affaire, si on le compare avec les comptes épargne fiscalisés : ces derniers rapportent 0,14% en moyenne, selon l’indicateur des livrets cBanque. Qu’en sera-t-il dans deux ans si les taux remontent, et avec eux l’inflation ? Annoncer un blocage revient en effet à faire fi des règles de fixation du taux du Livret A, conçues pour garantir l’épargne populaire contre la hausse des prix. Règles qui ne sont plus appliquées depuis plus de deux ans, les gouvernements choisissant systématiquement de passer outre, comme ils en ont le droit.

Le dernier exemple en date est tout récent : le 1er août dernier, le taux du Livret A aurait dû remonter à 1%, suivant l'évolution de l'inflation. Mais le gouvernement Philippe a préféré le maintenir à 0,75%. Résultat : avec une inflation moyenne de 0,9% en août et un taux bloqué à 0,75%, le Livret A ne remplit déjà plus totalement son rôle de bouclier contre la hausse des prix, comme le montre le graphique ci-dessous. A contrario, on y voit également qu'entre 2013 et 2016, le choix de ne pas baisser le taux du Livret A s'est fait à l'avantage des épargnants !

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