Plusieurs dizaines de milliers de logements sont loués à des prix cassés grâce à une loi de 1948. Mais qui peut en bénéficier ?

Cette loi, les moins de 20 ans ne la connaissent probablement pas. Et ils ne sont pas les seuls. Votée juste après la Seconde Guerre mondiale, la loi du 1er septembre 1948 avait pour but de protéger les locataires des grandes villes contre la flambée des prix de l’immobilier. Ce régime en voie de disparition, qui permet de payer son logement à un prix (très) modéré, est toujours appliqué. Un décret publié le 17 septembre 2019 a ainsi réévalué de 1,7% le montant maximum autorisé des loyers appliqués aux biens soumis à la loi de 1948.

Quels sont les logements concernés par la loi de 1948 ?

Il s’agit de logements construits avant le 1er septembre 1948 et situés sur certaines communes de plus de 10 000 habitants ou limitrophes. Ils sont classés dans 6 catégories différentes en fonction du confort et des équipements. Tout en haut de l'échelle, on trouve la classification II A réservée aux biens avec « une construction en matériaux de très bonne qualité » et qui disposent « d'un WC particulier, d'une salle de bains et du chauffage central », explique le site service-public.fr. A l’inverse, les locaux classés dans la catégorie IV sont situés « dans une construction en matériaux défectueux ou dans un immeuble dépourvu de tout équipement (aucun WC, ni dans le logement, ni dans l'immeuble) ». Si 15% des logements loués relevaient de la loi de 1948 en 1973, 40 ans plus tard, ce n’était plus le cas que de 1% d’entre eux, soit 114 000 logements, d'après l’Insee. Une chute continue puisque seuls les logements dont les locataires sont entrés dans les lieux avant le 23 décembre 1986 continuent de bénéficier, sous certaines conditions, du régime de la loi de 1948. Résultat, un logement libre reloué depuis cette date ne peut plus y être soumis.

Quels sont les loyers appliqués ?

La classification ci-dessus « détermine le montant maximum de loyer que le propriétaire peut exiger de son locataire », indique service-public.fr. L'augmentation annuelle du loyer - qui ne s'applique jamais aux logements de la catégorie IV, ceux en très mauvais état - doit respecter les plafonds réglementaires. Le tableau ci-dessous présente les barèmes en vigueur depuis juillet 2019.

Plafond des prix du mètre carré des logements soumis à la loi de 1948
Agglomération parisiennneHors agglomération parisienne
Catégorie du logementPrix de base de chacun des 10 premiers m2Prix de base des m2 suivantsPrix de base de chacun des 10 premiers m2Prix de base des m2 suivants
II A12,46 €7,38 €10,17 €6,06 €
II B8,56 €4,64 €7,01 €3,81 €
II C6,56 €3,51 €5,36 €2,88 €
III A3,97 €2,13 €3,25 €1,80 €
III B2,35 €1,23 €1,93 €1,00 €
IV0,26 €0,12 €0,26 €0,12 €

Exemple 1 : Pour un studio de 31 m2, la surface moyenne par habitant à Paris selon l’Insee, le prix de base d'un bien en catégorie IV est de 0,26 euro sur les 10 premiers m2. Chaque m2 suivant est facturé 12 centimes. Résultat, la valeur locative mensuelle est de... 5,12 euros par mois.

Exemple 2 : Faisons le même calcul, toujours dans l'agglomération parisienne, avec un bien de 31 m2 dans la catégorie la plus « chic » où le prix des 10 premiers m2 est de 12,46 euros et les suivants de 7,38 euros. Là, le loyer mensuel ne pourra pas excéder 279,58 euros. Bien moins cher que les 1 079 euros nécessaires, en moyenne, pour louer une surface de 31m2 dans la capitale, selon une étude récente menée par LocService.fr.

Exemple 3 : Prenons un grand appartement de 100 m2 « situé dans une construction en matériaux de bonne qualité mais d'aspect ordinaire, et habituellement dépourvue d'ascenseur », selon la définition de la catégorie dite II C. La valeur locative mensuelle pour la région parisienne est de 381,50 euros.

Et le bail, il dure longtemps ?

C’est l’autre spécificité de cette loi de 1948. Elle n'impose aucune durée minimale de location. Le locataire a un droit au maintien dans les lieux, sans limitation de durée. Et même en cas de décès, l'époux ou le partenaire de Pacs peut rester à vie dans le logement. Il en va de même pour les enfants mineurs du locataire jusqu'à leur majorité, mais aussi pour ses ascendants et les personnes handicapées à sa charge. Pour que la règle s'applique, il faut que ces proches aient vécu depuis au moins un an avec le locataire.

Les portes de sortie pour le propriétaire sont extrêment limitées. Il existe, pour les logements de bonne voire d'assez bonne qualité, la possibilité d’enclencher un « bail de sortie progressive de la loi de 1948 ». D’une durée de 8 ans, il permet ensuite d’appliquer de nouveau les prix de marché. Mais pour cela, les locataires doivent avoir des revenus supérieurs à un certain plafond (plus de 66 041 euros par an pour un foyer de 4 personnes en Ile-de-France).

Le propriétaire peut toujours essayer de reprendre le logement s’il y effectue des travaux dans 3 cas précis : démolition pour reconstruction, surélévation ou addition de construction. En revanche, il doit proposer au locataire une solution de relogement « conforme à ses besoins ». Idem s’il veut reprendre le logement pour l’habiter ou y installer sa famille. Mais, conditions supplémentaires, ce « congé pour habiter » ne peut pas s’appliquer si le locataire a des ressources annuelles inférieures à 27 381,90 euros (c'est-à-dire 1,5 fois le montant annuel du Smic brut) ou s’il est âgé de plus de 70 ans.

Des effets parfois pervers

C’est la situation à laquelle est confrontée Julie [le prénom a été modifié, NDLR]. Il y a une quinzaine d’années, elle a hérité d’un appartement de 58 m2… et de sa locataire de 90 ans qui y vit seule. Le loyer de ce logement, situé dans le chic quartier du Panthéon, est de 165 euros par mois ! Une très bonne affaire pour l'occupante. D’autant plus qu’elle est, dans le même temps, propriétaire d’un autre appartement à Paris, qu'elle loue, bien sûr, au prix du marché...

Or, Julie a dû débourser 50 000 euros pour un ravalement de façade en 2007. Une grosse somme pour celle qui était encore étudiante à l'époque. Ce qui l'a poussée a demander à sa locataire de quitter le logement pour qu'elle puisse le louer au prix du marché. « Elle a fait la sourde oreille », se souvient Julie qui, non seulement ne gagne pas d’argent avec ce bien, mais en perd. Sa seule porte de sortie : le décès de la locataire. Julie pourra alors reprendre possession de son appartement, le rénover, et même le relouer : « Pas à un prix exorbitant, juste pour que cela couvre mes charges ».