Statut
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La Cour de cassation sanctionne enfin la Cour d'appel de Paris ! :)
(22 mai 2019, n° 18-16.281)



Depuis un certain temps déjà, pour débouter les emprunteurs qui demandaient la nullité de la stipulation de l'intérêt contractuel de leur prêt, soit parce que leurs intérêts avaient été calculés en utilisant un diviseur 360, soit parce que leur TEG était erroné, la Cour d'appel de Paris considérait que : « l’emprunteur ne saurait, sauf à vider de toute substance les dispositions d’ordre public des articles L312-1 et suivants du Code de la consommation, disposer d’une option entre nullité ou déchéance… », en expliquant que les lois spéciales (dites lois Scrivener 2 - loi n° 79-596 du 13 juillet 1979 relative à l'information et à la protection des consommateurs dans le domaine des crédits immobiliers), gouvernant l'article L.312-33 du code précité, dérogent aux lois générales de l'article 1907 du Code civil, et ce en matière de crédits immobiliers (voir l'arrêt de la Cour d'appel ci-joint, qui vient d'être cassé).

Cette façon de voir était contraire au droit des contrats de prêts d'argent puisque l'article L.312-33 évoqué ne s'intéresse qu'au formalisme de l'offre, et en aucun cas à l'offre acceptée devenue de facto contrat de prêt.

Il s'avère que les Magistrats de province ont souvent tendance à copier leurs homologues parisiens, au risque d'appliquer le droit n'importe comment, ainsi que je m'en suis ouvert ici, dans une précédente publication, à propos de la Cour d'appel d'Aix-en-Provence, qui pendant des années s'est efforcée d'expliquer que l'emprunteur avait le choix d'une double action (nullité ou déchéance), pour en 8 jours de temps retourner sa veste et suivre un raisonnement critiquable, au risque d'une trahison de la sécurité juridique (il s'agissait en effet des mêmes magistrats et de la même Chambre - je vous renvoie à mes publications sur ce sujet).

Il est certain que cette façon de voir des Magistrats d'appel est regrettable, et dans tous les cas contraire à la position de la Cour de cassation qui rappelle régulièrement que la déchéance du droit aux intérêts de l’article L.312-33 du Code de la consommation ne permet seulement de sanctionner que l'inobservation du formalisme prévu aux articles L.312-7, L.312-8, L.312-14, deuxième alinéa, et L.312-26 du même code (10 mai 2000, n° 97-17.412 ; idem 4 juin 2002, n° 99-21.769 - arrêts publiés).

C’est dire que le formalisme de l’offre de prêt ne retentit pas sur la validité du contrat de prêt : que le formalisme soit ou non respecté, le prêteur reste tenu de débloquer le capital et l’emprunteur obligé de le rembourser.

En d'autres termes, le formalisme d’une offre ne peut donc pas éclipser la nécessité d’une rencontre des volontés pour nouer le contrat, et particulièrement la clause de stipulation d’intérêt.

Il est manifeste que dans l'arrêt qui a été cassé, en statuant comme il l'on fait, les Magistrats parisiens avaient manifestement opéré une confusion entre droit de la consommation et règles du droit général. Ils ne pouvaient en effet, de leur propre chef, appliquer par analogie la sanction prévue par l’ancien article L.312-33 du Code de la consommation.

En effet, le législateur, lorsqu’il a instauré le formalisme prévu par les dispositions particulières des articles L.312-8 et L.312-33, n’a pas entendu priver l’emprunteur de la possibilité de se prévaloir également des dispositions impératives de l’article 1907 du Code civil relatives à la fixation par écrit du taux d’intérêt dans l’acte de prêt d’argent.

Dès lors, la sanction concernant l’information précontractuelle de l’offre n’a pas vocation à primer sur les dispositions générales s’imposant à l’écrit constatant un contrat de prêt, relevant d’une obligation contractuelle d’ordre public.

Ainsi, la Cour de cassation avait déjà eu l’occasion de préciser une nouvelle fois, le 9 décembre 2015, en confirmant sa position du 18 février 2009, qu’il n’y avait pas de conflit entre les textes applicables en matière de nullité et de déchéance, rappelant que les sanctions prévues, qui peuvent se chevaucher sans se contredire, n’ont pas les mêmes caractères et peuvent coexister, d’autant plus que ces textes couvrent deux périodes différentes de l’opération de crédit : la mise sur le marché d’une offre et le consentement de l’emprunteur au coût total, intérêts et accessoires, de l’opération financière (9 déc. 2015, 14-24.543 ; idem : 18 fév. 2009, n° 05-16.774).

Et pourtant, malgré une telle position explicite de la Haute Cour, les Magistrats parisiens persistaient à faire de la résistance, envers et contre tout, en n'appliquant pas le droit et en se foutant royalement de la façon de voir de la Cour de cassation. En entraînant par là de nombreux Magistrats de province.

Par ce nouvel arrêt du 22 mai 2019, la Haute Juridiction sanctionne sévèrement la Cour d'appel de Paris :

« Vu les articles L. 312-33, L. 313-1 et L. 313-2 du code de la consommation […]

Attendu que, pour dire irrecevable la demande de l’emprunteur tirée de l’inexactitude tant du TEG que des intérêts conventionnels dans l’acte de prêt, l’arrêt retient que celui-ci ne disposait pas d’option entre nullité ou déchéance, et qu’il pouvait invoquer la seule déchéance du droit aux intérêts ;

Qu’en statuant ainsi, alors que l’inexactitude du TEG dans un acte de prêt est sanctionnée par la nullité de la stipulation d’intérêts, la cour d’appel a violé les textes susvisés.
»

J'ai l'impression qu'après cette petite fessée :) , rien ne sera plus comme avant à Paris, et bientôt sûrement dans les Cours d'appel de province.

Il était grand temps d'un sérieux rappel à l'ordre (et au droit) des Magistrats de la Cour d'appel de Paris.

Je reste persuadé que cet arrêt de cassation sera très vite commenté par les auteurs professionnels, dans un avenir plus ou moins proche, mes propos n'engageant ici que le modeste observateur que je suis, sans aucune formation au droit.

Chercheur de Jurisprudences
Merci pour cette info très intéressante. Cet arrêt constitue bien un revirement, jusqu’ici, en matière de prêt immobilier, lorsque l’irrégularité affectant le TEG figurait dans l’offre de prêt, seule la déchéance de tout ou partie du droit aux intérêts était encourue par application de L 312-33 (ancien) du code de la consommation (Civ. 1, 25 février 2016, n° 14-29.838 - Civ. 1, 22 juin 2017, n° 16-17.574). On nous expliquait que cet article L 312-33 constituait une règle spéciale, exclusive de l’article 1907 du code civil sur lequel repose la substitution de taux.

Cet arrêt Civ. 1, 22 mai 2019 n° 18-16.281 rendu dans une affaire où l’offre n’avait pas été suivie d’un acte notarié écarte donc L 312-33 au profit de 1907 en cas d’erreur sur le TEG.

Tant mieux, mais l’embellie risque d’être de courte durée : la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un Etat au service d’une société de confiance » (sic) habilite le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, « toute mesure visant à modifier la réglementation relative au taux effectif global, en vue notamment de prévoir des sanctions civiles proportionnées au préjudice effectivement subi par l’emprunteur ». On peut craindre le pire.
 
Tant mieux, mais l’embellie risque d’être de courte durée : la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un État au service d’une société de confiance » (sic) habilite le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, « toute mesure visant à modifier la réglementation relative au taux effectif global, en vue notamment de prévoir des sanctions civiles proportionnées au préjudice effectivement subi par l’emprunteur ». On peut craindre le pire.

Tant que l'on orientera l'argumentation pour amener le juge à statuer sur les fondements du droit des contrats, comme le fait la Cour de cassation, c'est-à-dire sur l'absence de consentement de l'emprunteur au coût global du prêt, ce sera toujours la nullité de la stipulation de l'intérêt contractuel qui servira de socle à la sanction, consistant en la substitution du taux légal à l'intérêt conventionnel.

Pas de rencontre des volontés = nullité relative du contrat = substitution du taux d'intérêt légal à l'intérêt conventionnel, car dans le contrat seul subsistera le droit à rémunération du prêteur, l'intérêt contractuel ayant été annulé (article 1907 du CC). Il n'y a pas d'autre sanction possible, nous sommes dans le droit sacré des obligations, et aucune Ordonnance ne pourrait permettre de moduler la sanction.

Donc, avec un bon dossier (et un bon avocat), vous pouvez dormir sur vos deux oreilles :)
 
Un exemple concret d'une décision qui ne pourra plus exister grâce à la mise au point de la Cour de cassation ce 29 mai 2019...

Quand les Magistrats de Pau interprètent les textes et une jurisprudence qui a longtemps statué hors des clous
(Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 28 mai 2019, n° 17/01480) :

« Selon une jurisprudence constante, il résulte des dispositions combinées de ce texte et de celles des articles L 313-1 et R313-1 du Code de la consommation que la nullité de la clause relative aux intérêts, accompagnée d’une substitution du taux légal au taux erroné est encourue, lorsque l’erreur sur le taux effectif global affecte le contrat de prêt. L’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel entraîne la substitution du taux de l’intérêt légal au taux conventionnel, à compter de la date du prêt. Cette sanction, contrairement à la précédente, n’est pas facultative.

S’agissant de l’articulation entre ces deux actions, la jurisprudence a pu préciser que la mention dans un contrat de prêt d’un TEG erroné est sanctionnée par la nullité de la stipulation contractuelle, sauf si cette mention apparaît dès l’offre, auquel cas la déchéance du droit aux intérêts est seule encourue, dans les proportions définies par le juge, en application de l’article L 312-33 du Code de la consommation.
»

Merci à la Haute Cour d'avoir remis les pendules à l'heure ! :)
 

Pièces jointes

  • CA Pau 2e ch sect 1 28 mai 2019 n 1701480.pdf
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Tant mieux, mais l’embellie risque d’être de courte durée : la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un Etat au service d’une société de confiance » (sic) habilite le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, « toute mesure visant à modifier la réglementation relative au taux effectif global, en vue notamment de prévoir des sanctions civiles proportionnées au préjudice effectivement subi par l’emprunteur ». On peut craindre le pire.
Dans les douze mois suivant la promulgation d'une loi. Il n'est pas ici question d'une loi. Et il n'est pas question de rétroactivité.
 
Tant mieux, mais l’embellie risque d’être de courte durée : la loi n° 2018-727 du 10 août 2018 « pour un Etat au service d’une société de confiance » (sic) habilite le gouvernement à prendre par ordonnances, dans un délai de douze mois à compter de la promulgation de la loi, « toute mesure visant à modifier la réglementation relative au taux effectif global, en vue notamment de prévoir des sanctions civiles proportionnées au préjudice effectivement subi par l’emprunteur ».

la crise des gilets jaunes et le mauvais score de La REM aux européennes n'inciteront pas le gouvernement à prendre par ordonnance une telle mesure.

De plus comme le souligne à juste titre @Jurisprudence, le droit des obligations n'est pas concerné par le "préjudice effectivement subi par l'emprunteur" qui relève du droit de la responsabilité.

de plus cette disposition me semble bien s'apparenter à un cavalier législatif, je me demande si nous n'avons pas postés quelques mots à l'époque de sa publication.
 
Un exemple concret d'une décision qui ne pourra plus exister grâce à la mise au point de la Cour de cassation ce 29 mai 2019...

Quand les Magistrats de Pau interprètent les textes et une jurisprudence qui a longtemps statué hors des clous
(Cour d'appel de Pau, 2ème ch - section 1, 28 mai 2019, n° 17/01480) :

« Selon une jurisprudence constante, il résulte des dispositions combinées de ce texte et de celles des articles L 313-1 et R313-1 du Code de la consommation que la nullité de la clause relative aux intérêts, accompagnée d’une substitution du taux légal au taux erroné est encourue, lorsque l’erreur sur le taux effectif global affecte le contrat de prêt. L’annulation de la stipulation de l’intérêt conventionnel entraîne la substitution du taux de l’intérêt légal au taux conventionnel, à compter de la date du prêt. Cette sanction, contrairement à la précédente, n’est pas facultative.

S’agissant de l’articulation entre ces deux actions, la jurisprudence a pu préciser que la mention dans un contrat de prêt d’un TEG erroné est sanctionnée par la nullité de la stipulation contractuelle, sauf si cette mention apparaît dès l’offre, auquel cas la déchéance du droit aux intérêts est seule encourue, dans les proportions définies par le juge, en application de l’article L 312-33 du Code de la consommation.
»

Merci à la Haute Cour d'avoir remis les pendules à l'heure ! :)


Idem pour l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux
(Cour d'appel de Bordeaux, 1ère chambre civile, 27 mai 2019, n° 17/04805)


On ne pourra plus lire :

« L’article 1907 alinéa 2 du code civil ne créée pas une cause de nullité de la clause d’intérêt en cas d’inexactitude du calcul du taux effectif global.

En outre, la nullité de la clause d’intérêts figurant dans l’offre de prêt, en cas d’inexactitude du taux n’est pas légalement prévue à l’article L. 312-33 dernier alinéa, devenu L. 341-34 du code de la consommation, qui sanctionne par la déchéance éventuelle du droit aux intérêts conventionnels, la mention erronée du taux effectif global figurant dans l’offre de crédit immobilier, en méconnaissance de l’article L. 312-8, devenu L. 313-25 du même code. Il s’agit là d’une sanction spécifique, distincte de la nullité de la clause d’intérêts par son objet, ses conditions de mise en 'uvre et ses conséquences.

Même si elle est recevable, en l’absence de fin de non-recevoir prévue à ce titre par l’article 122 du code de procédure civile, la demande principale de Mme X ne peut qu’être rejetée comme dépourvue de fondement légal.

Il n’y a donc pas lieu à application du taux légal, ni à remboursement des intérêts par la banque dans le cadre de mesure de restitution consécutives à une nullité.
»

:)
 

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  • CA Bordeaux 1re ch civ 27 mai 2019 n 1704805.pdf
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Maître M. commente l'arrêt de la Cour de cassation, qui sanctionne la Cour d'appel de Paris (22 mai 2019, n° 18-16.281)

Mon intuition était bonne, Maître M. vient de s'exprimer sur la décision de la Haute Cour, que j'ai évoquée ci-dessus.

Comme toujours, nous ne pouvons qu'apprécier la subtile analyse dont ce grand spécialiste (entre autres) des taux de crédit nous fait profiter, véritable aide précieuse dans nos recherches de la “vérité“.

Merci infiniment à Maître M. !

analyse de l'arrêt
Bonjour @Jurisprudence

En parcourant l'article de Maître M. j'ai remarqué qu'un arrêt de cassation (publié) est repris dans les moyens.

Je ne crois pas que nous ayons déjà évoqué cet arrêt qui est pourtant limpide :

MAIS SUR LE SECOND MOYEN :
VU LES ARTICLES 1134 ET 1907 DU CODE CIVIL; ATTENDU QU'EN MATIERE CE PRET D'ARGENT CONSENTI A TITRE ONEREUX, ET A DEFAUT DE VALIDITE DE LA STIPULATION CONVENTIONNELLE D'INTERETS, IL CONVIENT DE FAIRE APPLICATION DU TAUX D'INTERET LEGAL A COMPTER DE LA DATE DU PRET; ATTENDU QU'EN N'ACCORDANT LES INTERETS AUX LEGAL QU'A COMPTER DE LA MISE EN DEMEURE DE PAYER FAITE PAR LA CRCAMM, LE TRIBUNAL D'INSTANCE A VIOLE, PAR FAUSSE APPLICATION, LES TEXTES SUSVISES;

Il date de 1981.

D'ailleurs, il y a aussi application du taux légal sans variation....

El Crapo
 

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  • Cour de Cassation, Chambre civile 1, du 24 juin 1981, 80-12.903, Publié au bulletin | Legifra...pdf
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