Depuis maintenant 6 mois, tout emprunteur immobilier peut changer d’assurance de prêt, et ce même s’il a souscrit son crédit voici 2, 5, 10 ou même 15 ans ! Mais la démarche n’est pas devenue un jeu d’enfant pour autant.

Pour obtenir un bilan chiffré fiable, il faudra probablement attendre 2019 et les statistiques de la Fédération française de l’assurance (FFA) ou du régulateur du secteur, l’ACPR. Pour l’heure, difficile donc d’apprécier à quel point l’amendement Bourquin, ou « loi Bourquin », a bousculé le marché de l’assurance emprunteur, sauf à s’en remettre au ressenti des acteurs du secteur.

« Des niveaux de demandes bien plus modérés que ce que l’on anticipait »

« Début 2018, après la décision du Conseil constitutionnel, nous avons effectivement vu les demandes arriver », décrit Henri Le Bihan, directeur général adjoint de Crédit Agricole Assurances . « Mais nous sommes sur des niveaux de demandes bien plus modérés que ce que l’on anticipait. De l’ordre de 2% de notre portefeuille en assurance emprunteur sur les Caisses régionales du Crédit Agricole et LCL. » L’inquiétude du début d’année semble pour l’heure avoir laissé place au soulagement, d’autant que « ce marché est occupé par des acteurs très dispersés. »

L’un de ces acteurs alternatifs, Patrick Petitjean, fondateur et CEO du « courtier souscripteur » Utwin, livre une impression relativement proche : « Nous notons beaucoup de facturations [demande de devis, NDLR] de curiosité depuis le début de l’année. » Autrement dit : des emprunteurs sensibilisés mais que ne vont pas forcément au bout de la démarche. Pourquoi ? Explication en cinq points.

1 – Ce qui a changé en 2018

Depuis le début 2018, vous pouvez changer d’assurance de prêt immobilier quelle que soit l’année de souscription du crédit. Une possibilité ouverte une fois par an, à la date d’échéance annuelle du contrat d’assurance. Une fois cette date identifiée, il faut prendre en compte le préavis de 2 mois pour l’envoi de la demande de résiliation et de substitution d’assurance à sa banque.

Lire aussi : Comment changer d’assurance de prêt immobilier en 2018 ?

2 – Le flou sur la date à prendre en compte

Problème : d’une part, la date d’échéance n’est le plus souvent pas mentionnée dans le contrat d’assurance ; d’autre part, les banques ne s’appuient pas toutes sur la même pratique. Date de signature de l’offre de prêt ? C’est le choix le plus courant dans le milieu bancaire. Mais certains réseaux se basent sur la date d’adhésion au contrat d’assurance (Crédit Agricole), d’autres sur la date de prélèvement de la première échéance, ou sur la date d’édition de l’offre de prêt. Si bien que la Fédération bancaire française a publié un « bon usage professionnel » sur le sujet : chaque banque doit afficher sur son site la date qu'il choisit en référence.

Lire à ce propos : Les banques doivent afficher clairement la date de substitution de l’assurance de prêt

« La FBF s’est voulue pragmatique », développe Henri Le Bihan, de Crédit Agricole Assurances. « Ce qui est ressorti des échanges au CCSF, c’est que les clients veulent savoir quelle est la date à prendre en compte dans leur banque. Cela doit maintenant être clairement affiché. » Une norme qui « va dans le bon sens » selon Patrick Petitjean, d’Utwin, même s’il estime que « la meilleure solution serait l’uniformisation de la date d’échéance annuelle, en optant pour la date anniversaire de l’offre de prêt ».

3 – Des banques qui cherchent à vous décourager

Avant l'application de cette norme, certaines banques utilisaient l’ambiguïté de la date anniversaire pour contrer les velléités de départ des emprunteurs assurés : « Cela leur permet de renvoyer le client à l’année suivante pour changer d’assurance », appuie Patrick Petitjean. Ce sont les fameuses manœuvres dilatoires des banquiers pour décourager leurs clients de changer d’assurance : une pratique semble-t-il courante et déjà à l’œuvre suite aux lois Lagarde ou Hamon, censées faciliter la concurrence sur ce marché.

« La profession a été pointée du doigt sur les entraves à la réglementation », reconnaît Henri Le Bihan, de Crédit Agricole Assurances, qui a été l'un des rares à accepter de répondre à nos questions sur le sujet. « Au Crédit Agricole, nous respectons le délai de 10 jours ouvrés prévus par la loi dans 98% des cas. Nous ne pouvons pas atteindre les 100% pour des raisons opérationnelles », affirme-t-il.

Une contre-proposition pour « tous les emprunteurs qui se présentent »

Au-delà des techniques visant à faire traîner les dossiers de résiliation, les banques ont d’autres cordes à leur arc pour conserver leurs clients : elles répondent par une contre-proposition, avec le plus souvent à la clé une cotisation mensuelle revue à la baisse. « La banque s’aligne sur le tarif », confirme Patrick Petitjean, d’Utwin. « Tant mieux pour le client, mais ce type de comportement montre qu’elles ne respectent pas leurs clients. »

Henri Le Bihan, de Crédit Agricole Assurances, assume, et décrit la réaction du banquier face au client se présentant avec une offre d’assurance de prêt alternative : « Le conseiller bancaire commence par vérifier si le client a une proposition d’un autre assureur entre les mains. Si c’est le cas, nous rétablissons les ordres de grandeurs : les économies promises de 10 000 ou 15 000 euros sur l’ensemble de la durée de remboursement ne concernent qu’une petite minorité de client. Proposition alternative ou non, nous faisons dans tous les cas une contre-proposition. »

4 – Des promesses déçues ?

De nombreux comparateurs et assureurs alternatifs annoncent en effet des économies potentielles jusqu’à 15 000 euros. Certains emprunteurs peuvent être déçus en réalisant une simulation car ces montants correspondent surtout à de bons dossiers, pour des emprunteurs jeunes et en début de prêt. Par ailleurs, il y a parfois un décalage entre la simulation et le devis final, comme le signalait en début d’année Isabelle Tourniaire, du cabinet spécialisé BAO, en affirmant que les comparateurs « ne prennent pas en compte l’équivalence des garanties ».

De fait, les comparateurs peuvent identifier un contrat d’assurance, puisque l’internaute indique la durée de remboursement restante et sa banque prêteuse, mais sans connaître la situation précise de l'assuré. Ce dernier a pu profiter d’une remise tarifaire de son assureur-banquier à la signature, ou son contrat peut cacher des particularités. Le plus souvent, le gain réel n’est ainsi connu qu’une fois que l’internaute a lancé la démarche de demande de délégation, après avoir rempli le questionnaire médical, etc. Une démarche qui réclame donc plus qu’une poignée de minutes derrière un ordinateur…

5 – Le marché va continuer d’évoluer

« Beaucoup de gens se renseignant sur le sujet ou lançant les démarches sont découragés par la complexité et la résistance que leur oppose leur banque », juge Patrick Petitjean. Sa société Utwin propose des offres d’assurance emprunteur élaborée avec des mutuelles ou assureurs (Harmonie, Malakoff-Médéric, etc.). Les souscriptions ne se font ainsi pas uniquement via les comparateurs mais aussi via les sociétés de complémentaires santé partenaires. Celles-ci contactent directement leurs clients pour leur proposer une solution alternative. Patrick Petitjean reconnaît que le marché est pour l’heure assez éclaté, avec « pléthore d’offres » : « Il va se stabiliser d'ici 2 ou 3 ans. »

« Une nouvelle offre » pour le Crédit Agricole et LCL en 2019

Selon les derniers chiffres disponibles, l’assurance de banques accapare 85% du marché du prêt immobilier, et l’assurance déléguée 15%. « 15%, c’est sur le stock », tempère Henri Le Bihan, de Crédit Agricole Assurances. « Sur le flux de nouvelles souscriptions, l’assurance en délégation représente plutôt 30% voire 40%. » Les clients optant pour la délégation d’assurance étant très majoritairement de jeunes emprunteurs, les plus anciens se montrant selon lui peu concernés par ce sujet.

Si la résiliation annuelle n'est pas encore la révolution annoncée, elle aura fait bouger quelques lignes. « Nous allons lancer une nouvelle offre l’an prochain », annonce ainsi le DG adjoint de Crédit Agricole Assurances. « Elle sera plus modulaire, avec plusieurs possibilités tarifaires : les cotisations pourront être calculées sur le capital initial, comme aujourd’hui, ou sur le capital restant dû. »

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