Selon les estimations de l’Insee, la hausse des prix à la consommation en France a accéléré sur un an, atteignant 2% en mai. Le retour de l’inflation est en théorie une bonne nouvelle pour les emprunteurs, celle-ci permettant au fil du temps de diminuer le poids de leur dette. Alors est-ce le bon moment de souscrire un crédit immobilier ? Réponses de Stéphane Déo, stratégiste à La Banque Postale Asset Management.

Les économistes expliquent que l’inflation est propice à l’endettement. Est-ce que les particuliers intègrent effectivement ce paramètre à leur stratégie et s’endettent davantage en période d'inflation ?

Stéphane Déo : « En théorie, l’inflation est effectivement propice à l’endettement. Imaginez que vous ayez contracté un crédit immobilier à 2%. Si vous avez 2% d’inflation salariale par an, le coût de votre emprunt ne représentera rapidement plus grand-chose… La hausse de votre salaire couvrant les intérêts. Et au bout de quelques années, si l’inflation perdure, c’est comme si vous aviez emprunté à taux zéro. Le problème de ce raisonnement opportuniste est qu’il ne prend pas en compte l’évolution des taux d’intérêt. Ces derniers ont tendance à s’ajuster avec la hausse des prix : quand l’inflation accélère, les taux augmentent aussi. Ainsi dans les années 1980, lorsque l’inflation culminait à 10%, les particuliers empruntaient pour leur achat immobilier à 12%, 13%, 14%. »

L’inflation des salaires est logiquement favorable à l’endettement. Mais la hausse des prix actuelle provient plutôt des matières premières. Est-ce que cela a une incidence ?

« La hausse du prix du pétrole représente sur un an une ponction d’environ 1,5% sur le revenu des ménages. »

S.D. : « La distinction entre inflation salariale et inflation importée [inflation due aux produits importés et aux variations des taux de change, NDLR] est en effet importante à souligner. La récente progression de l’inflation est essentiellement due au pétrole. Le cours du baril a fortement augmenté ces derniers mois. Et l’euro a baissé contre le dollar, renchérissant davantage le coût de son importation. L’inflation actuelle est donc une ''mauvaise'' inflation, qui diminue le pouvoir d’achat des Français. D’après nos calculs, la hausse du prix du pétrole représente sur un an une ponction d’environ 1,5% sur le revenu des ménages. »

La situation actuelle est-elle donc favorable aux emprunteurs ?

S.D. : « L’inflation actuelle n’est pas favorable à l’endettement. Toutefois, les conditions monétaires et les taux d’intérêt très bas restent, eux, extrêmement favorables au crédit. Depuis plusieurs trimestres, l’enquête réalisée par la Banque centrale européenne auprès des établissements bancaires montre ainsi qu’ils sont enclins à assouplir leurs conditions d’octroi. »

L’environnement de taux bas, et plus récemment la reprise de l’inflation, ont un impact négatif sur la rémunération de l’épargne. Les ménages n’ont-ils donc pas davantage intérêt à dépenser et désépargner ?

S.D. : « Les taux bas et l’inflation posent effectivement problème à nos clients. Ils font face à un dilemme exacerbé : prendre du risque pour avoir une espérance de rendement, ou préserver leur argent mais perdre du pouvoir d’achat. En effet, les placements sans risque offrent aujourd’hui des rendements extrêmement faibles, qui ne protègent plus de l’inflation. Les emprunts d’Etat français à 30 ans sont rémunérés à 1,7%. Résultat, si vous bloquez votre argent sur 30 ans, vous n’obtenez que du 1,7%. Dans ces conditions, l’épargne liquide n’a aucun intérêt. Et l’inflation plaide en faveur des actions ou de l’investissement immobilier pour profiter des taux bas. »

Pensez-vous que la progression de l’inflation va perdurer dans les prochains mois ?

« L'inflation française devrait atteindre un pic en juillet-août. »

S.D. : « Portée par les matières premières, l’inflation française, européenne comme américaine devrait progresser et atteindre un pic en juillet-août. A moyen terme, et ce en dépit du sursaut de la croissance économique, nous estimons qu’elle devrait rester à un faible niveau. La reprise actuelle a en effet quelque chose d’inhabituelle. Elle ne s’accompagne pas de pression inflationniste. Bien que le chômage baisse, les salaires varient peu. »

Comment expliquez-vous cela ?

S.D. : « De notre point de vue, il y a plusieurs forces structurelles qui ont changé la donne : la globalisation de l’économie qui permet d’importer des biens à bas coût, l’ubérisation qui intensifie la concurrence par les prix, et les changements sur le marché de l’emploi. Ces derniers font que le pouvoir de négociation est plutôt du côté de l’employeur. Selon nous, ces forces structurelles vont maintenir la hausse des prix à des niveaux modérés, si bien que l’objectif d’inflation à 2% de la BCE pourrait ne pas être tenu de manière pérenne. »