Branle-bas de combat ! Plusieurs courtiers annoncent les premières remontées de taux après des mois de baisses ininterrompues. Faut-il vraiment s’affoler et accélérer les demandes de prêt ou de renégociation ? Pas sûr.

La période dorée des taux au plus bas ne pouvait durer indéfiniment : « Ça y est, ils remontent ! », annoncent dans les médias plusieurs réseaux de courtage en crédit depuis la mi-novembre. La bascule serait en train de s'opérer, mais de façon désordonnée. Dans des communiqués diffusés la semaine passée, VousFinancer et Credixia citent des hausses de 0,02 à 0,50 point dans deux banques, « selon les profils d’emprunteurs et les durées de prêt ». Une semaine plus tôt, Cafpi basait son argumentation sur la volonté affichée des banques partenaires de relever leurs taux. Mais les mouvements s’avèrent erratiques à en croire Cécile Roquelaure, porte-parole d’Empruntis.

Autre illustration de ces hésitations : les banques en ligne Boursorama et ING Direct ont modifié leurs taux d’appel le 16 novembre. La première à la hausse, la seconde à la baisse. Avant qu’ING Direct ne se ravise en augmentant son taux le 30 novembre. Dans son baromètre mensuel publié aujourd’hui, Meilleurtaux annonce un taux fixe moyen sur 15 ans inchangé, à 1,33%, une moyenne sur 20 ans de 1,59% contre 1,52% un mois plus tôt, et de 1,85% sur 25 ans, comme au début du mois de novembre. Bref, pas encore de « hausse généralisée » selon Meilleurtaux. Pascal Beuvelet, président d’In&Fi Crédits, réfute lui tout mouvement notable : « Il n’y a pas de hausse. Les variations sont mineures », explique-t-il. « Je soupçonne certains courtiers de colporter le message de la hausse des taux pour de purs arguments commerciaux », en cherchant à presser les emprunteurs hésitants. Ces divergences de lecture ressemblent grandement à la situation du printemps 2015.

Lire l’article de mai 2015 : Les taux de crédit immobilier remontent-ils vraiment ?

Pour quel résultat ? Les taux avaient effectivement augmenté, mais très légèrement et de façon ponctuelle. La moyenne globale mesurée par l’observatoire Crédit Logement-CSA était passée de 2,01% en juin 2015 à 2,23% en octobre, avant d’entamer une nouvelle baisse, jusqu’à atteindre les records actuels. Bref, le rebond tant redouté à l’époque s’est transformé en mini-rebond. Bis repetita ?

Une conséquence indirecte de l’élection de Trump ?

« Pour les particuliers, des taux plus bas qu’aujourd’hui, c’est quasi impensable », juge Alexandre Mirlicourtois, directeur de la conjoncture et de la prévision du cabinet d’études Xerfi. Deux éléments expliquent selon lui une probable bascule. Premier élément : « Le marché du crédit immobilier est ultra-concurrentiel et les marges des banques sont aujourd’hui extrêmement réduites. » Second élément : l’élection de Donald Trump aux Etats-Unis. « Il souhaite relancer l’investissement grâce à une politique budgétaire ultra agressive », explique l’économiste. Une volonté affichée qui a provoqué une hausse des taux d’intérêt outre-Atlantique. Puis, par effet ricochet, des taux des emprunts d’Etat français (OAT). Cette « tension sur les taux longs » va pousser les banques à adapter leurs conditions de financement pour le crédit immobilier, car les banques ne peuvent plus rogner sur leurs marges selon Alexandre Mirlicourtois.

Cette analyse, basée sur le rebond récent des OAT 10 ans, est reprise par plusieurs courtiers. Une lecture que ne partage pas Pascal Beuvelet : « Il y a un amalgame sur les OAT », le président d’In&Fi Crédits réfutant tout lien direct entre cet indicateur et les taux immobiliers : « La BCE prête toujours aux banques à 0%. Aujourd’hui, il n’y a aucune raison technique que les taux remontent. » Pascal Beuvelet se fie au niveau de l’inflation qui, lui, reste très bas (0,5% sur un an en novembre) malgré un léger sursaut ces derniers mois.

Des avis concordants sur une « lente remontée » en 2017

Si les analyses divergent pour le court terme, elles convergent sur le plus long terme. Dans sa dernière analyse trimestrielle du marché immobilier, le Crédit Agricole pronostiquait une « lente remontée » en 2017. Ce discours fait globalement consensus. « Il ne faut pas avoir peur d’une remontée rapide », affirme ainsi Arsalain El Kessir, PDG de BourseDesCrédits. « Les taux resteront bas longtemps : on ne retrouvera pas le niveau de la fin 2015 dès le premier trimestre 2017 ! » L’économiste Alexandre Mirlicourtois balaie lui aussi tout risque « d’emballement ». Même Pascal Beuvelet, au discours par ailleurs dissonant, juge plausible la remontée à plus long terme : « On annonce un retour de l’inflation, mesuré, en 2017. Les taux immobiliers devraient suivre mais ce sera très lent : il ne faut pas paniquer ! »

Quelques euros en plus chaque mois

Quel impact pour une remontée de 0,10 ou 0,20 point ? Hors assurance, un particulier empruntant 200.000 euros sur 20 ans à 1,40% devra s’acquitter de mensualités de 956 euros. Si la banque remonte le taux à 1,50% l’échéance passe à 965 euros, et à 974 euros pour du 1,60%. Soit 18 euros de différence, pour un coût total passant de 29.421 euros avec le taux de 1,40% à 33.836 euros avec du 1,60%.

Des embouteillages dans les banques à anticiper

Si le risque d’une flambée des taux immobiliers peut être écarté, les emprunteurs doivent anticiper des délais à rallonge pour leurs demandes de crédit. Car, outre l’aubaine des taux bas, provoquant notamment un afflux de dossiers de renégociation, les prix ont eux déjà amorcé leur remontée : +1,7% sur un an au 3e trimestre 2016 selon l’étude des notaires et de l’Insee. La période est donc effectivement très favorable aux acheteurs potentiels : « Tout le monde veut profiter de cette fenêtre de tir historique », confirme Arsalain El Kessir en évoquant lui aussi des embouteillages dans les banques. Quel délai faut-il prévoir ? « Dans les promesses de vente, le délai indiqué pour l’obtention du prêt est généralement de 45 jours », explique le courtier Pascal Beuvelet. « Aujourd’hui, c’est trop faible, il faut demander au minimum 60 jours ! »

Le taux sur 20 ans quasi divisé par deux depuis 2014

La baisse des taux a été particulièrement marquée en 2016 par rapport à 2015. Selon la dernière étude de l’observatoire Crédit Logement-CSA, le taux sur 20 ans était de 1,41% au mois d’octobre 2016, contre 2,36% en octobre 2015 et 2,72% en septembre 2014.

Voir notre suivi graphique des taux immobiliers