Le gouvernement, la Banque de France… De nombreuses voix pointent la menace pesant sur le prêt immobilier à la française, basé notamment sur le taux fixe. En cause : les négociations en cours au comité de Bâle. La question a même été soumise au vote des députés la semaine passée, lesquels ont adopté une résolution « visant à protéger le système du crédit immobilier français ». Le député Goldberg précise cette position.

Concrètement, pour les emprunteurs, quelle est la menace ?

Daniel Goldberg, député PS de Seine-Saint-Denis à l’origine de la résolution : « Trois éléments du modèle français sont potentiellement menacés. Premièrement, en France, l’immense majorité des emprunts est à taux fixe [la part des taux variable est même devenue ''négligeable'' selon l’observatoire Crédit Logement-CSA, à 0,1% de la production en mai 2016, NDLR]. Et quand les taux variables sont utilisés, ils sont capés, ce qui les empêche d’atteindre de trop hauts niveaux. Deuxièmement, en France, la caution Crédit Logement est grandement préférée à l’hypothèque du bien acheté, plus risquée pour l’emprunteur en cas de problème. Troisièmement — pour moi la menace la plus sournoise —, actuellement, en France, quand un emprunteur formule une demande de financement, son dossier est jugé sur ses revenus, son endettement, etc. La banque ne s’intéresse en rien à la valeur du bien ou au quartier. Or ces trois points, constitutifs du modèle français, sont menacés par une uniformisation du système de crédit en Europe et dans le monde. L’objectif est vertueux : protéger les banques de la prise de risque. Mais en cherchant à harmoniser les modèles, le comité de Bâle pourrait remettre en cause un système qui se distingue justement par sa robustesse. »

Pourquoi ce comité, qui rassemble les gouverneurs de banque centrale d’une trentaine de pays, voudrait-il remettre en cause un système « robuste » ?

D.G. : « Parce que nous sommes minoritaires. On prend pour référence le modèle dominant, anglo-saxon. Ce serait d’ailleurs paradoxal : ce comité international, qui a mis en place la réforme de Bâle III pour éviter une nouvelle crise financière, harmoniserait les règles du crédit immobilier sur le modèle anglo-saxon qui a lui-même conduit à la crise des subprimes [prêts hypothécaires à taux variable, répandus aux Etats-Unis, qui n’ont pas permis aux emprunteurs à faibles revenus de rembourser leurs emprunts, provoquant par effet ricochet la crise financière de 2007-2008, NDLR]. Le modèle français, lui, est gagnant-gagnant, pour la banque d’un point de vue commercial et pour l’emprunteur pour la sécurité. »

Le gouverneur de la Banque de France a pointé cette menace, tout comme le gouvernement. Et maintenant l’Assemblée. Pourquoi cet emballement ?

D.G. : « Le risque de remise en cause du modèle français que l’on voit poindre. C’est la Banque centrale européenne (BCE) qui porte les négociations pour l’Europe. Et ces négociations se déroulent de façon cloisonnée, en chambre. Le problème, c’est que je suis incapable de savoir comment est défendu le point de vue de la France et plus encore celui de l’Europe au comité de Bâle. Nous n’avons aucun compte-rendu de réunion ! »

Quelle peut être la portée de votre résolution, adoptée à l’unanimité à l’Assemblée nationale ?

D.G. : « L’intérêt de ces résolutions, au Sénat [une résolution similaire y a été votée le 18 mai, NDLR] puis à l’Assemblée, c’est d’interpeler la BCE. J’ai demandé aux députés français siégeant au Parlement européen, à Strasbourg, d’alerter sur le sujet. Nous avons aussi demandé que les négociateurs européens qui siègent au Comité de Bâle viennent en France, à l’Assemblée et au Sénat. Enfin, j’aimerais avoir accès aux documents de négociation. Si ces trois objectifs sont remplis, alors notre résolution aura été utile. J’en ajoute un quatrième : que le gouvernement français trouve des alliés, à l’international, pour défendre la différence des modèles de crédit immobilier. »

Mais l’Union européenne peut-elle influencer la BCE ?

D.G. : « C’est tout le problème. La BCE est indépendante, plus que la Fed vis-à-vis du gouvernement américain. »

Si les menaces sur les taux fixes, le cautionnement et l’octroi de crédit basé sur le taux d’endettement se concrétisaient, quand les emprunteurs français seraient-ils touchés ?

D.G. : « Le comité de Bâle émet des recommandations. Après, charge aux banques centrales de les faire respecter. Cela passerait donc par la BCE puis la Banque de France. Le délai serait celui de la traduction des recommandations en France. En ce qui concerne l’achèvement des négociations, on m’a parlé d’une conclusion avant la fin de l’année 2016. »

En 2014, le gouverneur de la Banque de France alertaient les banques sur des taux fixes trop bas. Un retour aux taux variables semble inéluctable…

D.G. : « Je ne nie pas ce problème. La faiblesse des taux constitue un risque, pour les banques, en cas de remontée puisque le taux du prêt immobilier n’évolue pas pendant toute la durée du remboursement. Je ne suis pas banquier. Cependant, la Fédération bancaire française (FBF) m’a confié qu’il n’y avait pas de problème ! A la FBF, on m’a affirmé que même en cas de remontée substantielle des taux d’intérêt, la robustesse des banques françaises ne serait pas remise en cause. Quant aux taux variables, on peut bien entendu revenir à plus d’équilibre. Il y a 10 ans, c’était le cas [En 2004, ils représentaient près de 22% de la production selon Crédit Logement-CSA, NDLR]. L’essentiel, c’est que l’emprunteur puisse choisir dans le cadre de la relation commerciale avec la banque. Mon sujet, c’est d’éviter l’uniformisation ! »

Par le passé, la garantie hypothécaire du prêt était majoritaire… (1)

D.G. : « Revenir à un peu plus d’hypothèque ? Aucun problème ! Là encore, l’important, c’est que l’emprunteur est le choix ! »

Très sincèrement, les négociations sont-elles vraiment mal engagées ?

D.G. : « Si j’ai souhaité porter la question en séance à l’Assemblée, c’est que nous sommes dans le brouillard concernant les négociations au sein du comité de Bâle. Je suis devant un coffre-fort ! Et si la Fédération française du bâtiment (FFB) ne m’avait pas alerté, il y a un an, je n’aurais personnellement jamais su ce qui se tramait. »

Certains échos, dans les médias, commencent à se faire plus rassurants…

D.G. : « Je veux bien faire confiance. Mais encore une fois je n’est pas de compte-rendu de ce qui se passe à Bâle. Donc je veux éviter que l’on se réveille à la fin des négociations et que l’on nous dise : voilà, c’est comme ça ! »

(1) La part de marché du cautionnement bancaire « est passée de 30,3% à 56,3% » entre 2000 et 2012 selon une étude publiée en 2014 par l’UFC-Que choisir. Selon le rapport d’activité 2015 de Crédit Logement, la caution pèse 61% du marché en 2015, contre 36,7% pour l’hypothèque.