Annoncée de longue date, l’offre de crédit immobilier d’ING Direct a fini par émerger début mai dans un contexte porteur, estime Sophie Heller, la directrice générale de la banque en ligne. A qui s’adresse le produit ? Comment se différencie-t-il de la concurrence ? Interview.

Sophie Heller, enrichir le catalogue d’ING Direct avec une offre de crédit immobilier était-il devenu une nécessité ?

« Il nous a semblé en tout cas que c’était le bon moment. Cette évolution répond à deux enjeux. Un enjeu de fidélisation d’abord : nous étions confrontés au départ de clients satisfaits des services d’ING Direct, mais contraints de partir à cause du crédit immobilier, un produit qui s’accompagne en général d’une domiciliation des revenus dans la banque prêteuse. Un enjeu de croissance ensuite : 20% environ des gens qui se renseignent sur notre offre ne donnent pas suite à cause de l’absence de crédit immobilier. C’est aussi le bon moment à cause du contexte de taux bas. Aujourd’hui, nous captons les clients qui changent de banque parce qu’ils sont insatisfaits de la qualité du service et qu’ils paient trop de frais. Mais une autre motivation forte pour changer de banque, c’est l’opportunité de renégocier son crédit immobilier. Jusqu’ici, nous nous coupions de cette clientèle. Le rachat de crédit sera possible dans le cadre de notre offre dès le mois de juin. »

Cette offre a néanmoins mis du temps à émerger…

« Effectivement, et ce à cause de deux événements. Le premier, c’est la crise financière, qui a poussé le groupe ING à donner la priorité à la collecte de dépôts et à la réduction de l’exposition sur le crédit immobilier. Le second, c’est la fusion en France de nos activités de banque de détail et de banque commerciale, un projet compliqué qui a été finalisé l’an dernier. Le projet crédit immobilier a alors pu débuter. Nous avons pris le temps d’en construire l’expérience avec nos clients. Nous souhaitons en effet rester la banque la plus recommandée, et l’expérience de ce produit se doit donc d’être excellente. Ce qui explique notre stratégie de lancement graduel : d’abord à destination des proches des collaborateurs d’ING Direct, puis des clients et enfin de tous depuis le 12 mai. »

Lire par ailleurs : Caractéristiques et tarifs du crédit immobilier ING Direct

Plus concrètement, quelles sont les lignes directrices de cette offre ?

« Nous avons commencé par interroger des personnes ayant eu l’expérience du crédit immobilier dans d’autres banques. Cela nous a permis d’identifier deux besoins, qui correspondent aux deux phases de la souscription. Premier temps : pouvoir obtenir rapidement et facilement une réponse de principe, grâce à internet. Second temps : être accompagné dans la constitution, l’envoi et le suivi du dossier par de vrais spécialistes. Concernant l’envoi du dossier, nous sommes restés traditionnels, avec un envoi de dossier papier, car la numérisation des pièces ne nous paraissait pas apporter de réelle valeur d’usage. Pour résumer, nous proposons une alliance du digital et de l’humain. Evidemment, ce processus est appelé à évoluer en fonction des opportunités d’améliorations qui émergeront. Mais les premiers retours sont déjà très positifs. »

Quelle a été votre ligne directrice en matière de tarification ?

« Nous avons fait le choix de proposer des taux compétitifs, sans pour autant casser le marché. Nous avons aussi voulu simplifier et rendre plus transparents les frais, en particulier pendant la vie du prêt : ne pas faire payer des actes simples, qui ne génèrent pas un gros travail de notre part, par exemple l’édition d’attestation ou d’un tableau d’amortissement. Pour les actes plus complexes, par exemple la mise en place d’un nouveau tableau d’amortissement, nous avons aussi choisi d’afficher un prix fixe, quel que soit le montant restant dû. »

Contrairement à Boursorama, autre banque en ligne disposant déjà d'une offre de crédit immobilier, vous avez choisi de facturer des frais de remboursement anticipé...

« Effectivement, pour pouvoir lancer un produit à taux compétitif, pour afficher la gratuité des actes simples, et surtout pour proposer des options qui nous paraissent capitales pour le client, telles que les 3 mois de différé partiel et la modulation des échéances, nous avons fait le choix de facturer ces frais. »

Le crédit immobilier est un produit complexe, qui nécessite un haut niveau de conseil et d’expertise. Où êtes-vous allé chercher les compétences dans le domaine ?

« L’équipe des conseillers dédiée au crédit immobilier compte aujourd’hui une dizaine de personnes, et grossira au fil du développement commercial du produit. Il s’agit majoritairement de gens recrutés en externe, qui ont travaillé précédemment en agence mais qui ont été séduits par l’idée de vendre des crédits autrement, de manière plus transparente et avec un vrai accompagnement des clients. Nous avons aussi mis en place un programme de formation en interne pour les collaborateurs qui ont envie d’évoluer. Cette équipe de spécialistes, c’est aussi une manière de nous différencier par rapport aux agences, où les conseillers sont souvent généralistes et pas toujours experts sur le crédit immobilier. »

Quel profil de clientèle cherchez-vous à attirer ?

« La même clientèle, en fait, que celle qui vient chez nous pour l’épargne : des profils plutôt CSP+, qui représentent déjà plus de la moitié de notre clientèle, confiants dans l’obtention de leur prêt mais sensibles à la performance et à la qualité de notre service. Notre offre reste accessible, à partir de 80.000 euros, mais la marque ING Direct est attachée à ce positionnement haut de gamme. »

Quels sont vos objectifs commerciaux ?

« Nous n’avons pas fixé d’objectifs quantitatifs cette année, c’est encore trop tôt. La priorité est de roder les processus pour garantir une excellente expérience client. On prévoit de vendre quelques milliers de crédits cette année, puis nous nous fixerons des objectifs plus précis en 2016. Nous tirerons d’abord un premier bilan du lancement en septembre prochain. »

Le marché du crédit immobilier en ligne va encore se développer l’an prochain, avec l’arrivée de BforBank. Qu’en pensez-vous ?

« C’est une bonne chose. A chaque fois qu’arrivent de nouveaux acteurs, cela génère de la communication, du bouche-à-oreille et cela légitime le modèle. Historiquement, plus il y a eu de concurrence, plus nous avons recruté de nouveaux clients. Ce sera aussi le cas avec le crédit immobilier. »

Banque numérique : « La France, un cas à part »

Seule enseigne 100% en ligne à ne pas être adossée à un groupe bancaire disposant d’un réseau d’agences en France, ING Direct est souvent prompte à donner son point de vue sur l’évolution du secteur.

Pour Sophie Heller, « la France est vraiment un cas à part en Europe » : « C’est le seul pays où les grandes banques s’arc-boutent sur leur modèle traditionnel et préfèrent créer des banques en ligne à part » plutôt que de « digitaliser » leur modèle.

Une inertie qui n’est pas le fait, selon elle, du conservatisme de la clientèle, mais qui est le « reflet du marché français » : « Historiquement, le produit d’appel des enseignes de banque directe a été le livret d’épargne. A cause de la place prise par l’épargne réglementée et l’assurance-vie, ce marché est beaucoup plus réduit en France. Concrètement, nous avons pris 5% du marché des livrets fiscalisés en France, et 3% en Allemagne. Mais 3% du marché en Allemagne, cela représente 8 millions de clients, tandis que 5% en France, c’est un million. »