La décision du lundi 23 mars de la Cour d’appel de Bordeaux fera-t-elle jurisprudence comme le pense l’avocat de l’emprunteuse concernée ? Si oui, elle pourrait permettre dans certains cas à des particuliers de résilier, chaque année, leur contrat d’assurance de prêt.

La Cour d’appel de Bordeaux a condamné lundi le CIC Sud-Ouest et deux sociétés d’assurance liées au groupe Crédit Mutuel-CIC dans une affaire les opposant à une personne ayant contracté, auprès d’eux, deux crédits immobiliers et assurances de prêt en 2010. En 2012, la plaignante demande au CIC Sud-Ouest de résilier les deux contrats d’assurance emprunteur afin de leur substituer l’offre de MMA. Le CIC refuse et propose à sa cliente de renégocier ses cotisations d’assurance à la baisse, suite à quoi l’emprunteuse s’est tournée vers la justice.

En première instance, en 2013, le tribunal donne raison à la banque et aux assureurs concernés. Surprise, lundi : la Cour d’appel a rendu une décision contraire en déclarant les demandes de la plaignante « recevables » et en affirmant que le CIC Sud-Ouest a « commis une faute en n’autorisant pas la délégation d’assurance ». Les établissements financiers doivent verser 4.500 euros à la plaignante.

Bataille d’interprétation législative

Les magistrats de la Cour d’appel et la défense de l’emprunteuse se basent sur l’article L113-12 du code des assurances : « L’assuré a le droit de résilier le contrat à l’expiration d’un délai d’un an, en envoyant une lettre recommandée à l’assureur au moins deux mois avant la date d’échéance. »

L’autre camp se base pour sa part sur l’article L312-9 du code de la consommation, dans sa version en vigueur à l’époque des faits. Cet article détaille les conditions d’acceptation d’une autre assurance que celle proposée par la banque, au moment de la formation du contrat et uniquement à ce moment précis. Les établissements financiers estiment donc que cette possibilité n’est ouverte qu’au moment de la souscription du prêt, et pas après.

Une argumentation qui ne convainc donc pas la Cour d’appel de Bordeaux. D’une part parce que le code de la consommation invoqué n’exclut pas la faculté de résiliation en cours de contrat, selon eux, faute de « dispositions spécifiques ». D’autre part car l’article L113-12 du code des assurances est d’ordre public, c’est-à-dire qu’il n’est pas possible d’y déroger par convention (contrat, conditions générales, etc.). Les magistrats de cette Cour d’appel jugent donc qu’il est possible de résilier son assurance de prêt chaque année, comme pour les autres contrats soumis au L113-12 du code en question.

Un pourvoi en cassation probable

La Cour de cassation a dans le passé pris deux décisions allant dans le sens des magistrats de la Cour d’appel de Bordeaux : en 1987 et en 2012 (1). « Mais la loi Evin de 1989 rend caduque la première décision et, pour la deuxième [où la Cour de cassation juge que l’article L113-12 du code des assurances s’applique aux assurances mixtes, dont fait partie l’assurance emprunteur, NDLR], les banques et assureurs font valoir que le code de la consommation est dérogatoire au code des assurances », explique Jérôme Da Ros, l’avocat de la plaignante.

Bref, tout dépend de l’interprétation et Me Da Ros souligne que celle-ci diffère actuellement selon les tribunaux d’instance. L’avocat estime que cette décision peut donc faire « jurisprudence », « les magistrats de premier degré pouvant s’appuyer sur cette décision de la Cour d’appel ». Il affirme d’ailleurs avoir déjà été sondé par des confrères traitant des affaires similaires. « Les enjeux financiers liés à cette décision pourraient se révéler très importants, pour ne pas dire colossaux, tant pour les banques que pour les assureurs », affirme ainsi dans un communiqué la société d’avocats Homère. Reste à connaître les suites de cette affaire : « Je pense qu’il y aura un pourvoi en cassation », convient Me Jérôme Da Ros.

« Tous les contrats signés avant la loi Hamon »

Si cet arrêt de la Cour d’appel de Bordeaux devait être confirmé, il concernerait « tous les contrats (2) signés avant la loi Hamon », dont les évolutions relatives à l’assurance de prêt sont entrées en vigueur au 26 juillet 2014. Depuis, l’emprunteur peut changer d’assureur dans un délai d’un an suite à l’émission de l’offre de prêt.

Quelle incidence pourrait avoir la décision de la Cour d’appel de Bordeaux sur les contrats signés depuis cette date ? « C’est plus délicat », reconnaît Jérôme Da Ros. « La loi Hamon dit que le contrat peut prévoir une résiliation annuelle. S’il n’en prévoit pas, cela pourrait être sujet à interprétation. »

Reste un bémol : si l'arrêt de la Cour d'appel de Bordeaux reconnaît la possibilité de résilier son assurance de prêt en cours de contrat, la banque aura toujours la faculté de refuser une assurance emprunteur au prétexte d'une garantie insuffisante.

(1) Les décisions concernées ont été compilées, avec un avis de la répression des fraudes (DGCCRF), dans une étude publiée en avril 2013 par le cabinet BAO sur le sujet : « étude d’impact de l’application effective de la résiliation annuelle ».

(2) L’arrêt de la Cour d’appel précise toutefois que le contrat concerné « n’était pas exclusivement un contrat d’assurance-vie dans la mesure où d’autres risques étaient garantis ». En bref, sont concernés les contrats comportant d’autres garanties que la seule garantie décès.