Existe-t-il actuellement une bulle immobilière en France ? Et si oui, son dégonflement a-t-il déjà commencé ? Ces questions récurrentes refont surface avec une série de publications qui accréditent cette thèse et annoncent une baisse durable des prix.

Les prix en France sont-ils surestimés ? Oui, de l’ordre de 47%, a estimé The Economist dans un article publié fin mars 2012. Le magazine britannique est bien placé pour en parler : en Grande-Bretagne, comme en France, les prix de l’immobilier ont connu, depuis une vingtaine d’années, une hausse très soutenue : ils ont été multipliés par 3,2 outre-manche et par 2,6 dans l’hexagone, quand les prix allemands restaient stables.

Les professionnels de l’immobilier expliquent ces hausses par un déséquilibre, toujours d’actualité, entre l’offre et la demande de logements, notamment dans les grandes villes. Du même coup, ils discréditent l’idée d’une bulle immobilière, comparable à celle qui a explosé depuis 2008 en Espagne. De fait, malgré la crise, les prix en France ont continué à progresser, à tel point qu’elle est aujourd’hui le seul pays d'Europe occidentale où ils restent supérieurs à leur pic de 2008, juste avant la crise des subprimes.

Le tournant de 1998

Dans une note publiée le 10 février dernier, Pierre Sabatier, cofondateur du cabinet Primeview, spécialisé dans les études économiques, revient en détail sur la hausse française, et son évolution depuis 1965. Sur cette période, les prix ont en effet augmenté en moyenne de 7,3% par an. Toutefois, jusqu’à la fin des années 90, cette hausse entrait en corrélation avec deux facteurs structurels : l’inflation générale des biens et des services, qui entraîne notamment une hausse des coûts de construction, et l’augmentation des revenus des ménages.

Mais depuis 1998, ce n’est plus le cas. « Les années 2000 ont (…) marqué un tournant historique », explique Pierre Sabatier. Même corrigés de l’inflation, les prix immobiliers dans l’ancien ont augmenté de 110% depuis 1998. Et sur la même période, l'écart entre ces prix et le revenu moyen des ménages français s'est creusé de 87%.

Un chiffre de l’Institut de l’épargne immobilière et foncière (IEIF), cité par Les Echos dans un article du 30 avril, illustre parfaitement ce décrochage. Sur le long-terme (depuis 1984), l’achat d’un logement en France représente en moyenne 3,2 années de revenu disponible (addition du revenus du travail et du capital, moins les taxes et impôts) pour un ménage. Actuellement, ce ratio a grimpé à 4,8 pour la province et à 12,4 pour Paris !

Une bulle due au crédit immobilier ?

Comment expliquer une telle déconnexion entre l’inflation, le revenu disponible moyen et les prix immobiliers ? Pour Primeview, qui a également publié en fin de semaine dernière la troisième partie d’une étude intitulée « Vers une baisse massive de l’immobilier en France », deux facteurs permettent de la comprendre : l’augmentation de la capacité d’emprunt des Français et les aides fiscales gouvernementales.

Selon le cabinet de conseil, cité le 30 avril dans un article du quotidien économique Les Echos, la baisse des taux d’intérêt proposés par les banques françaises et l’augmentation conjointe de la durée des prêts - passés en moyenne de 14 ans à plus de 20 ans - ont permis une augmentation de 92% de la capacité d’emprunt des Français. Depuis 2008, les aides fiscales (Scellier, crédit d’impôt sur les intérêts d’emprunt, etc.) et le Prêt à taux zéro ont fait le reste. « Le diagnostic semble alors limpide », explique Pierre Sabatier. « En dépit d’une conjoncture pourtant difficile, jamais l’immobilier n’a été aussi cher qu’aujourd’hui, que ce soit en absolu ou en relatif. Cette bulle gigantesque, d’autant plus dangereuse qu’elle est étendue à l’ensemble du territoire, rend le secteur particulièrement fragile à toute évolution financière ou réglementaire défavorable. »

Une bulle, mais pas d’éclatement

Sur le papier, toutes les conditions semblent aujourd’hui réunies pour un éclatement de cette bulle liée au crédit. La dégradation de la note de la dette souveraine française, en janvier dernier, ainsi que les nouvelles normes réglementaires dites « Bâle III », mettent une nouvelle pression sur les banques, qui ont déjà commencé à durcir les conditions d’octroi des prêts immobiliers. Dans le même temps, le recentrage du Prêt à taux zéro sur le neuf, et dans une moindre mesure la fin annoncée du dispositif Scellier, désolvabilisent un peu plus certains ménages. Ainsi, malgré des taux toujours bas, la demande en nouveaux crédits immobiliers a plongé ces derniers mois en France, en même temps que la durée moyenne des prêts accordés. Autre facteur, selon Primeview : le vieillissement de la population, qui va entraîner la mise sur le marché d’un grand nombre de biens, les ménages, à partir de l'âge de 58 ans, vendant plus qu’ils n’achètent.

Pour autant, le scénario retenu aujourd’hui par la plupart des observateurs n’est pas celui d’un éclatement, donc d’une baisse brutale des prix, mais plutôt celui d’un dégonflement progressif. C’est le point de vue, par exemple, de l’agence de notation Standard & Poor’s qui, dans une récente note, envisageait une chute des prix de 15% à l’horizon fin 2013. Primeview, de son côté, va un peu plus loin, en annonçant une « correction forte, durable et généralisée des prix de l’immobilier en France ». « Un simple retour à la moyenne de long terme du ratio prix sur revenu signifierait une chute des prix d’environ 40%, soit 7% par an pendant sept ans » explique ainsi le cabinet d’études, cité par Les Echos, dans sa récente étude.