Apparue dans sa forme actuelle il y a près de 40 ans, la carte bancaire est plus que jamais le moyen de paiement préféré des Français. Comment expliquer cette longévité ? Et est-elle appelée à durer ? Philippe Marquetty nous a confié son point de vue sur le présent et le futur de la carte bancaire.

Philippe Marquetty, directeur des paiements de la Société Générale

Philippe Marquetty est le directeur des paiements de la Société Générale

Philippe Marquetty, comment expliquer que la carte bancaire, qui existe dans sa forme actuelle depuis les années 1970, résiste aussi bien à l’âge du numérique ?

Philippe Marquetty : « Tout simplement parce qu’elle n’est pas qu’un bout de plastique équipé d’une puce. Il y a derrière l’objet physique un ensemble de technologies qui permettent d’autoriser, de garantir et de sécuriser des paiements en temps réel. C’est ce qui explique que la carte se soit aussi bien adaptée au digital : elle reste, de très loin, le véhicule privilégié par les usagers aussi bien pour leurs achats e-commerce que pour leurs abonnements à des services numériques, comme Netflix. »

La carte, objet physique, pourrait-elle toutefois disparaître à terme ?

P.M. : « Dans l’immédiat, la carte plastique reste utile, pour faire des retraits d’espèces, par exemple, ou pour payer dans certains commerces qui n’acceptent pas le sans contact. Mais il existe effectivement des cas d’usage pour la carte digitalisée. Un exemple : nous allons proposer dans les prochaines semaines à nos clients qui ont perdu leur carte bancaire de bénéficier immédiatement d’une carte digitale, leur permettant de continuer à effectuer des paiements, avec leur mobile ou en ligne, en attendant de recevoir leur nouvelle carte physique. »

Comment expliquer que, malgré l’émergence de nouvelles manières de payer, l’usage de la carte bancaire continue à progresser ?

« Un paiement par carte sur 4 en sans contact »

P.M. : « Effectivement, le volume global des paiements par carte continue à progresser, de l’ordre de 6 à 7% par an. Cela tient avant tout à un changement majeur, qui a permis de booster les usages et de renforcer la carte comme le moyen de paiement préféré des Français : le sans contact. Il y a 5 ans, il représentait 1% des paiements carte à la Société Générale. Aujourd’hui, c’est 25% : un paiement sur quatre, tout montant confondu, se fait en sans contact, et plus de 50% si on ne regarde que les paiements de 30 euros et moins ! »

Qu’en est-il du paiement mobile ?

P.M. : « Il prend sa place et rentre progressivement dans les usages. Apple Pay ou Paylib sont de plus en plus adoptés par les clients. Le nombre de paiement mobile double tous les 6 mois, ce qui laisse entrevoir de belles perspectives. »

Au-delà du paiement, quelles ont été les évolutions majeures de la carte bancaire au cours des dernières années ?

P.M. : « La principale, de mon point de vue, a été l’amélioration de ce qu’on appelle le self care. Soit la possibilité pour le client de piloter seul sa carte bancaire, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7 : la verrouiller, la mettre en opposition, relever ses plafonds, limiter son usage en ligne ou à l’étranger… Ce n’est pas un gadget : les clients s’en servent vraiment. Trois relèvements de plafonds sur 4 se font désormais en ligne, et 35% des oppositions. La seconde évolution majeure concerne la sécurité. Nous avons par exemple généralisé le Pass Sécurité, qui permet de sécuriser l’authentification des paiements en ligne, sans passer par l’envoi d’un SMS, appelé à disparaître. Cette solution est déjà impliquée dans les deux tiers des transactions en ligne de nos clients. »

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La Société Générale distribue également une carte bancaire à cryptogramme dynamique. Pour quel bilan ?

« Un million de cartes à cryptogramme dynamique »

P.M. : « Son succès a largement dépassé nos attentes, avec plus d’un million de cartes émises. En permettant d’éliminer tout risque d’usurpation, elle a vraiment répondu à une attente des usagers. »

Vous avez également lancé, il y a un an, un test de la carte à authentification biométrique, équipée d’un capteur d’empreintes. Quand allez-vous la lancer officiellement ?

P.M. : « Pas tout de suite. Le bilan de ce pilote est positif, la technologie fonctionne, mais elle n’est pas encore suffisamment stable pour être distribuée à grande échelle. Une carte doit fonctionner à tous les coups, et ce n’est pas encore tout à fait le cas pour cette solution. Mais cela finira par arriver, nous en sommes convaincus. »

Comment, selon vous, la carte bancaire va-t-elle évoluer dans un futur proche ?

« Le temps réel est dans les gènes de la société contemporaine »

P.M. : « L’axe principal, c’est le temps réel, qui va devenir un standard de marché. Les usagers sont demandeurs, c’est dans les gènes de la société contemporaine. Aujourd’hui, il existe encore un décalage entre le paiement à proprement parler et sa prise en compte sur le solde du compte. Dès le début 2020, nous allons proposer la mise à jour du solde en temps réel sur nos cartes à autorisation systématique. Un autre axe est la carte bancaire qui remplace les titres de transport, comme cela existe déjà dans le métro de Londres par exemple. Il y a déjà des expériences en France, à Dijon et à Bordeaux notamment, et c’est appelé à se développer. Nous espérons notamment que la Ville de Paris pourra proposer ce service d’ici le début des Jeux Olympiques 2024. »

On voit apparaître sur le marché des cartes premium fonctionnant en temps réel. C’est le cas par exemple chez ING ou Boursorama. Allez-vous proposer cette nouvelle génération de carte ?

P.M. : « Il faut savoir de quoi on parle. Il existe déjà des cartes à autorisation systématique qui répondent à un besoin précis, celui de contrôler son budget et d’éviter les découverts. L'air du temps est en effet à la généralisation du contrôle de solde qui va permettre à davantage de cartes de fonctionner avec des notifications et débits en temps réels. Mais cela va prendre du temps, au rythme de l'évolution des systèmes d'autorisations et du renouvellement du parc actuel. »

Le virement instantané, en pleine émergence, représente-t-il selon vous une menace pour la carte bancaire ?

P.M. : « Il trouve en tout cas sa place, beaucoup plus vite qu’on pouvait le penser. Il constitue, dans certains cas, une alternative intéressante à la carte. Pour autant, celle-ci conserve ses atouts : son universalité, sa simplicité d’usage, sa souplesse, sa sûreté… A horizon 5 ans, je pense qu’elle va rester au centre de l’écosystème des moyens de paiements. Au-delà ? C’est aujourd’hui difficile à dire. »