Dans son rapport annuel, Tracfin souligne certaines limites du cadre juridique, en matière de lutte contre le blanchiment et le financement du terrorisme, appliqué aux nouveaux services financiers.

« La révolution technologique en cours dans les services financiers porte en germe un bouleversement du secteur qui appelle une adaptation de la réglementation (…) » : il s’agit là d’un des faits marquants mis en exergue par Tracfin (1) dans son rapport annuel récemment dévoilé. Cette révolution, c’est bien sûr celle de la transformation numérique de l’industrie bancaire et de l’émergence des fintechs, ces sociétés qui se placent à la croisée des secteurs technologiques et financiers.

Un pan de cette révolution inquiète particulièrement la cellule anti-blanchiment de Bercy : celle qui est en cours dans le secteur des paiements. « La multiplication des nouveaux prestataires de services de paiement complique la traçabilité des flux financiers et peut diluer les responsabilités de connaissance client », note l’organisme.

Les cryptomonnaies dans le viseur

Certains produits innovants favorisent également l’anonymat, note Tracfin. C’est le cas « en particulier lorsqu’ils conjuguent l’utilisation de la monnaie électronique (à cours légal), de la monnaie virtuelle (sans statut juridique), voire des matières premières ». L’organisme cite par exemple l’exemple de cartes de paiement « bitcoin to plastic », « qui permettent de retirer à un distributeur de billets une somme correspondant à la contre-valeur en monnaie réelle d’un portefeuille de bitcoins ».

Les cryptomonnaies concentrent nombre d’interrogations de Tracfin. L’organisme rattaché à Bercy pointe ainsi les risques d’escroquerie liés à ces monnaies virtuelles, lorsqu’elles « reposent sur des blockchains fictives ou voient leur valeur manipulée ». Risque d’escroquerie aussi sur certains sites de crowdfunding, qui peuvent présenter des « projets fictifs ou dont la finalité affichée est détournée ».

Le cas des GAFA

Dans son rapport annuel, Tracfin pointe également le problème spécifique des « grands acteurs du web (…) et les opérateurs de téléphonie mobile [qui] prennent une place croissante dans les services de paiement, alors qu’ils ne sont pas assujettis en tant que tels au dispositif LCB/FT » (Lutte contre le blanchiment/le financement du terrorisme). De fait, Apple ou Facebook côté GAFA, et Orange côté telcos, entre autres, affichent tous leurs ambitions dans le domaine.

Certes, « leurs filiales dédiées aux services financiers relèvent d’un statut agréé », poursuit la cellule. Mais « la question centrale est de savoir quelles entités détiennent les données de connaissance client les plus pertinentes, comment elles utilisent ces données, et si la réglementation LCB/FT cible les bons acteurs ».

Des manques dans la réglementation

Face à ces risques, Tracfin note certains manques de la réglementation. Si l’usage de la monnaie électronique et des carte prépayées est mieux encadré en France depuis début 2017, ce n’est pas le cas pour les cryptomonnaies : les « plateformes de change entre monnaie légale (…) et monnaie virtuelle (…) » par exemple, « ne sont pas encore régulées », alors « qu’en droit français, la monnaie virtuelle n’a pas la nature juridique d’un instrument financier ».

La cellule pointe également « les risques induits par le régime de la libre prestation de services (LPS) dans le cadre du passeport européen », qui permet à tout prestataire de services de paiement en ligne, agréé dans son pays d’origine, de distribuer ses produits dans tous les pays de l’Espace economique européen (EEE). « Les superviseurs nationaux des pays d’accueil voient leurs capacités de contrôle limitées et doivent s’en remettre au superviseur du pays d’agrément. L’hétérogénéité des réglementations et des exigences en matière LCB/FT entre pays de l’EEE crée des opportunités pour les opérateurs peu fiables », déplore la cellule française.

(1) Tracfin pour « Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins », organisme du ministère de l'Économie et des Finances, chargé de la lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme.