Connu de tous grâce au logo présent sur les cartes bancaires émises en France, le réseau interbancaire CB doit faire face ces dernières années à une révolution technologique et réglementaire, qui augmente la pression concurrentielle. Comment ce fleuron industriel, créé par les banques françaises en 1984 à l'initiative de Pierre Bérégovoy, s’adapte-il à cette nouvelle donne ? Nous avons interrogé Loÿs Moulin, directeur du développement du GIE gestionnaire du réseau CB.

Loÿs Moulin, quels sont les défis technologiques qu’affronte CB aujourd’hui ?

Loÿs Moulin : « Aujourd’hui, nous sommes face à une révolution, celle du digital, et les instruments de paiement doivent s’adapter. C’est pour cela que nous avons créé récemment le conseil consultatif du commerce, qui nous permet d’avoir un dialogue plus direct avec les commerçants. C’est aussi pour cela que nous investissons plus fortement dans l’innovation, avec le Lab by CB, un incubateur où nous avons par exemple développé un chatbot de paiement pour la messagerie de Facebook, Messenger. »

Loÿs Moulin, directeur du développement du GIE CB
Loÿs Moulin, directeur du développement du GIE CB
Dans ce contexte, comment CB trouve-t-il sa place face aux schémas mondiaux Visa et Mastercard ?

L.M. : « Depuis longtemps, la carte CB est ‘’co-badgée’’ avec Visa et Mastercard [Une même carte émise en France peut ainsi fonctionner à la fois avec CB en France et Visa ou Mastercard, notamment à l’étranger, NDLR]. De même, les cartes Visa et Mastercard sont acceptées par les terminaux de paiement CB. Nous avons longtemps été dans une logique de coopération très forte avec les réseaux internationaux sur nos technologies et standards respectifs, qu’ils soient utilisés dans les cartes ou les TPE CB. Aujourd’hui, nous sommes dans un contexte plus concurrentiel. »

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Qu’est-ce qui explique ce surcroît de concurrence entre CB, Mastercard et Visa ? L’évolution de la réglementation ?

« En ''coopétition'' avec Visa et Mastercard »

L.M. : « Oui. Depuis le règlement européen sur les commissions d’interchange (1), ce ne sont plus les banques, mais les consommateurs et les commerçants qui choisissent une marque de paiement ou une autre. CB reste leur moyen de paiement préféré, face aux autres cartes, aux espèces et aux chèques : près de 60% des dépenses de consommation courante des ménages sont ainsi réglés par CB. Mais ce règlement créé les conditions d’une nouvelle concurrence que nous devons prendre en compte. Nous sommes donc entrés dans un régime de ‘’coopétition’’ : nous continuons à coopérer avec Visa et Mastercard, notamment sur la sécurité ou la standardisation, mais il est nécessaire que nous ayons nos propres outils et plateformes. C’est pourquoi nous investissons, depuis 2 ans, dans notre indépendance technologique. »

Comment cela se concrétise-t-il ?

L.M. : « Pour le paiement mobile, nous nous sommes dotés d’une plate-forme de tokenisation [technique qui permet de sécuriser les identifiants bancaires en les substituant par des identifiants jetables, à usage unique, NLDR] et d’un hub digital, tous deux développés avec STET [organisme interbancaire qui traite la compensation et le règlement des paiements en France, NDLR]. Nous allons aussi lancer en 2018 une plateforme de services 3D Secure 2.0, pour accompagner les nouvelles règles de sécurité européennes en matière de paiements en ligne, tout en maintenant des parcours clients les plus fluides possible au service des banques, de leurs clients porteurs et des commerçants CB. »

Quels sont les points forts de CB dans ce contexte ?

L.M. : « Nous sommes un GIE, un outil de mutualisation interbancaire, ce qui nous rend particulièrement compétitifs avec une qualité de service très élevée. Nous sommes aussi un acteur français : les données de transactions CB des clients de nos membres restent traitées, au plan interbancaire, en France. Enfin, nous avons un système d’une très grande efficacité, construite dans le temps, en matière de lutte contre la fraude. »

CB : plus de 30 ans d’histoire

Le système CB a été fondé en 1984, sous l’impulsion de l’Etat et des banques. Son objectif : garantir que chaque porteur de carte, quelle que soit sa banque, puisse payer chez tous les commerçants, en toute sécurité. Une interbancarité qui a permis la massification de l’usage de la carte bancaire en France, surtout à partir de 1992. Ce schéma CB est géré par un groupement d’intérêt économique à but non lucratif, le GIE Carte Bancaire (CB), financé par les banques actives en France.

Depuis le début des années 2000, la carte bancaire a dépassé le chèque pour devenir le premier moyen de paiement scriptural dans l’Hexagone. Fin 2016, il y avait plus de 66 millions de cartes bancaires CB en circulation en France (+3% par rapport à 2015), qui pèsent pour 60% environ des dépenses courantes des Français. Un chiffre qui devrait encore augmenter dans les années à venir grâce au sans contact.

CB est un acteur purement français. Mais l’échelle nationale a-t-elle encore du sens dans le domaine des paiements, face à une régulation de plus en plus européenne et des acteurs globaux comme Mastercard ou Visa ?

« L'époque reste favorable aux schémas domestiques »

L.M. : « Effectivement, nous devons désormais penser à l’échelle européenne. Nous travaillons de longue date avec nos homologues européens sur les questions de standardisation. Nous devons aussi le faire sur l’innovation et l’indépendance technologique. Toutefois, contrairement à une idée reçue, l’époque reste assez favorable aux schémas domestiques. Il y en a des dizaines dans le monde, des anciens comme nous, mais aussi des nouveaux en très forte croissance - en Russie, au Brésil, en Turquie, etc. -, qui se sont créés sur les mêmes bases politico-économiques que celles qui avaient contribué à la création de CB en 1984 : la souveraineté, l’indépendance vis-à-vis des géants américains, la proximité avec l’écosystème locale… D’ailleurs, le premier schéma au monde n’est ni Visa et Mastercard, mais le schéma chinois, Unionpay International. »

Ne souffrez-vous pas néanmoins d’un déficit de notoriété par rapport à Visa et Mastercard ?

L.M. : « Le logo CB accompagne les Français au quotidien, dans leur poche, dans leur magasin, sur internet. Lorsqu’on les interroge, il est le premier logo de paiement qu’ils connaissent et qui leur inspire confiance (2). En revanche, lorsqu'on leur propose de choisir leur réseau de paiement, comme c’est souvent le cas sur internet, ils auront plus spontanément tendance à choisir une marque de paiement qu’ils considèrent comme « commerciale », CB étant plus associé à un réseau sécurisé et à l’acceptation de la carte en général. Fort de cette notoriété, nous travaillons à élargir le contenu de notre marque, sans pour autant faire des campagnes télévisuelles massives qui, pour l’heure au moment où CB investit dans la digitalisation, pèseraient trop sur notre modèle économique. »

Des nouveaux acteurs du secteur des paiements, qu’on appelle parfois néobanques, se passent des services de CB et sortent des cartes Mastercard Only. Pourquoi selon vous ?

« Convaincre les néobanques »

L.M : « L’objectif de CB est à la fois de fidéliser ses membres actuels et d’avoir des propositions de valeur intéressantes pour les néobanques. Ces start-ups ne viennent pas toujours spontanément nous voir. Nous devons les convaincre que pour la sécurité, la lutte contre la fraude, les coûts, ils ont tout intérêt à travailler avec le système interbancaire CB en France. »

(1) Règlement du Parlement européen et du Conseil du 29 avril 2015 relatif aux commissions d'interchange pour les opérations de paiement liées à une carte. (2) A 86%, devant Visa (85%), PayPal (83%) et MasterCard (82%), sondage TNS Sofres de 2016