Derrière sa facilité d’usage pour le client, le paiement par carte bancaire masque un système complexe, impliquant de multiples intervenants et donnant lieu à la facturation de diverses commissions. Un système qui, selon le secteur bancaire, pourrait être remis en cause par un projet de règlement publié en juillet 2013 par la Commission européenne. Explication.

Courant 2013, la Commission européenne a entrepris, dans un projet de règlement, de plafonner les commissions d’interchange (1) payées par le commerçant à sa banque à chaque fois qu’il enregistre un paiement par carte. Objectif annoncé : mettre en place les conditions d’un marché des paiements à l’échelle de l’Union en alignant partout les montants, aujourd’hui très hétérogènes, de ces commissions.

Lire par ailleurs : Carte bleue : Bruxelles veut plafonner les commissions facturées par les banques

Ce projet est toutefois très contesté par le secteur bancaire, ainsi que par Visa et Mastercard, les deux principaux réseaux d’acceptation. Tous en choeur craignent en effet que cette entreprise de régulation ne déséquilibre globalement le système de paiement par carte. Ils préviennent : au final, ce sont les consommateurs qui en subiront les conséquences, en payant plus cher leur carte, en étant moins bien protégés contre la fraude ou en ne pouvant plus utiliser leur carte partout et à tout moment. Les menaces des banques sont-elles fondées ? Comment fonctionne exactement ce système ? Et au final, qui paye quoi, et à qui ?

On le constate tous les jours : difficile de trouver plus pratique que la carte bancaire pour régler un achat. Mais cette apparente simplicité masque un système assez complexe, qui met en œuvre de multiples parties : le commerçant, le client et leurs banques respectives, mais aussi les réseaux d’acceptation, Visa et Mastercard et, en France, le GIE (groupement d’intérêt économique) Carte Bancaire qui appose son logo CB sur les cartes et par qui transite la quasi-totalité des transactions.

Voici, dans les grandes lignes, comment se répartissent les rôles :

  • En amont, les banques s’adressent à Visa ou Mastercard pour distribuer à leurs clients les cartes fonctionnant sur leurs réseaux respectifs. Elles leur versent pour cela un « octroi de franchise ».
  • Les clients équipés d’une carte versent directement à leur banque une cotisation annuelle. Selon notre comparateur de tarifs, elle se situe actuellement, en France, autour de 45 euros, en moyenne, pour disposer d’une carte internationale à débit immédiat.
  • Les commerçants qui souhaitent accepter les paiements par carte, de leur côté, demandent un accès au réseau et s’équipent de terminaux dédiés, moyennant, le plus souvent, le paiement d’un abonnement mensuel à leur banque.
  • Lorsque le client utilise sa carte bancaire chez le commerçant, la connexion entre la banque de l’un et celle de l’autre donne lieu à des frais de transaction, versés à l’opérateur par qui transite le paiement, et qui assure l’interopérabilité du système. En France, il s’agit le plus souvent du GIE Cartes bancaires (CB), co-géré par les principaux établissements de crédits français, qui a traité en 2012 plus de huit milliards de paiements.

Mais ce n’est pas tout. Le paiement par carte donne aussi lieu au versement des fameuses commissions d’interchange. Contrairement aux frais de transaction, elles ne sont pas payées à l’opérateur, mais à la banque du commerçant, qui les reverse ensuite à la banque du client. Cette « rétro-commission » correspond en fait à la contribution du commerçant au financement du système. Elle permet de « dédommager » la banque du client, qui supporte l’essentiel des coûts : l’octroi de franchise aux réseaux d’acceptation, les investissements dans l’innovation et dans la lutte contre la fraude, entre autres. Le niveau de ces commissions est fixé, dans une certaine opacité, par un accord entre banques. Celles-ci ont un critère principal : trouver le point d’équilibre entre le montant des commissions d’interchange d’un côté, et le montant des cotisations carte payées par les clients de l’autre.

La pression sur les banques

Toutefois, cette autorégulation se fait désormais sous contrainte. En France, comme dans d’autres pays européens, l’Autorité de la concurrence a entrepris depuis plusieurs années de plafonner - voire, dans le cas des prélèvements, de bannir - les commissions interbancaires pesant sur les moyens de paiement : les cartes bancaires donc, mais aussi les chèques.

Ainsi, depuis 2012 en France, les commissions d’interchange sont plafonnées à 0,29% du montant de la transaction pour les paiements traités par le GIE Carte bancaire, et à 0,28% (depuis 2013) pour ceux transitant par les réseaux Mastercard et Visa. Après négociation avec l’Autorité, les banques ont toutefois conservé une certaine flexibilité. Il s’agit en effet de niveaux moyens : à la fin de l’année, le total des commissions d’interchange payées doit représenter 0,29% (ou 0,28%) maximum du montant total des transactions. Dans le détail, la commission payée à chaque paiement peut continuer à varier en fonction du type de carte (débit ou crédit) et du client (particulier ou pro, notamment).

Ce ne sera plus le cas, par contre, si le projet de règlement de la Commission européenne est un jour adopté. En effet, les plafonds qu’elle souhaite voir appliquer - 0,2% pour les cartes de débit, 0,3% pour les cartes débit/crédit, associées à un crédit renouvelable - sont non seulement inférieurs à ceux imposés par l’Autorité de la concurrence, mais s’appliquent également pour chaque transaction, sans possibilité de varier. D’où la défiance de l’industrie bancaire à l’égard du projet.

Vers une hausse des cotisations carte ?

En France, la Fédération bancaire française (FBF), l’association professionnelle qui représente les patrons du secteur bancaire, n’a de cesse de le combattre. Récemment encore, dans son rapport 2013, elle prévient : « [Une] trop forte diminution [des commissions d’interchange], ou leur interdiction, condamneraient l’universalité des paiements qui fait le succès des cartes bancaires. »

Autres risques, pointés récemment par Mastercard à travers un sondage : le manque à gagner lié à une éventuelle baisse des commissions d’interchange serait immanquablement compensé soit par une augmentation des cotisations carte, soit par une baisse des investissements dans l’innovation et la sécurité. Un argument à double tranchant, toutefois : si elle est encore, et de loin, le moyen de paiement le plus utilisé en Europe - en nombre de transactions, au moins - la carte bancaire est aussi concurrencée par de nouveaux dispositifs, s’appuyant notamment sur le mobile, prêts à attirer d’éventuels clients déçus.

(1) Aussi désignées en France sous le terme de commissions interbancaires de paiement (CIP)