Le CAC 40 a bondi de 28% depuis le début de l’année. La bourse est-elle devenue trop chère pour investir et espérer réaliser des gains ?

C’est l’euphorie ! Dans le sillage des bourses européennes et américaines, le CAC 40 connaît ces dernières semaines une envolée fulgurante. Depuis le début de l’année, l’indice phare de la Bourse de Paris a bondi de 28% passant de 4 640 points début janvier - certes, après une grosse chute en décembre - à près de 6 000 points actuellement. Résultat, la bourse parisienne renoue avec les sommets. Il faut en effet remonter à juillet 2007, soit avant la crise financière, pour retrouver un tel niveau. De bon augure pour la FDJ qui s'apprête à faire normalement son entrée officielle en bourse le 21 novembre.

Dans le détail, la croissance du CAC 40 est tirée principalement par les sociétés du luxe. Ainsi, LVMH - première capitalisation boursière de l’indice avec une valorisation estimée à plus de 200 milliards d’euros - a vu son titre bondir de 60% sur les 11 derniers mois. Ses challengers - Hermès, Kering et L’Oréal - connaissent aussi de belles progressions : leurs cours en bourse ayant déjà grimpé de plus de 30%. Les actions des sociétés de la haute technologie et de l’aéronautique sont aussi à la fête, à l’image de celles de STMicroelectronics et d’Airbus qui ont bondi respectivement de 83% et de 61% depuis début 2019.

Bonne santé des dividendes

« Le luxe bénéficie d'un environnement durablement propice »

Dans ce contexte, la bourse est-elle trop haute pour oser s’y frotter ? A ce niveau de cotation est-il encore possible de générer des plus-values à la revente ? Philippe Crevel, directeur du Cercle de l’épargne, rappelle que les investisseurs n’achètent pas uniquement des actions dans le but de les revendre à un prix plus élevé. « Une action, c’est avant tout une part de l’entreprise. Ce qui compte pour l’actionnaire, ce sont les bénéfices que la société réalise et les dividendes redistribués. La plus-value arrive dans un second temps », souligne-t-il. Et, sur ce volet, les investisseurs sont plutôt choyés. Selon la société de gestion Janus Henderson Investors, les dividendes versés à l’échelle du monde ont, au troisième trimestre 2019, atteint un nouveau record, à 355,3 milliards de dollars, a-t-on appris lundi.

En outre, même si certains titres sont devenus effectivement très chers, comme ceux du luxe et de l’aéronautique, ces derniers bénéficient d’un contexte durablement propice. « Ces secteurs d’activité restent soutenus par le développement des classes moyennes aisées dans les pays émergents. Ces dernières manifestent une appétence toujours aussi forte pour les produits de luxe français. Les entreprises de l'aéronautique peuvent quant à elles s'appuyer sur les prévisions extrêmement favorables concernant le tourisme », détaille Philippe Crevel. Effectivement, d’après le dernier rapport annuel de l’Organisation mondiale du tourisme, 1,4 milliard d’arrivées de touristes internationaux ont été comptabilisés en 2018. Un record et surtout un cap franchi avec deux ans d’avance par rapport aux prévisions de cette instance des Nations unies.

Des marchés en partie déconnectés de l’économie réelle

Les banques centrales ralentissent l'ajustement des marchés

Mais cette envolée de la bourse n’est pas uniquement due à la bonne santé des entreprises et de l’économie mondiale. « Depuis le début de l’année, il y a surtout une volte-face des banques centrales qui sont devenues très accommodantes, intensifiant la politique de taux bas », rappelle Bertrand Lamielle, directeur général de Portzamparc Gestion, filiale de BNP Paribas Banque Privée dédiée à l’investissement boursier.

Cette politique monétaire vise à soutenir l'activité économique et notamment l'investissement des entreprises en maintenant les taux d'intérêt au plus bas. Or, en faisant tourner leurs « planches à billets », la Fed aux Etats-Unis et la BCE en Europe tendent à doper artificiellement les cours boursiers. Interrogée la semaine dernière par Morningstar, l’économiste Véronique Riches-Flores, fondatrice du cabinet d’analyses financières éponyme, regrette ainsi que « l’idée que les banques centrales sont là pour réduire les risques » soit si répandue dans l’esprit des investisseurs. En cas d’indicateurs économiques défavorables, cela freine l’ajustement des marchés et alimente leur déconnexion avec la situation économique, explique-t-elle. Philipe Crevel du Cercle de l’épargne formule le même avertissement. « La montée du CAC 40 n’est en effet pas liée exclusivement aux résultats des entreprises cotées, mais au fait que les investisseurs, en quête de rendement, se tournent vers le marché actions, ce qui gonfle mécaniquement les cours ».

Derrière ces argumentaires se dessine, de fait, la crainte d’une bulle financière. Une inquiétude qui incite plutôt à la prudence, temporisée par Bertrand Lamielle de Portzamparc Gestion : « Prévoir une fin de cycle est un exercice délicat, et encore plus quand il s’agit de prévoir un retournement. Quand bien même, nous en aurions la capacité, cela ne donnerait que peu de pertinence pour prédire une contraction de marché ». Certes, « l’économie connaît une croissance faible, on observe même une contraction des indices manufacturiers. Mais, face à cela, la consommation se porte bien », poursuit ce gérant.

Des gains à espérer du côté des valeurs cycliques ?

« Le ralentissement des flux des échanges trouve son origine dans les rouages de l’économie mondiale »

En effet, deux vents contraires soufflent sur l’économie mondiale. D’un côté, dans les pays occidentaux, en France et en Allemagne notamment, le taux de chômage marque le pas. Aux Etats-Unis, la proportion des demandeurs d’emploi atteint même un plus bas historique, à 3,6%, du jamais vu depuis presque un demi-siècle ! Mais, à l’inverse, l’activité industrielle tend à se contracter. Aux Etats-Unis, l’Indice des directeurs d’achat (PMI) qui évalue le dynamisme du secteur manufacturier, s’est replié de 16% en novembre par rapport à l’an dernier. En Allemagne, autre pays fortement industrialisé et exportateur, cet indicateur a même chuté de 19% depuis novembre 2018. Dans l’Hexagone, il demeure plutôt stable.

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Néanmoins, l’optimisme semble revenir à mesure qu’une trêve commerciale se dessine entre la Chine et les Etats-Unis. Pour les marchés financiers, cette accalmie tant espérée serait une bonne nouvelle, en premier lieu pour les valeurs cycliques, dépendantes du commerce mondial. Jusqu’à présent, ces dernières, comme les sociétés du secteur automobile, ont un peu moins profité de l’envolée des bourses. Le titre de Renault, qui ne se remet pas de la chute de son ex-patron Carlos Ghosn, a même perdu plus de 15% de sa valeur depuis le début de l’année.

Attention toutefois à ne pas trop s’emballer. « Même si un accord sino-américain était trouvé, on sait très bien que le ralentissement des flux des échanges mondiaux, aggravé par les distorsions commerciales, trouve son origine dans les rouages de l’économie mondiale, dans le fait que les grands cycles d’investissement du monde émergent sont dernière nous, dans le fait que l’on a des excès généralisés de capacité de production. Et tout cela ne va pas se résoudre avec un accord commercial », prévient Véronique Riches-Flores.

Autre secteur à la traîne : les banques et les compagnies d’assurance. Ces dernières sont « maltraitées par la politique de taux bas, la pression concurrentielle et l’évolution de leurs métiers », résume Philipe Crevel.

Investir à contre-courant pour doper son portefeuille

Les boursicoteurs peuvent-ils tirer profit de ces moindres performances pour acquérir à bons prix ces titres ? « Aller à contre cycle en pariant sur les entreprises un peu délaissées est souvent une bonne tactique, mais il faut qu’elles aient un vrai potentiel de croissance », avertit Philippe Crevel. Il faut aussi que cet investissement soit pertinent au regard de la situation de l'investisseur. S'il est déjà largement exposé à un secteur d'activité, il est probablement préférable qu'il diversifie davantage son portefeuille d'actions.

En pratique, d’après le président du Cercle de l’épargne, « le moment semble plutôt opportun à l’achat des valeurs bancaires, à condition d’avoir un horizon de placement long, de plusieurs années ». Concernant le secteur automobile, le diagnostic de l’économiste est plus mesuré… Celui-ci faisant face à de multiples défis, notamment le spectre de la voiture sans conducteur mais aussi la pression écologique et, avec elle, le changement du mode de propulsion. Dans ce contexte, « les investisseurs doivent se montrer très sélectifs, car certaines entreprises ne sortiront pas gagnantes de ces mutations », poursuit Philippe Crevel.

Voir aussi : Comment investir en bourse