La privatisation de la Française des Jeux (FDJ) est lancée. Et vous avez jusqu’au 19 novembre pour réserver des actions. Mais avant d'investir, mieux vaut savoir où vous mettez les pieds.

L’introduction en Bourse de la Française des Jeux est l’occasion de se pencher de plus près sur le 4ème groupe mondial de loteries.

D'étonnants actionnaires historiques

Si l’Etat va se séparer de 52% du capital de la FDJ, il devrait toujours rester le premier actionnaire de l’entreprise avec 20% des titres. Le deuxième actionnaire le plus important est l’Union des Blessés de la Face et de la Tête (UBFT), dite « Les Gueules Cassées ». A la tête de 9,23% du capital, cette association participe dans les années 30 à l’essor de la Loterie nationale française en achetant des billets de loterie vendus 100 francs. Ils émettent ensuite des « dixièmes » à un prix plus abordable. Résultat, jusqu'à 4 millions de Français achètent chaque semaine un « entier » ou un « dixième » vendus par des veuves ou des mutilés de guerre. Initialement dédiée aux soldats défigurés lors de la guerre de 1914-18, « l'association est encore bien vivante aujourd'hui et apporte une assistance aux militaires blessés en opérations extérieures, aux gendarmes, pompiers, et policiers. Le dividende de la FDJ, entre 8 et 12 millions d'euros bruts par an, est notre seule ressource », explique Olivier Roussel, directeur de l'UBFT, interrogé par l’AFP.

Autre actionnaire majeur avec 4,2% du capital, la Fédération Maginot des Anciens combattants qui regroupe des vétérans de la Deuxième Guerre mondiale, de la guerre d'Algérie ou de conflits plus récents. Parmi les autres porteurs, outre les salariés de la FDJ qui détiennent 5% du capital, on retrouve la société familiale IDSUS (2,63%), les buralistes (2%), mais aussi la mutuelle des fonctionnaires du Trésor public (1%). Deux petits actionnaires toujours en lien avec le secteur des jeux, comme la Comalo - Compagnie marseillaise de loteries (0,59%), ou encore les Emissions Berger (0,37%) figurent au capital.

Les dirigeants pourraient profiter de la privatisation

Est-ce payant de diriger la Française des Jeux ? Dans le document d’enregistrement publié par la FDJ et l’Autorité des marchés financiers, on apprend que Stéphane Pallez, la pédégère depuis 2014, a touché 321 278 euros (dont 56 400 pour la partie variable) en 2018. Cette année, sa rémunération pourrait même atteindre 357 500 euros si elle récupère l’intégralité des 71 500 euros de son variable. L’ancienne responsable de France Télécom Orange se rapproche ainsi du salaire maximum pour les dirigeants du public, fixé à 450 000 euros par an. Un seuil qui reste cependant très loin des niveaux atteint par les patrons du CAC 40 en 2018.

De son côté, Charles Lantieri, le directeur général délégué, émargeait à 250 671 euros en 2018 (dont 44 180 euros en variable). En 2019, il pourrait gagner 277 500 euros dans le cas où il bénéficie de l’intégralité de son variable : 55 500 euros.

Grâce à la privatisation, la rémunération des deux dirigeants pourrait bien être revue à la hausse en s'alignant sur les pratiques des entreprises du privé. Si jusqu'ici, ils n’avaient pas encore reçu d’option de souscription ou d’achats d’action, l'assemblée générale du 4 novembre devait autoriser le conseil d’administration à attribuer gratuitement des actions nouvelles ou existantes à des salariés et/ou mandataires sociaux, dans la limite de 0,6% du capital.

Des risques spécifiques à la FDJ

Très dense, près de 400 pages, le document d’enregistrement met en garde les futurs actionnaires : « FDJ exerce son activité dans un environnement susceptible de faire naître des risques variés, dont certains sont hors de son contrôle ». Et non des moindres.

Il s’agit par exemple de la remise en cause des droits exclusifs, accordés par la loi Pacte, sur les jeux de loterie en points de vente et en ligne, et des paris sportifs en points de vente. En contrepartie de ces droits exclusifs pour une durée de 25 ans, qui représentent plus de 95% des mises de FDJ, l’entreprise doit verser à l’Etat une compensation de 380 millions d’euros. Or, rien n’est gravé dans le marbre. Non seulement la FDJ « pourrait, à l’échéance des 25 ans, ne pas obtenir le renouvellement des droits exclusifs… mais il ne peut être exclu qu'au cours de cette période, le cadre général relatif à l’exploitation des jeux d’argent et de hasard évolue vers une libéralisation du secteur, avec une ouverture à la concurrence des segments actuellement exploités sous droits exclusifs ou vers la légalisation de jeux aujourd’hui interdits en France (par exemple, casino en ligne ou machines à sous ou Video Lottery Terminals en points de vente hors casinos) », précise le document. A raison, puisque comme le rappelle un intervenant sur le forum de MoneyVox, un rapport de la Cour des comptes (1) soulignait en 2016 que « certains États membres ayant choisi de conserver leurs monopoles ont toutefois été contraints, sous l’influence de la Commission européenne, de les réformer ».

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Parmi les autres risques, la FDJ prévient qu’elle « peut être la cible de multiples formes de cybercriminalité, internes ou externes, notamment intrusions, escroqueries, usurpation d’identité numérique, fishing hacking, détournements financiers, déni de service, d’effacement de sites web, extorsion de fonds, vol de données sensibles ou personnelles (par exemple base clients, base grands gagnants). En effet, les agressions contre les acteurs du secteur du jeu sont de plus en plus fréquentes. « Des opérateurs ont fait l’objet d’attaques en déni de service (DDoS) et de piratages de comptes joueurs en ligne et de données des clients », explique le document. Malgré la mise en place de procédures de sécurité, « ces attaques pourraient conduire à une interruption de tout ou partie des activités du Groupe, entraîner des risques de contentieux et provoquer des pertes financières ». Pour assurer ses arrières, la FDJ a souscrit d’ailleurs une assurance contre les « risques cyber ».

Citons également le risque de fraude qualifiée de « naturel » au regard de l’activité exercée par la FDJ : les jeux de loterie et les paris sportifs en ligne. Elle constate ainsi être exposée non seulement à la cupidité des joueurs, des détaillants, mais également à des fraudes internes à l’entreprise. Des actes « susceptibles de se manifester à toutes les étapes de la chaîne des jeux d’argent, notamment lors des tirages ou à l’occasion du paiement des lots ».

Un développement limité par l’addiction au jeu

C’est un débat qui ressurgit avec la privatisation de la FDJ. Actuellement, le jeu dit « problématique » touche environ 5% des joueurs, soit un peu plus d'1,2 million de personnes, selon les chiffres de l'Observatoire des Jeux (ODJ). Si un million d'entre elles présentent un risque « modéré », 223 000 personnes pratiquent un jeu excessif et pathologique. « Ces joueurs problématiques sont minoritaires, mais ils génèrent 40% du chiffre d'affaires des jeux. On estime que pour chaque point de pourcentage de progression du chiffre d'affaires de la FDJ, on accroît d'environ un millier le nombre de joueurs pathologiques », estime Jean-Michel Costes. Le secrétaire général de l'ODJ, interrogé par l’AFP, s’inquiète des conséquences du désengagement de l’Etat : « La recherche de la croissance du chiffre d'affaires et la protection de l'addiction au jeu sont antagonistes. Augmenter le chiffre d'affaires, c'est augmenter les dépenses des joueurs. Or, il y a une corrélation nette entre dépenses de jeu et problèmes de jeu ».

« Susceptibles de présenter un caractère addictif, les jeux d’argent et de hasard peuvent engendrer chez certains joueurs un risque de dépendance », reconnaît la FDJ dans son document d’introduction en Bourse. Mais elle insiste sur son engagement en faveur d’un modèle de jeu qui se veut récréatif et responsable. Le groupe a pris l’engagement, par exemple, dès cette année de consacrer 10% de son budget publicitaire télévisé à la lutte contre le jeu des mineurs et à la prévention du jeu excessif. « En dépit de ces efforts, les comportements d’addiction au jeu d’argent peuvent conduire à des dommages tant matériels que psychologiques pour les personnes concernées et leur entourage. De telles situations pourraient donner lieu à des poursuites de la part des joueurs ou de leurs proches et engager la responsabilité des détaillants (en tant qu’interlocuteurs directs des joueurs) ou de FDJ elle-même », anticipe la Française des Jeux.

De son côté, l'Etat souhaite renforcer la régulation avec le remplacement, au 1er janvier, de l'Agence de régulation des jeux en ligne par l'Autorité nationale des jeux, aux pouvoirs étendus à l'ensemble du secteur (loteries, grattage, courses hippiques, paris sportifs, jeux en ligne...), même si ses modalités, fixées par le gouvernement dans une ordonnance et deux décrets, n'ont pas encore été discutées au Parlement

Les buralistes avantagés par rapport aux particuliers

Tous les futurs actionnaires de la FDJ ne sont pas logés à la même enseigne. Pour s’assurer un succès populaire, l’Etat propose des conditions avantageuses pour acheter des titres de la FDJ. Ainsi, les particuliers bénéficient d’une décote de 2% sur le prix de l’action. Ils peuvent même espérer une action gratuite pour dix achetées, sous réserve de la conserver pendant 18 mois, dans la limite de 5 000 euros de titres achetés. Au-delà, non seulement il n’y aura pas d’actions gratuites, mais il n’est pas garanti qu’il soit possible d’obtenir plus d’actions FDJ. Tout dépendra du succès de l’opération.

Ce seuil est relevé à 7 500 euros pour les buralistes, selon « l’arrêté du 6 novembre 2019 fixant les modalités de transfert au secteur privé de la majorité du capital de la société La Française des Jeux ». Par ailleurs, les 2 218 salariés de la FDJ vont également obtenir des conditions préférentielles pour acquérir les 9 millions d’actions qui leur sont réservées. Au final, d'après la FDJ, les coûts d’introduction en Bourse sont « estimés à environ 34 millions d’euros, dont 10 millions d’euros correspondant à la décote et à l’abondement comptabilisés dans le cadre de l’offre réservée aux salariés ».

Voir aussi : Comment investir en Bourse

(1) La régulation des jeux d'argent et de hasard - Enquête demandée par le Comité d’évaluation et de contrôle des politiques publiques de l’Assemblée nationale - Octobre 2016