Après avoir spéculé dans les années 2000 sur la dette immobilière des ménages modestes, Wall Street jette désormais son dévolu sur les entreprises fortement endettées. Au niveau mondial, cette finance de l’ombre pèserait déjà 3 000 milliards d’euros.

Une décennie après l’éclatement de la bulle des « subprimes », l’économie mondiale s’apprête-t-elle à vivre une crise d’une ampleur semblable ? C’est ce que redoutent les régulateurs. Alors qu’au cœur des années 2000, les financiers ont spéculé sur les dettes immobilières des ménages américains insolvables, la finance de l’ombre parie désormais sur des entreprises déjà fortement endettées. Après la Banque de réserve fédérale aux Etats-Unis, l’Autorité des marchés financiers (AMF) en France fait part de son inquiétude.

Ainsi, l’AMF consacre une bonne partie de sa dernière cartographie des marchés à risque à cette finance de l'ombre. Baptisée « à effet de levier » (leveraged finance en anglais), celle-ci se compose principalement de trois produits de dette : les obligations à haut rendement (car émises par des entreprises dont la solvabilité n’est pas garantie), les prêts à effet de levier (des crédits octroyés à des professionnels déjà très endettés) et ces mêmes prêts mais titrisés. Plus concrètement, ces derniers sont connus sous l’acronyme CLO (pour Collateralized Loan Obligations) : ils consistent à regrouper les crédits risqués en paquets, les découper et à les revendre comme des actifs.

Un encours 4 fois supérieur aux prêts « subprimes »

« Les investisseurs sont exposés par ces produits à des pertes importantes en cas de défaut des emprunteurs compte tenu des faibles garanties prévues », s’inquiète l’AMF. Problème : la bulle gossit ! Aux Etats-Unis, patrie de cette finance à effet de levier, la part des prêts octroyés avec des garanties allégées est passée de 35% en 2007 à 80% en 2017. Toujours outre-Atlantique, l’encours des prêts à effet de levier est estimé à 1 200 milliards de dollars à fin 2018, dont la moitié sous forme titrisée. Les obligations à haut rendement atteindraient également plus de 1 000 millards de dollars.

A titre de comparaison, en 2006, soit un an avant l’explosion de la bulle financière, les prêts hypothécaires « subprimes » représentaient moins de 650 milliards de dollars aux Etats-Unis. Au niveau mondial, la finance à effet de levier atteindrait 3 000 milliards d’euros, dont 875 milliards d’euros en Europe.

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Un risque de contagion directe limité en France

Comme avant la crise de 2008, cette envolée rapide a été favorisée par le contexte de taux bas qui incite les gestionnaires d'actifs à miser sur des produits plus risqués pour doper la rentabilité de leur portefeuille. « L’abondance de financement bon marché n’incite pas à faire le tri entre les bons projets et les moins bons. Or, la soutenabilité et le refinancement de la dette corporate pourraient être fortement compromis par la fin des politiques monétaires accommodantes ou par un choc macroéconomique : le refinancement simultané de multiples emprunteurs à l’échéance des crédits et dans des conditions de marchés dégradées pourrait s’avérer très difficile et conduire à de nombreux défauts », avertit l’AMF dans sa cartographie des risques. En clair : le régulateur craint un emballement en cas d'accroc dans la « machine » économique.

En cas de retournement de la finance à effet de levier, l’Hexagone serait toutefois protégée, estime le régulateur… Les fonds de droit français n’étant que peu investis sur ce marché. Sur les 1 500 milliards d’euros d’actifs les composant, les obligations à haut rendement représentent moins de 21 milliards d’euros, soit 1,4%. Concernant les CLO, seuls 28 fonds français en détiennent et ils pèsent pour moins de 2% de leur actif.

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