Dans le panel des produits bancaires, le Plan d’épargne en actions figure en bonne place dans les brochures commerciales : les banques le présentent toujours comme le produit phare pour investir en bourse. Pourtant, les statistiques sur le PEA sont réduites à la portion congrue depuis la crise financière. Si la perte de vitesse est avérée, elle s’avère difficile à évaluer. Le PEA est-il clairement sur le déclin ? Pourquoi ? Eléments de réponse.

Fin 2000, huit ans après la création du Plan d’épargne en actions, la Banque de France en recensait 6,45 millions. Ce produit créé pour inciter les épargnants à investir en actions, grâce à la non-imposition des plus-values à maturité fiscale du plan (1), a continué sa progression jusqu’au milieu des années 2000 : plus de 7,3 millions de PEA en 2003, idem en 2005, mais seulement 7 millions en décembre 2007. Depuis ? Plus aucune trace de l’étude « structure et évolution des PEA bancaires », publiée régulièrement jusqu’alors par la Banque de France.

Les statistiques de l’institution ont uniquement refait surface en août 2013 quand Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie, annonçait le relèvement du plafond du PEA à 150.000 euros et la création du PEA-PME. Il faisait alors état de « plus de 5 millions de PEA ouverts en France », dont « 60.000 » au plafond réglementaire (132.000 euros à l’époque). Le dossier de presse relevait la baisse de l’encours, qui avait atteint 120 milliards d’euros en 2007, à « près de 80 milliards d’euros d’encours fin 2012 ».

« Les statistiques sur le PEA se font rares »

Et aujourd’hui ? Mystère. La Banque de France ne produit plus d’étude spécifique, livrant seulement des chiffres sur les actions cotées détenues par les ménages (flux en diminution en 2015). L’Autorité des marchés financiers ne dispose d’aucune statistique sur ce produit, et les banques contactées affirment ne pas communiquer ce type d’information. « Les statistiques sur le PEA se font rares », confirme Cyril Blesson, associé chez Pair Conseil, cabinet qui veille l’ensemble des publications officielles sur les produits d’épargne. Avant de glisser : « Est-ce parce que le produit déçoit ? »

L’Insee a apporté une indication la semaine passée à travers son étude sur le patrimoine des ménages en 2015 : « Malgré les avantages fiscaux qu’il offre, le Plan d’épargne en actions n’attire pas plus de ménages que les comptes-titres ordinaires », affirme l’Insee. Or le pourcentage de ménages détenant au moins un compte-titres a baissé de plus de 11% en 2010 à moins de 10% aujourd’hui. Le taux de détention du PEA avait lui déjà chuté de 15,2% des ménages en 2004 à 11,8% en 2010.

Tous ces chiffres portent sur les PEA bancaires. Le PEA assurance, contrat de capitalisation bénéficiant de l’enveloppe fiscale du Plan d’épargne en actions, rattrape-t-il les statistiques ? Loin de là : le nombre de plans en cours est tombé de 72.600 en 2005 à 30.900 en 2014, selon la fédération des assureurs. Et le nombre de PEA assurance ouverts par an n’a plus dépassé le cap des 2.000 depuis 2007.

« Ruptures boursières à répétition »

2007, l'année durant laquelle la crise financière a débuté : les cours se sont effondrés en bourse au cœur de l’été. Plus que le simple PEA, c’est l’investissement en actions que les Français se sont mis à bouder : « En 2004, un quart des ménages en métropole détenait des valeurs mobilières [actions, obligations, OPCVM, etc., NDLR] ; ils ne sont plus qu’un sur six début 2015 », lit-on dans l’étude de l’Insee. « Traditionnellement, les épargnants sont pro-cycliques », analyse Cyril Blesson, de Pair Conseil. « Ils achètent quand la bourse se porte bien, et vendent quand les cours baissent : ils font l’inverse de Warren Buffett ! »

« Cette baisse de la détention d’actions est une tendance longue, d’autant plus marquée depuis la crise de 2007-2008 », estime pour sa part Alain Tourdjman, directeur des études économiques et de la prospective du groupe Banque Populaire-Caisse d’Epargne (BPCE). « Les Français ont perdu confiance dans les marchés financiers suite aux ruptures boursières à répétition, avec deux cracks d’ampleur séculaire en moins de 10 ans : l’éclatement de la bulle internet au début des années 2000, puis la crise des subprime en 2008. » Des crises qui ont mis à mal une évolution favorable de la « culture financière des Français » lors des « années 80-90 » selon Alain Tourdjman. Désormais, « l’idée selon laquelle les actions sont rémunératrices sous réserve d’un investissement de long terme a été profondément remise en cause », juge l’économiste.

Les actionnaires « par accident » ont disparu

Conséquence : le cercle des détenteurs de PEA et plus largement le panel des actionnaires individuels se sont resserrés. Qui sont désormais les détenteurs de titres ? « Des particuliers experts très au fait de leur stratégie d’investissement » selon Alain Tourdjman, de « BPCE l’observatoire », qui ajoute que ces investisseurs sont désormais plus « opportunistes, moins concentrés sur un horizon à long terme ». « Beaucoup d’épargnants férus ont été déstabilisés par une volatilité généralisée et un sentiment de totale irrationalité », développe-t-il. « Ceux que l’on pourrait qualifier d’actionnaires par accident s’en sont aussi écartés. »

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Cyril Blesson, dont le cabinet édite Les Cahiers de l’épargne, rappelle toutefois qu’à l’image du compte-titre ordinaire, « le PEA n’a jamais été un produit phare ». La détention de valeurs mobilières a ainsi « toujours concerné une catégorie bien spécifique de la population : le taux de détention atteint 45% dans le dernier décile de la population en termes de patrimoine financier ! »

Basculement vers la détention indirecte ?

Dans sa dernière lettre de l’observatoire de l’épargne, l’AMF constate que « la majorité des détenteurs d’actions le sont désormais indirectement, au travers de Sicav et de FCP (fonds commun de placement), via de l’assurance-vie ou de l’épargne salariale ». L’AMF s’appuie sur une étude TNS Sofrès montrant que le taux de détention d’actions en direct chute, quand celui d’unités de compte (UC) de l’assurance-vie grimpe de façon régulière.

Alain Tourdjman réfute toutefois l’idée d’un transfert de la détention d’actions en direct « vers l’intermédiation des OPCVM » : « [La baisse] concerne l’investissement en valeurs mobilières dans son ensemble. » La même étude relayée par l’AMF confirme en effet la dégringolade du taux de détention des valeurs mobilières dans la population française depuis 2009, tombé de 18,2% à 10,9%.

« Restaurer la confiance »

L’économiste du groupe BPCE pense que la fracture entre les particuliers et l’actionnariat individuel est plus profonde. Elle ne s’explique pas uniquement par des évolutions fiscales (2) et la conjoncture économique : « Les pratiques du marché, celles de certains opérateurs (hedge-funds ou trading haute fréquence), créent un sentiment plus ou moins fantasmé mais largement diffusé d’asymétrie d’information et d’action au détriment des petits porteurs. » Afin de « restaurer la confiance », Alain Tourdjman propose notamment d'élargir l’« accès à l’information des actionnaires individuels », par exemple via un « abaissement du seuil de capital pour la divulgation des ventes à découvert ».

Quant au Plan d’épargne en actions, l’association de défense de la place financière parisienne Paris Europlace réclamait déjà en 2010, dans un rapport, le développement « de la détention d’actions via le PEA ». Comment ? En « simplifiant son fonctionnement et sa lisibilité ». Depuis, la seule évolution majeure du produit a été un relèvement du plafond à 150.000 euros en 2014, pour des effets qui restent inconnus.

Lire par ailleurs : le fonctionnement du Plan épargne en actions

(1) Le PEA se différencie du compte-titre ordinaire par sa fiscalité avantageuse. Actuellement, les plus-values sont soumises au régime fiscal des plus-values mobilières en cas de clôture du plan avant 5 ans de détention, et elles ne sont pas imposables (uniquement soumises aux prélèvements sociaux) passé le cap des 5 ans.

(2) Depuis 2013, plus-values mobilières et dividendes sont intégrés au barème de l’impôt sur le revenu, malgré certaines dispositions pour limiter le niveau d’imposition en fonction de la durée de détention des titres. Lire à ce propos : la fiscalité des plus-values mobilières.