Dans un contexte de taux d'intérêt durablement faible, qu’est-ce qui est le plus rentable pour votre banquier : vous accorder un crédit ou bien que vous lui confiiez votre épargne ?

Ces dernières années, poussé par la crise financière et l’arrivée de nouveaux acteurs en ligne, le secteur bancaire traditionnel s’adapte. Du point de vue des clients, ces changements se matérialisent par des fermetures d’agences, le turnover des conseillers bancaires, la baisse de la rémunération de l’épargne et, plus positif, la chute des taux d’emprunt : les taux immobiliers frôlaient les 4% fin 2011, ils se situent désormais en dessous de 1,50%. Du côté des banques, la baisse des taux et la pression concurrentielle sur la banque de détail ont impacté leur revenu et surtout sa répartition. Car, « à la différence de leurs concurrentes étrangères, les banques françaises reposent sur un modèle universel qui entraine une diversification des revenus et une résistance aux chocs », rappelle Frédéric Bois, responsable pôle innovation et veille transverse chez Sémaphore Conseil.

La banque de détail, la source de bénéfice essentielle

La première tendance de fond concerne la banque de détail : la commercialisation de comptes courants, de produits d’épargne et de crédits à destination des particuliers et des professionnels pèse un peu moins dans le produit net bancaire (PNB) des banques. Pour rappel, le PNB est un indicateur proche du chiffre d’affaires propre aux établissements bancaires. Ainsi la part totale de cette activité (exercée en France mais aussi dans les filiales étrangères des banques françaises) est passée de 60,5% du PNB en 2012 à 56,7% en 2017, selon les statistiques compilées par l’ACPR et qui reposent sur les résultats financiers des 6 principales enseignes françaises (1).

Dans le même temps, le poids de la banque de financement et d’investissement (BFI) – le conseil, l’intermédiation et l’exécution des opérations de financement des États et des grandes entreprises – a grimpé d’un point à 18,9% du PNB en 2017. L’essor de la gestion d’actifs et de l’assurance est encore plus important. Cette activité représente désormais 15,2% du chiffre d’affaires des banques, contre 12,6% en 2011. « Les banques diversifient leurs ressources sur le marché de l'assurance. Ce n’est pas nouveau, mais cela se confirme », note à ce propos Frédéric Bois.

Néanmoins, c’est bien toujours de la banque de détail que les 6 principaux établissements français tirent l’essentiel de leur revenu et de leur bénéfice. Une fois déduits les frais de gestion (rémunération du personnel, entretien des réseaux et dépenses informatiques), les produits et services bancaires vendus au grand public représentent en moyenne 46% de leur résultat net avant impôt réalisé en 2017. S’en suivent l’assurance et la gestion d’actifs (22%), la BFI (20,5%) et le financement spécialisé (11,5%).

Le crédit bancaire préservé en dépit de la baisse des taux

A la seule échelle de la banque de détail, la baisse des taux d’intérêt a produit des effets perceptibles. La production de crédits a été décuplée en France depuis 2015. En atteste l'encours des prêts octroyés à la clientèle française qui est passé de 2 168 milliards d'euros à fin 2014 à 2 436 milliards d’euros à fin 2017 (2). Dans le détail, les prêts de trésorerie qui, en 2017, pèse 365 milliards d’euros et les crédits immobiliers, avec leurs 1 145 milliards d’euros d’encours, ont ainsi progressé de respectivement 30% et 17% en 3 ans.

Et pourtant, bien que les banques prêtent davantage, leur marge d’intérêt – la différence entre le taux d'intérêt proposé aux emprunteurs et le taux auquel les banque se refinancent – a stagné. Les établissements bancaires ont généré ainsi 72,1 milliards d’euros en 2017, soit 300 millions de moins qu’un an plus tôt. Rapportée au PNB, la marge d’intérêt équivalait en 2012 à 53% du chiffre d’affaires total des établissements bancaires, contre 47% en 2017. Logiquement, la faute incombe à la baisse des taux d’emprunt : elle se poursuit alors que le taux de refinancement des banques est lui resté inchangé depuis 2016.

Outre les intérêts perçus, les banques se rémunèrent sur les prêts en prélevant aussi des frais de dossier et des indemnités de rachat anticipé lorsqu’un client passe à la concurrence. Début 2017, les rachats et renégociations de crédits représentaient plus de 60% de la production de prêts nouveaux à l’habitat. De quoi donc récupérer quelques gains supplémentaires indépendamment du niveau des taux d’intérêt. « Les indemnités de rachat anticipé ont permis de faire rentrer un peu d’argent. Évidemment, cette source de revenu est restée modeste, de l’ordre de quelques millions d’euros », nuance toutefois le consultant de Sémaphore.

Il n’empêche qu'octroyer des crédits pour percevoir une marge d’intérêt demeure l’activité la plus lucrative pour les banques. Leur deuxième source de revenus, à savoir les commissions prélevées (tarifs bancaires, frais de dossier et autres frais de gestion sur l’épargne), se chiffre à 50,2 milliards d’euros, soit un tiers du PNB total du secteur en 2017. De plus, les commissions sont fortement mises à mal ces dernières années. Entre 2016 et 2017, leur montant s’est replié de 6,4 milliards d'euros.

Combien rapportent les découverts aux banques ?

Composée à la fois d’intérêts et de commissions, la facturation totale du découvert bancaire s'avère être une manne financière importante pour les enseignes. Selon les estimations de 60 Millions de consommateurs et de l’Union nationale des associations familiales (Unaf), les frais pour incidents ont généré 6,5 milliards d’euros de revenus en 2016 pour 4,9 milliards d’euros de bénéfice. Rapporté au résultat net avant impôt cumulé des banques qui s’établissait à 30,4 milliards d’euros en 2016, les banques tireraient 16% de leur bénéfice du découvert bancaire.

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La chute des taux pèse sur les revenus de l’épargne

La baisse des commissions est à remettre dans le contexte réglementaire, explique Frédéric Bois de Sémaphore Conseil. « Depuis quelques années, les tarifs bancaires des particuliers sont sous pression », souligne-t-il. « Pour se rattraper, nous aurions pu imaginer que les banques cherchent des revenus du côté des frais facturés aux professionnels, même si pour l’heure nous n’assistons pas à une augmentation forte des tarifs appliqués à ce segment de clientèle », poursuit le consultant.

Là encore, la pression sur les commissions peut aussi être liée au repli des taux d’intérêt, mais du côté de l’épargne cette fois. Avec la baisse du rendement des supports sans risque, on aurait pu croire que les Français misent davantage sur les actifs financiers, dont l’intermédiation et la gestion sont sources de revenus pour les banques. Eh bien non ! « A la place, les épargnants ne se tournent pas vers des placements financiers lucratifs et dynamiques, mais risqués. Ils laissent dormir leur argent sur leur compte courant ou les livrets réglementés comme le Livret A ou le LDDS », regrette ainsi Frédéric Bois.

Et pour cause, les dépôts sur les comptes courants atteignent 1 106 milliards d’euros à fin 2017. Ajoutés à cela les encours sur les produits d’épargne réglementée (PEL, CEL, livret A…), les sommes en jeu correspondent à 2 100 milliards d’euros selon l’ACPR, représentant près des trois quarts des dépôts des clients.

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(1) BNP Paribas, BPCE, Crédit Agricole, Crédit Mutuel, La Banque Postale, Société Générale. (2) Chiffres français de la banque et de l'assurance, ACPR (octobre 2018)