Malgré la concurrence des banques en lignes quasi-gratuites, malgré la loi Macron et sa mobilité facilitée, les Français changent à peine plus de banque que par le passé. Le tour, en 4 étapes, des bonnes (et mauvaises) raisons qui les freinent encore.

Quelle est la part des Français ayant changé de banque en 2018 ? Difficile de répondre très précisément à cette question, en l’absence de chiffres officiels et publics sur le sujet. Ils seraient 4,8%, selon une récente étude du cabinet Bain & Company réalisée auprès de 15 000 clients bancaires. Et ce chiffre, de même source, aurait tendance à augmenter (4,3% en 2016, 4,5% en 2017), se rapprochant lentement mais sûrement du cap des 5%.

Mais 5% de mobilité bancaire annuelle dans un pays comme la France, est-ce beaucoup ou peu ? Pour Patrice de Villeroy, associé conseil industrie financière au sein du cabinet Deloitte, c’est en tout cas un niveau logique : « On constate que ce taux d’attrition bancaire est très stable dans le temps. C’est un marché libre, mais les banques ont d’autres priorités que de piquer des clients à leurs concurrents. Celle notamment de réussir leur transformation numérique, qui leur coûte une fortune. »

On peut aussi considérer que ce taux est anormalement faible. Il semble l’être, d’abord, comparé au reste de l’Europe. Les chiffres datent un peu, mais le rapport Mercereau sur la portabilité bancaire, publié en 2014, estimait ce taux autour de 10% à l’échelle de l’Union.

Il augmente peu, ensuite, alors que le contexte a beaucoup changé au cours des 10 dernières années, avec l’émergence des banques en lignes puis des néobanques, et l’action des pouvoirs publics pour améliorer les conditions de concurrence et faciliter le changement.

Enfin, il est bien inférieur au pourcentage des Français (20% ou 25% selon les sources) qui déclarent avoir l’intention de changer de banque. Un écart, de l’intention à la réalité, qui montre la persistance de freins au changement de banque. Ces freins, toutefois, sont-ils toujours réels, ou s’agit-il de simples prétextes pour éviter de franchir le pas ?

« Changer de banque, c’est prise de tête ! »

Depuis février 2017, les Français qui souhaitent changer de compte principal peuvent signer un mandat de mobilité avec leur nouvelle banque, qui se charge de changer les domiciliations de leurs prélèvements et virements récurrents. Très attendu, ce dispositif, issu de la loi dite Macron d’août 2015, a au final peu fait bouger les lignes. Certes, en 2 ans, 2,4 millions de mandats ont été officiellement signés. Mais sans entraîner de rebond sensible du taux de mobilité. Patrice de Villeroy pense savoir pourquoi : « La loi Macron a entrouvert la porte de sortie, mais elle ne suffit pas en elle-même pour déclencher le changement. Les gens ont besoin d’une bonne raison pour changer de banque, et il n’y a pas tant de raisons que cela. Le gens n’y vont pas car ils ne sont pas sûrs d’avoir quelque chose à y gagner. »

Pour autant, si la mobilité Macron est sans doute loin d’être parfaite - elle ne concerne que le compte courant, et pas les autres produits détenus - elle a tout de même le mérite d’avoir largement allégé la corvée « administrative » du changement de banque, celle qui consistait à transmettre ses nouvelles coordonnées bancaires à l’ensemble de ses payeurs et créanciers, de pointer les opérations en instance, de demander à son ancienne banque de clôturer le compte, etc. En résumé, changer de banque (en tout cas de compte courant principal), c’est moins prise de tête qu’avant.

Plus d'infos : Changer de banque : comment procéder ?

« Changer de banque, ça ne vaut pas le coup ! »

Qu’a-t-on à gagner à changer de banque ? Une agence plus proche de son domicile ? Des produits d’épargne plus performants ? Sans doute… Mais les deux premières motivations, d’assez loin, sont la qualité du service et le prix. La première est difficile à anticiper : elle dépend en effet largement de la relation avec le nouveau conseiller. La seconde est plus facile à objectiver.

La plupart des Français semblent douter qu’on puisse faire des économies substantielles en changeant. Ils n’ont pas totalement tort. Nous l’avons vu, la compétition tarifaire entre les grandes enseignes traditionnelles est d’assez faible intensité, rares sont celles qui utilisent ce levier pour s’attirer des nouveaux clients. Il y a bien évidemment quelques différences, notamment sur les frais d’incidents et les opérations exceptionnelles. Mais sur les opérations du quotidien, celles qui figurent en exergue des brochures tarifaires, les chances de faire d’importantes économies sont faibles.

Alléger sensiblement sa facture est toutefois possible, en passant à la banque 100% en ligne. Les enseignes de ce marché sont en effet de trois fois à 10 fois moins chères que les banques à réseaux pour un profil de consommation standard. En contrepartie, il faut toutefois accepter de changer totalement la relation avec sa banque : plus d’agence, plus de conseiller attitré, mais un service client ouvert tard le soir et le samedi.

A consulter : le classement cBanque des banques les moins chères

« Je ne peux pas changer, j’ai un PEL et/ou une assurance vie ! »

93,46 euros : c’est le prix moyen, au 1er avril 2019, du transfert d’un Plan Epargne Logement (PEL) dans les banques françaises, avec un écart de 110 euros entre la moins (40 euros à la Macif) et la plus chère (150 euros au Crédit Agricole Lorraine, notamment). Et cette ligne tarifaire est une de celles qui augmentent le plus vite : 8% rien qu’entre 2017 et 2018. Il est parfois possible de convaincre sa nouvelle banque de régler ces frais, mais c’est loin d’être la norme.

L’alternative est évidemment de conserver son PEL dans son ancienne banque. Mais là encore, nombre d’enseignes ne jouent pas le jeu et imposent - sans réel fondement juridique - de conserver un compte courant support pour approvisionner le plan. Un compte dont la tenue coûtera en général quelques euros par mois. Bilan : la détention d’un PEL, comme celle d’un Plan d’épargne en actions (PEA), autre produit de placement dont le transfert est payant, sont clairement utilisées par les banques pour rendre le changement de banque plus complexe, et donc dissuader les partants.

C’est aussi le cas, dans une moindre mesure, de l’assurance vie. Là, toujours pas de transfert possible, malgré quelques récents espoirs sur le sujet. En revanche, la contrainte de posséder un compte courant support, souvent payant, au sein de la banque pour faire transiter les versements et les retraits, existe également.

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« Je ne peux pas, j’ai un crédit immo ! »

Le crédit immobilier, c’est à la fois la principale cause de changement de banque, et le principal frein à la mobilité bancaire. Nombreux, en effet, sont les emprunteurs à qui l’on a fait comprendre, au moment de la signature de leurs prêts, qu’il était indispensable de domicilier leurs revenus dans la banque. On peut le comprendre : s’ils se font peu concurrence sur la tarification de la banque de détail, les établissements de crédit sont en revanche férocement compétitifs sur le crédit immobilier, leur principal produit d’appel et leur meilleure chance de capter de nouveaux clients. D’où la volonté de les retenir à tous prix.

En réalité, les clauses écrites imposant de domicilier ses revenus sont assez rares. Et pour cause : elles peuvent être considérées comme abusives. Une ordonnance et un décret, publiés l'an passé et entrés en vigueur en début d'année, ont bien tenté d'encadrer cette pratique, en autorisant les banques à intégrer ce type de clause à leurs offres, à condition de prévoir noir sur blanc une contrepartie - un « avantage individualisé » - pour l'emprunteur. Mais face aux critiques - des courtiers, des associations de consommateurs, etc. - Bercy va faire marche arrière.

Il est fréquent, en revanche, que la promesse de la domiciliation soit, au cours de la négociation commerciale avec la banque, considérée comme un pré-requis à l’octroi. Mais cette promesse est le plus souvent orale et n’engage pas sur toute la durée du remboursement. Libre alors à l’emprunteur d’aller voir ailleurs si l’herbe est plus verte, tout en continuant à rembourser son crédit dans son ancienne banque.