De plus en plus souvent consultés, notamment sur mobile, les relevés de compte restent souvent difficiles à lire, en raison des libellés imprécis de certaines opérations. Pourquoi cette incapacité des banques à présenter de manière claire leurs relevés ? Et quelles sont les pistes d'amélioration ?

« Bonjour. (...) [impossible] de comprendre les libellés (...) obscurs et raccourcis dans mon relevé (...). C'est quoi LOVEDI ? [J'ai dû faire des recherches] (...) pour comprendre qu'il s'agit d'un achat chez Carrefour City Boulogne Lovedis ». Ce genre de question, ici posée par un contributeur de notre forum d'entraide, est monnaie courante sur le web.

Et pour cause : nous avons tous, un jour ou l'autre, été confrontés à l'impossibilité, en consultant notre relevé de compte, de rattacher une opération par carte affichée à un achat réellement effectué. Et ce, en général, parce que le nom du commerçant nous est inconnu, ou parce que la date ou le lieu présentés semblent incohérents.

Des flux monétiques à décrypter

Pour comprendre cette difficulté, il faut s'attarder sur la manière dont les banques construisent les libellés d'opérations. Chaque paiement, par carte mais pas seulement, donne lieu à ce que l'on appelle une compensation entre, d'un côté, la banque du commerçant qui encaisse le montant de la transaction et de l'autre, celle du client qui la paye.

Pour mener à bien ces compensations, les banques française communiquent au travers d'un système baptisé Core et géré par la société Stet. La banque du client reçoit ainsi, au sein de ces « flux monétiques de compensation », des données permettant d'une part de vous identifier en tant que payeur, de l'autre d'identifier le commerçant à payer grâce à une dizaine de données : date et montant de l'achat, nom du marchand, n° de SIRET de sa société, localisation, type de terminal de paiement utilisée, etc.

Ces données, toutefois, ne suffisent pas toujours à décrire efficacement la transaction. Un exemple : j'achète une galette des rois à la « Boulangerie du château ». Problème : son terminal de paiement (TPE) est enregistré, non pas au nom du commerce, mais à celui de la société qui le détient, la SARL Dupont. C'est donc ce nom qui va apparaître sur mon relevé : impossible de savoir qu'il s'agit d'une boulangerie, et que le débit concerne la galette. D'autant que la date indiquée n'est pas non la date réelle de l'achat, effectué un samedi, mais celle de la télécollecte des informations enregistrées par le TPE, qui a été effectuée un autre jour.

Autre cas de figure : j'achète à Nantes un vêtement dans une chaîne de magasins spécialisés. Il suffit que le siège social de la société qui pilote cette chaîne se situe à Paris pour que mon relevé m'indique que la transaction a eu lieu dans le département 75, et pas dans le 44.

Enrichir les données

A l'heure de la banque mobile, qui accélère la fréquence de consultation des comptes - une quinzaine de fois par mois en moyenne pour les utilisateurs d'applis - et des services d'informations sur les comptes, censés permettre de gérer au plus près chaque poste budgétaire, ce genre d'imprécision fait tâche. Elle remet en cause, en effet, la pertinence de ces outils dernier cri. « Les banques et les applications indépendantes fournissent de beaux graphiques en couleur. Mais ces graphiques sont généralement biaisés ou très incomplets, parce que la catégorisation automatique ne fonctionne pas », résume Benoît Gruet, CEO de la fintech française CDLK Services.

Les banques auraient-elles la possibilité de faire mieux ? « Oui », estime-t-il. CDLK commercialise de fait une solution qui filtre et enrichit les données transactionnelles, en les croisant avec d'autres sources de données, dans une logique dite de big data. Elle permet ainsi, en cliquant dans son relevé en ligne, de proposer, pour chaque transaction, une fenêtre pop up enrichie d'informations sur « le nom ou les noms des commerçants, la date et l'heure de la transaction, sa localisation, l'historique des transactions dans ce point de vente, leur récurrence éventuelle, etc. », détaille Benoît Gruet.

Les banques ont d'autres priorités

Aussi intéressante soit-elle sur le papier, cette solution n'est encore en production dans aucune banque. Pourquoi ? « Aujourd'hui, l'innovation est limitée par l'ampleur des chantiers de conformité vis-à-vis de la réglementation », poursuit Benoît Gruet. « Il y a une marque d'intérêt forte des banques pour ce type de solution mais une grande difficulté à y allouer du temps, des budgets et une échéance... »

Elles y auraient pourtant tout intérêt. Pour proposer un meilleur service à leurs clients, et générer de la satisfaction dans un contexte de plus en plus concurrentiel. Mais pas seulement. L'illisibilité des relevés de comptes coûte cher. Que fait-on en effet, lorsqu'on constate un débit inconnu sur son compte courant ? On appelle son conseiller, en général sans succès puisqu'il ne dispose pas de plus d'information. On estime ainsi à deux par jour en moyenne le nombre de coups de fil reçus pour ce motif par chaque conseiller. « Au mieux, c'est juste irritant pour le client et c'est un coût opérationnel pour le réseau qui gère des appels entrants improductifs », analyse le CEO de CDLK. « Au pire, ce sont des cas de fraude non détectés ou inutilement déclarés, avec des coûts induits de renouvellement de carte. » Dans tous les cas, des coûts, et pas seulement symboliques.