Le virement SEPA (ou paiement) instantané est annoncé comme une petite révolution. Les banques françaises commencent à s'activer, notamment Arkéa qui le lancera en deux temps, en juillet puis en fin d'année 2018. Mais des questions subsistent autour de ce nouveau moyen de paiement. A quoi va-t-il servir ? Sera-t-il payant ? Est-il sûr ? Nous avons interrogé Jean-Luc Dubois, directeur des flux du Crédit Mutuel Arkéa.

Jean-Luc Dubois, à quoi va servir le paiement instantané selon vous ?

Jean-Luc Dubois : « Nous constatons dans tous les domaines une forte demande de services en temps réel de la part de nos clients, une évolution sans doute liée à l’essor du mobile. C’est une vague, il faut que tout soit instantané, y compris les paiements. Le premier usage pour les particuliers devrait être le paiement de personne à personne : lorsqu’un proche a un besoin urgent d’argent sur son compte, pour régler des achats entre particuliers par petites annonces ou pour rembourser des amis… Mais si ce sont les particuliers qui permettront d’atteindre la masse critique d’usage du paiement instantané, l’enjeu de son adoption se situe aussi du côté des entreprises, pour le paiement des factures ou le versement des salaires notamment. »

Comment, concrètement, pourra-t-on initier un virement instantané ?

J-L.D. : « Dans les espaces clients web, ce ne devrait pas être très différent de ce qu’on connaît déjà avec les virements traditionnels. Côté mobile, il y aura aussi la possibilité d’effectuer des virements instantanés dans l’application ''Paylib entre amis'', qui permet de payer une autre personne en utilisant simplement son numéro de mobile. Nous le proposerons à nos clients en fin d’année. »

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« Le prix, un sujet difficile »

Ce nouveau service sera-t-il payant ?

J-L.D. : « C’est un sujet toujours un peu difficile et la réflexion est encore en cours. Ce qui est sûr, c’est que l’instantanéité représente un coût pour la banque, qui doit déployer des infrastructures plus sophistiquées, plus résilientes aussi. Nous réfléchissons à des offres plus packagées autour du virement instantané, à l’image de ce qui se fait pour la carte. »

Paiement instantané, mode d’emploi

Nouvel instrument de paiement promu par les institutions européennes, le paiement instantané (ou « virement SEPA instantané » dans la nomenclature officielle), a les caractéristiques suivantes :

  • un délai cible de 10 secondes pour exécuter la transaction ;
  • une disponibilité 24h/24 et tous les jours de l’année.

Il permet donc au bénéficiaire d’avoir une disponibilité immédiate des fonds. Le montant par transaction est toutefois limité à 15 000 euros par transaction. Un plafond qui pourrait évoluer dans le futur.

Où en est Arkéa du déploiement du virement instantané ?

Jean-Luc Dubois : « En juillet, nous serons parmi les premières banques à nous connecter à la plateforme française développée par la Stet (opérateur du système de compensation des paiements en France, NDLR). Nous prévoyons d’offrir le service de réception à nos clients dès cet été, mais l’émission ne sera possible que d’ici la fin d’année. En effet, pour un virement instantané, il faut être deux. Le proposer alors que les autres banques de la place ne peuvent pas encore le traiter, cela risquerait de créer de la déception pour nos clients. Il faudra donc attendre qu’il y ait suffisamment de banques connectées pour que cela se lance vraiment. Cette période transitoire va durer de six mois à un an »

« Les grandes banques prêtes d'ici 6 mois à un an »

Depuis quand le groupe Arkéa travaille-t-il à ce déploiement ?

J-L.D. : « C’est un sujet qui nous occupe depuis plus d’un an, et qui dépasse le cadre du simple paiement. Permettre à nos clients de virer de l’argent en une dizaine de minutes, 24 heures sur 24 et 7 jours sur 7, cela ne se limite pas à un problème de ''tuyauterie'' des paiements. Il faut aussi intervenir sur les systèmes informatiques qui gèrent la tenue du compte, pour pouvoir rendre visible instantanément les opérations et en informer les clients. C’est donc un projet important et structurant en termes de système d’information. »

Le paiement instantané peut-il venir marcher sur les plate-bandes d’autres moyens de paiement, voire leur donner le coup de grâce ?

J-L.D. : « L’exemple de la Grande-Bretagne, où le système Faster Payments concerne désormais un virement sur 5, confirme qu’il y a une appétence pour ce produit, et un potentiel de développement plus rapide que d’autres innovations. Mais la technologie va toujours plus vite que les usages, et une partie de la population continuera encore longtemps à préférer utiliser des chèques ou des espèces. »

Le paiement instantané est-il de nature à faire de l’ombre à la carte bancaire ?

« Des usages concurrents de la carte bancaire »

J-L.D. : « Je le répète : on ne remplace jamais complètement un moyen de paiement par un autre, sinon le chèque aurait disparu avec l’apparition de la carte bancaire. On peut imaginer, au quotidien, des usages concurrents, pour les achats en ligne plutôt que pour les achats en points de vente dans un premier temps. Mais la carte restera utile, par exemple pour voyager. Ce qui est sûr en revanche, c’est qu’il y a une volonté politique, au sein des institutions européennes, de miser sur le paiement instantané pour remplacer certains flux carte contrôlés aujourd’hui par des acteurs américains. »

Le paiement instantané existe déjà en Grande-Bretagne, en Suède, en Australie, aux Etats-Unis. Peut-on envisager une interconnexion de ces différents systèmes ?

J-L.D. : « Des passerelles seront peut-être construites un jour, mais ce n’est pas encore à l’ordre du jour. »

Y a-t-il un enjeu particulier en matière de sécurité avec le paiement instantané ?

J-L.D. : « Oui, qui dit plus de rapidité pour payer dit plus de rapidité pour frauder, et donc l’émergence de nouveaux risques. Cela va nécessiter des dispositifs de surveillance plus sophistiqués, des analyses plus rapides pour détecter les comportements anormaux, à l’image de ce qui existe déjà pour la carte bancaire. »