65 fintechs européennes ont signé et rendu public un manifeste dénonçant les conditions de mise en œuvre de la directive révisée sur les services de paiement, dite DSP2. Des conditions qui, sous influence du secteur bancaire, dénaturent selon les signataires l’esprit du texte.

C’est à un début de bras de fer que se livrent depuis quelques semaines le secteur bancaire d’un côté, celui de la Fintech de l’autre. L’enjeu : les modalités techniques d’application de la directive européenne révisée sur les services de paiements, dite DSP2. Un texte adopté en octobre 2015, et qui doit entrer en vigueur le 13 janvier 2018.

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La semaine passée, 65 jeunes pousses technologiques européennes, qui ont en commun d’opérer dans le domaine financier, ont ainsi rendu public un manifeste, « pour la sauvegarde de l’esprit de la directive DSP2 ». Parmi ses signataires, des fintechs françaises - Bankin’, Budget Insight, Linxo, LaFinBox, L-Expert-comptable.com… - mais aussi leur association professionnelle, France Fintech, et le pôle de compétitivité Finance Innovation.

Un appel à la Commission européenne

Que demandent les signataires du manifeste ? Tout simplement l’intervention de la Commission européenne, afin qu’elle demande que soient modifiées certains normes techniques destinées à encadrer, dès l’an prochain, la mise en œuvre de la DSP2.

Entre autres objectifs, cette directive révisée sur les services de paiement doit en effet donner un cadre à l’activité de deux types d’acteurs émergents : les services d’information sur les comptes (AIS) - souvent désigné sous le terme d’agrégateurs - et les services d’initiation de paiement (PIS). Les deux ont en commun d’accéder, pour les besoins de leur service et avec l’accord de l’utilisateur, aux informations des comptes bancaires, en utilisant une méthode dite d’accès direct : l’usager leur confie les codes d’accès à son espace bancaire en ligne, que ces fintechs utilisent pour se connecter et récupérer automatiquement les informations.

Une valeur ajoutée remise en cause

Cette méthode, toutefois, est dans le collimateur de l’Autorité bancaire européenne (EBA), chargée par la Commission européenne de plancher sur les normes techniques d’accès aux données. L’EBA lui préfère en effet l’usage d’interfaces de programmation (API), fournies par les banques elles-mêmes.

Problème pour les fintechs : ces API pourraient ne leur fournir qu’un accès a minima aux données souhaitées - un accès limité, par exemple, aux seules informations liées aux comptes de paiement. Ainsi, en l’absence de solutions alternative, les futurs AIS et PIS pourraient perdre une grande part de leur valeur ajoutée. Et ce sont précisément les arbitrages actuels de l’EBA qui inquiètent les fintechs, qui y voient l’influence du puissant lobby bancaire.

Une entorse à l’esprit de la DSP2

En filigrane, le manifeste dénonce en effet l’influence du secteur bancaire sur les choix opérés par l’EBA qui, selon les signataires du manifeste, constituent une entorse à l’esprit de la DSP2. Les normes prévues, préviennent-ils, « forceront les fintechs à devenir technologiquement tributaires des banques, en positionnant les banques en tant que ''gardiens'' du secteur ». Une telle évolution aurait ainsi une « impact négatif » sur « le modèle économique des fintechs », et plus généralement sur « la concurrence » et « l’innovation en Europe ». La balle est désormais dans le camp de la Commission européenne.

Le patron de la FBF hausse aussi le ton

Le patron du Crédit Agricole et actuel dépositaire de la présidence tournante de la Fédération bancaire française, Philippe Brassac, a récemment haussé le ton contre les fintechs et les projets de la Commission européenne dans le domaine des paiements.

« Je pense qu'il est temps que les autorités se rendent compte qu'on ne peut pas laisser s'installer durablement des acteurs, en particulier dans la monétique, qui font la promotion de services dont ils ne paient pas les infrastructures », a-t-il expliqué à l’occasion de la présentation des résultats trimestriels du Crédit Agricole. « Je trouve extrêmement destructeur pour les systèmes de laisser s'installer l'idée que des acteurs pourraient commercialiser par exemple des cartes bancaires très peu chères, et n'assumer aucune prestation liées aux architectures », a poursuivi Philippe Brassac.