Un « rapport de travail » adressé au parquet soulignait dès mai 2008 les enjeux fiscaux de l'affaire Kerviel, selon des informations vendredi de Mediapart, France Inter et 20 Minutes, propres à relancer le débat sur un coup de pouce fiscal de plus de 2 milliards d'euros dont a bénéficié la Société Générale.

Selon ces trois médias, on lit dans ce « rapport », signé d'un « assistant spécialisé » et adressé au procureur Jean-Michel Aldebert, que « la Société Générale apparaît particulièrement intéressée à faire connaître l'existence d'une fraude complexe, rendant inopérants les systèmes de contrôle interne ». Ce document aurait été « promptement enterré » et broyé, avant d'être reconstitué par les journalistes.

Selon le rapport cité par les trois médias, il était dans l'intérêt de la banque de présenter les transactions frauduleuses de son ex-trader, Jérôme Kerviel, comme très sophistiquées et impossibles à détecter. Parce que cela lui permettait de prétendre à un dispositif d'aide fiscale réservé aux entreprises victimes de fraudes face auxquelles elles auraient été impuissantes. Dans les faits, la Société Générale a pu déduire une partie de ses pertes de ses impôts et touché quelque 2,2 milliards d'euros.

Ce coup de pouce controversé pourrait être remis en cause le 23 septembre si la cour d'appel de Versailles, sur le volet civil de l'affaire, pointe des défaillances telles de la part de la banque que celle-ci ne pourrait plus rejeter sur son ancien trader l'entière responsabilité de sa perte de 4,9 milliards d'euros. Au pénal, l'ex-trader a été définitivement condamné. Le parquet de Paris n'a fait aucun commentaire, pas plus que Jena-Michel Aldebert.

Sapin : « Nous respectons les décisions de justice »

Le ministre des Finances, Michel Sapin, a indiqué que si la responsabilité de la banque était avérée, l'administration fiscale reverrait sa décision. « Nous respectons les décisions de justice. Il y avait jusqu'à présent une décision de justice qui a considéré que la Société Générale n'avait aucune responsabilité dans un cas comme celui-là », a-t-il déclaré à des journalistes en marge des rencontres économiques d'Aix-en-Provence.

« Si la cour d'appel de Versailles décide que la Société générale a une responsabilité avérée qui pourrait même être intentionnelle dans les décisions qui ont été prises alors, évidemment, l'administration fiscale reverra sa décision », a-t-il ajouté.

SocGen : un « harcèlement médiatico-judiciaire »

Dans un communiqué, la banque s'insurge contre des « pratiques de harcèlement médiatico-judiciaire, orchestrées par des médias partisans de la cause de Jérôme Kerviel ». Elle « réitère que le traitement fiscal de la perte occasionnée par les agissements de M. Kerviel a été opéré en toute transparence et conformément à la législation ».

« Ce document de mai 2008, mettant gravement en cause la Société Générale et les 2,2 milliards d'euros d'argent public qu'elle a indûment perçus, a été sciemment dissimulé », a réagi pour sa part Me David Koubbi, l'avocat de Jérôme Kerviel. « Combien de preuves de ces pratiques nauséabondes faudra-t-il encore apporter pour que Hollande et Urvoas se saisissent des manœuvres de la banque avec le concours de certains magistrats du parquet de Paris ? » a-t-il demandé.

Outre des plaintes déposées par Jérôme Kerviel, qui portent en partie sur la ristourne fiscale, une autre procédure, administrative, suit son cours sur le même sujet. Julien Bayou, élu EELV, demande au ministère des Finances de publier le résultat d'une enquête menée en interne en 2012 sur cette ristourne fiscale. Après plusieurs refus au nom du secret fiscal, il va porter l'affaire devant une cour administrative d'appel. « C'est à M. Sapin de lever les doutes qui pèsent sur les décisions de l'administration fiscale », indique à l'AFP Julien Bayou, pour qui « tous les ministres des Finances et du Budget depuis 2008 sont entachés ». « Au-delà des sommes à récupérer, il faudra enquêter sur des soupçons de concussion », dit-il, parlant d'un « hold-up fiscal ».

Le délit de concussion est le fait pour « une personne dépositaire de l'autorité publique (...) d'accorder sous une forme quelconque et pour quelque motif que ce soit une exonération ou franchise des droits, contributions, impôts ou taxes publics » en violant la loi. Il est passible de cinq ans d'emprisonnement et d'une amende de 500.000 euros. Michel Sapin avait lui fait savoir, il y a quelques mois, qu'il était possible de « reconsidérer (ce crédit d'impôt) mais dans le cadre d'une décision de justice. Ce n'est pas à l'administration fiscale de reconsidérer elle-même sa position ».