Linxo, Bankin’, Fiducéo et bien d’autres : petit à petit, les agrégateurs de comptes bancaires, ces services web et mobile qui permettent de gérer dans une seule interface différents comptes bancaires, se font une place dans le paysage français. En se substituant aux espaces clients traditionnels, représentent-ils une menace pour les banques ? Ou au contraire, peuvent-ils les aider à accélérer leur transition numérique ? Le tour de la question avec Marc Giordanengo, consultant senior au sein de l’agence de conseil Ailancy, qui vient de publier un éclairage sur les outils web de gestion de budget.

Marc Giordanengo, qu’est-ce qui différencie aujourd’hui les outils proposés par les banques et ceux développés par les fintechs spécialisées dans la gestion de budget ?

Marc Giordanengo : « Du côté des banques, on constate que la catégorisation, plus ou moins automatique, des dépenses par poste budgétaire, est en passe de devenir un standard du marché. Certaines n’ont pas encore franchi le pas, mais elles y travaillent. La grande différence avec les services proposés par des acteurs non-bancaires, comme Linxo ou Bankin’, c’est l’agrégation de comptes, c’est-à-dire la possibilité de présenter dans une seule interface les données issues de plusieurs comptes détenus dans des banques différentes. Aucune banque, à l’exception de Boursorama Banque, ne propose aujourd’hui cette fonctionnalité. On peut le comprendre : il faut pour cela accepter de se mettre en confrontation directe avec ses concurrents. »

Parmi ces outils de gestion de budget, quel est selon vous celui qui apporte le plus de valeur ajoutée à l’usager ?

M.G. : « La catégorisation automatique intéresse les clients, mais ils n’en font pas un usage fréquent, notamment parce que ces outils nécessitent parfois de classer manuellement les opérations, ce qui peut s’avérer fastidieux. Résultat : nous estimons entre 10 et 20% la part des clients qui en font un usage régulier. L’agrégation de comptes, de son côté, est plus qu’un gadget dans le contexte actuel. En effet, la multibancarisation concerne, selon notre estimation, 25% de la clientèle bancaire, et jusqu’à 70% des clients à forte assise financière. Ces derniers sont logiquement une clientèle cible pour les agrégateurs, au même titre que certains professionnels, notamment les professions libérales. »

A l’inverse, les outils de catégorisation pourraient apporter un vrai plus à une clientèle plus fragile…

M.G. : « C’est exact. La réglementation impose désormais aux banques de détecter et accompagner la clientèle fragile financièrement. Dans ce cadre, le suivi des dépenses par catégories et le solde prévisionnel pourraient trouver leur place, en tant qu’outils d’éducation financière. Reste à savoir si les banques auront envie de s’engager sur ce terrain, et si les clients en difficulté s’en empareront. »

Banques et fintechs peuvent-elles coexister sur le marché de la gestion de budget, ou se dirige-t-on vers une confrontation ?

M.G. : « Elles sont effectivement potentiellement concurrentes. Les banques conservent toutefois des atouts majeurs : une relation de confiance bien établie avec le client, une puissance financière et une force de frappe commerciale incomparables. Je pense que la confrontation se fera plutôt entre banques, en fonction de leur capacité à récupérer à leur profit les innovations proposées par les fintechs. Pour cela, elles ont plusieurs options : acheter leurs services et les proposer, en marque blanche, à leurs clients ; entrer à leur capital, à l’image d’Arkéa et du Crédit Agricole avec Linxo ; ou même les racheter et les internaliser, comme Boursorama l’a fait avec Fiduceo. »

Finalement, l’émergence de ces nouveaux acteurs est plutôt une bonne nouvelle pour les banques…

M.G. : « Je le crois, dans la mesure où en bousculant les banques, les fintechs les ont encouragées à dépoussiérer leurs interfaces et leurs services. Ainsi, elles seront mieux préparées à l’arrivée prochaine d’Orange sur le marché de la banque de détail, en attendant peut-être d’autres géants comme Apple, Amazon ou Facebook. »

Une échéance est de nature à changer la donne : l’entrée en vigueur, en 2018, de la nouvelle directive européenne sur les services de paiement (DSP2)…

M.G. : « Oui, il s’agit d’un tournant. Aujourd’hui, les agrégateurs font peur aux clients, car pour leur permettre d’importer les données de leurs comptes, ces derniers doivent leur confier les codes d’accès de leur espace bancaire en ligne, ce qui demande un haut niveau de confiance. Cela explique d’ailleurs l’hostilité naturelle des banques à l’égard des agrégateurs, qu’elles cherchent parfois à bloquer. Avec la DSP2, elles vont devoir jouer le jeu, en leur offrant un accès plus aisé à ces données. En contrepartie, le texte va réguler l’activité des agrégateurs, en les soumettant à agrément et donc en leur demandant de donner des gages de solidité et de sécurité. »

Actuellement, ces agrégateurs fonctionnent en « lecture seule » : ils récupèrent les données des comptes mais ne peuvent réaliser de transactions. La DSP2 pourrait aussi leur ouvrir cette possibilité…

M.G. : « Là, nous sommes dans la prospective, car aucun agrégateur ne propose aujourd’hui d’opérer des transactions au nom de l’usager. Si un jour, ça devait être le cas, il y aurait en effet un fort risque de désintermédiation pour le secteur bancaire. Quel intérêt aurais-je en effet à me rendre sur le site de ma banque, si je peux consulter mes comptes, faire des virements, des paiements, voire des placements, depuis l’appli de mon agrégateur ? »

BforBank et Linxo main dans la main

Mi-janvier, nous apprenions l’entrée du Crédit Agricole au capital de Linxo, l’un des principaux agrégateurs français. Coïncidence ? Jusqu’au 3 mars 2016, Linxo offre un an d'abonnement premium (d'une valeur de 29,90 euros) à ses usagers ouvrant un compte courant chez BforBank, l’enseigne 100% numérique de la banque verte. Une bonification s'ajoutant à la prime de 80 euros offerte par la banque en ligne.