En mai 2014, à la faveur d’un changement de maison mère, la banque en ligne ING Direct a dû modifier l’ensemble des identifiants bancaires, IBAN et BIC, de ses clients particuliers en France. Une opération lourde qui, dans le contexte de la migration des virements et prélèvements domestiques vers la norme européenne SEPA, a entraîné son lot de complications et de désagréments. Retour sur une migration dont ING Direct se serait bien passé avec Philippe Scimeca, le directeur des opérations de la banque orange.

Philippe Scimeca, pourquoi ING Direct a-t-elle été contrainte de modifier les identifiants bancaires (le RIB pour simplifier) de ses clients ?

« Avant 2013, les 3 activités d’ING en France étaient assurées par 3 entités séparées : ING Direct pour la banque de détail, ING Commercial Banking pour le financement des entreprises et ING Real Estate Finance pour l’immobilier. En mai 2013, ces trois activités ont fusionné dans une seule entité, baptisée ING Bank France. A la suite de cette fusion, la Banque de France a exigé que nous uniformisions nos identifiants bancaires. En effet, en France, une même entité juridique ne peut avoir des codes établissements distincts. Il a alors été décidé d’aligner le code établissement d’ING Direct sur celui d’ING Commercial Banking, plutôt que l’inverse. »

Pourquoi ce choix, qui affectait pourtant un nombre beaucoup plus important de clients ?

« L’opération était moins complexe dans ce sens : nous disposons en effet des outils pour nous adresser à tous nos clients banque de détail en une seule fois, et pour mettre en place un processus de transition standardisé. »

De quels délais disposiez-vous pour achever cette re-numérotation des comptes ?

« Il y avait en fait deux délais. Un premier d’un an, à partir de la fusion juridique, pour modifier les coordonnées bancaires des comptes ING Direct. Cette phase s’est achevée le 19 mai 2014. Puis un second de 14 mois de coexistence des anciennes et nouvelles coordonnées bancaires, afin d’assurer la transition des unes vers les autres. Malheureusement, cette transition s’est faite dans un contexte particulier, celui de la migration des moyens de paiement domestiques, virements et prélèvements, vers la norme européenne SEPA (1). »

En quoi cette migration vous a-t-elle compliqué la vie ?

« En théorie, cela ne devait pas être le cas. La norme SEPA, comme les anciennes normes domestiques, intègre des outils qui permettent d’avertir les créanciers en cas de changement de coordonnées bancaires. Dès le mois de mai 2014, nous avons communiqué à l’ensemble de la place ces nouvelles coordonnées, et informé nos clients de cette migration. Nous avions également développé un outil permettant d’automatiser les changements de domiciliation, un outil qui a été testé avec succès. Mais il s’est avéré que les créanciers étaient plus longs que prévu à adopter la norme SEPA. D’où des délais et des difficultés techniques : notre outil, au final, s’est révélé inopérant. »

Comment avez-vous réagi lorsque vous vous en êtes rendus compte ?

« Nous avons commencé par contacter directement les 30 principaux émetteurs de prélèvement, pour opérer des migrations de masse. Puis, à la fin du 1er trimestre 2015, nous avons passé la main à nos clients, afin qu’ils s’occupent eux-mêmes des changements de domiciliation restants. »

Cela a généré une certaine grogne. Pourquoi avoir tant tardé à passer la main aux clients ?

« Nous avions convenu dès le début que c’était la solution de dernier ressort, et nous étions décidé à respecter notre promesse de mai 2014, c’est-à-dire de migrer le maximum d’opérations avant de passer la main. Ce délai de 3 ou 4 mois laissés aux clients peut effectivement paraître court, mais nous avons déployé un dispositif de communication très important, afin qu’ils aient toutes les cartes en main : envoi d’un courrier papier pour les clients compte courant ; mise à jour du site web et des applications mobiles afin de pouvoir visualiser les opérations qui continuaient d’arriver sur les anciennes coordonnées ; liens directs vers certains créanciers connus ; orientation vers le switching service, qui permet de mandater ING Direct pour s’occuper du changement de coordonnées. Chaque client reçoit également tous les lundis un email listant les opérations passées sur ses anciennes coordonnées. Enfin, nous avons mis en place deux cellules dédiées au sein de notre centre de relation clients, au total une quarantaine de personnes : la première pour recevoir les appels entrants de clients ayant des questions sur la migration ; la seconde pour appeler individuellement nos clients et les sensibiliser à la nécessité de faire les changement de domiciliation, ce qui représente quelques dizaines de milliers d’appels. »

Combien de réclamations avez-vous dû traiter ?

« Au total, depuis début avril, nous avons reçu environ 25.000 appels et nous avons contacté de manière proactive plus de 36.000 clients pour les accompagner dans les changements. Le nombre de réclamations réelles ayant entraîné un dédommagement du client est marginal. »

Certains de vos clients ont-il dû faire face à des incidents de paiement, comme l'affirme le magazine 60 millions de consommateurs dans son édition de juin ?

« Lorsqu’un client change ses coordonnées bancaires auprès d’un créancier, celui-ci doit interpréter l’information et renvoyer ensuite un nouveau mandat de prélèvement. Dans un certain nombre de cas, nous nous sommes aperçus que les règles d’appropriation de la norme SEPA pouvaient différer selon les créanciers, et des prélèvements se sont présentés dans un format que nous ne pouvions traiter. Certains de nos clients ont donc pu être avertis de rejets de prélèvement, et exposés à des frais. Mais nous avons fait évoluer nos systèmes pour accepter ces prélèvements non standards, et nous avons aussi travaillé directement avec certains créanciers. »

60 millions cite un chiffre : 20% de vos clients auraient connu ce type de désagrément. Confirmez-vous ?

« Non, il s’agit d’un chiffre qui a effectivement tourné sur les forums de notre web café, mais qui est sans fondement. Il y a eu un pic de rejets en juin 2014, mais nous sommes revenus rapidement à une volumétrie normale, autour de 4% de prélèvements rejetés, ce qui est la moyenne en France toutes banques confondues. Aujourd'hui, nous n'avons pas plus de rejets de prélèvement qu'avant la migration SEPA. »

A quelle date les anciennes coordonnées bancaires cesseront d'exister ?

« Nous avons demandé à nos clients de faire le nécessaire avant le 30 juin. Etant donné que les délais de traitement sont plus longs en période estivale chez les créanciers, nous ne pouvons assurer avec certitude qu'un changement de domiciliation effectué après cette date sera pris en compte en temps et en heure. Mais la date officielle, dans les référentiels interbancaires, est fixée au 31 août. »

Pensez-vous que cette difficile transition a écorné l'image d'ING Direct ?

« Cette transition, indispensable et rarissime dans la vie d’une banque, a généré de l’insatisfaction chez nos clients. Mais les retours par téléphone sont positifs ; de nombreux clients nous remercient au contraire de la manière dont nous les avons accompagnés »

Au final, avez-vous été victimes de l'inertie des systèmes informatiques bancaires français ?

« C’est surtout la migration SEPA qui a accentué nos difficultés. Ce changement de coordonnées serait passé comme une lettre à la poste à l'époque des paiements domestiques. L’appropriation du SEPA a été violente pour tout le monde. »

(1) Initialement fixée au 1er février 2014, la date butoir de migration des paiements domestiques vers la norme SEPA a finalement été repoussée au 1er août 2014.