Administrations, tribunaux, autorités de contrôle : certains organismes sont autorisés par la loi à contourner le secret bancaire et peuvent accéder à vos données bancaires. Qui sont-ils ? Et comment ce « droit de communication » imposé aux banques est-il encadré ?

Mai 2015 : dans le cadre de son projet de loi sur le dialogue social et l'emploi, le gouvernement, à l'époque dirigé par Manuel Valls, propose un amendement au vote des parlementaires. Son objet ? Autoriser les agents de Pôle Emploi chargés de la lutte contre la fraude à accéder, dans le cadre de leurs investigations, à certaines données personnelles sensibles d'allocataires. Parmi elles, leurs relevés bancaires.

Aussitôt, c'est la levée de bouclier : le gouvernement socialiste est accusé de vouloir « fliquer » les demandeurs d'emploi. L'amendement est finalement retiré. Un an plus tard, le même gouvernement fait une nouvelle tentative, cette fois dans le cadre de la loi dite « Sapin II » (1). Mêmes causes, mêmes effets : l'article concerné est supprimé avant que la polémique n'enfle à nouveau.

Quatre ans plus tard, Pôle Emploi n'est toujours pas autorisé à demander aux banques de leur fournir les données transactionnelles d'allocataires soupçonnés de fraude, afin de recouper leurs déclarations. D'autres organismes, toutefois, disposent de ce « droit de communication ».

Des dérogations au secret bancaire

Rappel : l'exercice de la profession bancaire est encadrée par plusieurs corps de règles. Parmi elles, le secret bancaire. Soit « l'obligation, pour l'ensemble des membres des organes de direction et de surveillance des établissements de crédits, ainsi que leurs employés exerçant une activité bancaire, de taire les informations de nature confidentielle qu'ils possèdent sur leurs clients ou des tiers », explique le précis de droit bancaire édité par Dalloz (2).

Cela concerne aussi bien votre identité, votre situation personnelle et financière, la nature de vos investissements que vos relevés de compte. S'il contrevient à cette règle, votre banquier risque gros : un an d'emprisonnement et 15 000 euros d'amende.

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Il existe toutefois quelques dérogations à ce secret bancaire. Certaines administrations bénéficient en effet légalement d'un « droit à la communication », les autorisant à obtenir des banques des données couvertes par le secret bancaire, notamment des données transactionnelles. Justification : leur permettre de mener à bien des missions considérées comme d'intérêt général.

Les principaux organismes pouvant déroger au secret bancaire

L'administration fiscale - Dans le cadre de la lutte contre la fraude fiscale, la Direction générale des finances publiques (DGFiP) dispose d'un large droit de communication, qui couvre notamment vos comptes. Le fisc est ainsi autorisé à contourner le secret bancaire pour recouper les déclarations faites par certains fraudeurs supposés. Ce droit de communication, toutefois, doit être justifié : il n'est pas systématique pour tous les contribuables.

Les autorités de contrôle - Chargée notamment de veiller à la stabilité et la solvabilité du système bancaire, l'autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) dispose dans ce cadre d'une dérogation en matière de secret bancaire. C'est aussi le cas de d'autres organismes de contrôle : l'Autorité des marchés financiers (AMF), l'Autorité de la concurrence, la Commission nationale de l'informatique et des libertés (CNIL), etc.

La justice pénale - Si elle l'estime nécessaire à la manifestation de la vérité, la justice pénale peut demander à se faire communiquer des renseignements couverts par le secret bancaire.

Les organes de lutte contre le blanchiment d'argent et le financement du terrorisme - Les banques ont l'obligation de mettre en place un système de surveillance de l'activité de leurs clients. Objectif : repérer d'éventuelles transactions frauduleuses, en lien notamment avec des activités criminelles ou des opérations de blanchiment. En cas de soupçon, elles doivent faire une déclaration à Tracfin (3), la cellule de renseignement financier du ministère de l'Economie.

Disposent également, dans le cadre de leurs missions, d'un droit d'accès à des données couvertes par le secret bancaire : les douanes, les organismes de sécurité sociale (Caf, Urssaf notamment), etc.

Des usages encadrés

Les organismes disposant du droit de contourner le secret bancaire peuvent-ils le faire sans limites ? Heureusement non. Chaque organisme l'exerce dans un cadre spécifique, en fonction des missions d'intérêt général qu'il est censé accomplir.

L'exercice de ce droit ne se fait pas toujours à l'insu des principaux intéressés. Dans le cas de l'administration fiscale ou des organismes de sécurité sociale, par exemple, il s'agit même généralement d'un dernier recours, lorsque le contribuable ou l'assuré, contacté, a refusé de produire lui-même les pièces nécessaires (des relevés de compte par exemple).

Prévenir le client n'est toutefois pas une obligation. Dans certains cas, il est même nécessaire de passer dans son dos. C'est le cas par exemple pour les déclarations de soupçons adressées à Tracfin : la personne à l'origine des opérations jugées suspectes n'est évidemment pas prévenu de l'enquête en cours.

A noter enfin que les personnes habilitées, dans ces différents organismes, à accéder à des données bancaires sont elles-mêmes généralement soumises à un secret professionnel.

Un accès plus large au Ficoba

Si le nombre d'organismes habilités à fouiller les comptes bancaires est au final limité, c'est moins vrai de ceux qui peuvent consulter le fichier national des comptes bancaires et assimilés, plus connu sous l'abréviation Ficoba.

Ce fichier, détenu et géré par l'administration fiscale, recense les comptes bancaires de toutes natures (y compris les comptes chèques postaux et les comptes épargne) ouverts en France. Selon la Cnil, il intègre plus de 80 millions de personnes physiques, françaises ou non, et traite chaque année 100 millions de déclarations de compte. Quel type d'informations contient-il ? Le type et le numéro du compte bancaire, la banque qui le détient, les dates d'ouverture, de modification et éventuellement de clôture, et l'état-civil de son titulaire. Mais ni le solde, ni les opérations passées sur le compte.

Tous les organismes déjà cités peuvent évidemment consulter le Ficoba. Mais pas seulement. Les agents de Pôle Emploi, à qui le droit de communication a été jusqu'ici refusé, peuvent également l'interroger : depuis octobre 2013 à partir du nom des demandeurs d'emploi et même, depuis août 2017, à partir de leur numéro de compte. Une mesure de simplification, permettant à l'allocataire d'éviter de fournir un relevé d'identité bancaire en format papier...

Certaines professions judiciaires ont également un accès au Ficoba : la police judiciaire d'abord, mais aussi les magistrats de la Cour des comptes et les huissiers de justice, dans le cadre de litiges concernant par exemple une pension alimentaire. Le fichier est également interrogé par les banques : la Banque de France, dans le cadre de la gestion des interdits bancaires, et l'ensemble des établissements de crédits, dans le cadre de la lutte contre la multi-détention de produits d'épargne réglementée (le Livret A notamment).

Enfin, les particuliers disposent également d'un droit d'accès au Ficoba. Pour consulter ou rectifier les données personnelles les concernant, en s'adressant directement à l'administration fiscale. Ou, par l'intermédiaire de leur notaire, pour vérifier, dans le cadre d'une succession, si leur parent décédé possédait un compte oublié.

(1) Loi relative à la transparence, à la lutte contre la corruption et à la modernisation de la vie économique, finalement entrée en vigueur le 9 décembre 2016. (2) Droit bancaire, 2 édition, sous la coordination de Jérome Lasserre Capdeville, Dalloz, 2019. (3) Traitement du renseignement et action contre les circuits financiers clandestins