Dix mois après son lancement, Compte Nickel annonce avoir convaincu plus de 61.000 personnes de déposer de l’argent sur un compte bancaire ouvert en cinq minutes dans un bureau de tabac, avec pour seuls interlocuteurs un buraliste et un guichet tactile. La réussite est incontestable pour ce service sans équivalent, fourni par un établissement de paiement encore inconnu il y a un an. Comment expliquer ce succès ? Qui sont les usagers du Compte Nickel ? Qu’ont les buralistes à y gagner ? Eléments de réponse.

« Compte-Nickel dépasse les banques en ligne » : c’est le titre du dernier communiqué expédié à la presse par la Financière des paiement électroniques (FPE), la maison-mère de Compte Nickel. Une présentation volontiers provocatrice et, il faut le dire, à la limite du mensonger : avec ses quelque 61.000 clients, Compte Nickel est en effet encore loin de rattraper ING Direct et Boursorama Banque, les leaders de la banque digitale en France qui visent désormais le million de clients. S’il les dépasse, c’est ponctuellement, par enseigne et en l'absence de chiffres confirmés par les concurrents, sur le nombre de comptes ouverts au mois de novembre 2014 : 9.700, le meilleur score depuis son lancement grand public, en février dernier.

Une chose semble certaine : Compte Nickel monte en puissance. Le nombre d’ouvertures progresse régulièrement, à mesure que les points de vente se multiplient (un peu plus de 600 à l’heure actuelle). A ce rythme, le service semble en mesure d’atteindre ses objectifs : 100.000 clients et 1.000 points de vente au bout d’un an d’existence, soit en février 2015.

La banque des clients fragiles ?

Si le Compte Nickel trouve son public, ce n’est pas forcément le public attendu. Souvent présenté comme un produit destiné aux exclus de la banque, il est loin de ne toucher que ce public qui représente 15% de la clientèle, selon Hugues Le Bret, l’ancien patron de Boursorama Banque reconverti en directeur du comité de surveillance de la FPE. Les interdits bancaires sont ainsi moins nombreux que les 25% de clients, souvent plutôt aisés, qui utilisent le service comme un compte secondaire pour des usages spécifiques : le paiement sur internet ou à l’international, la gestion des dépenses communes du ménage ou de la colocation, etc.

Entre ces deux catégories de clients se trouve le cœur de cible du Compte Nickel : les ménages à revenus moyens - le flux moyen par compte est de 1.300 euros mensuels environ - qui finissent souvent dans le rouge à la fin du mois et subissent agios, commissions d’intervention et frais de rejet. « Pour cette catégorie de clients, qui représente près de 45% de la population, le coût de la banque est très élevé, beaucoup plus que pour la moyenne des Français », estime Hugues Le Bret.

Solde en temps réel

Mais comment le Compte Nickel, qui n’autorise pas les découverts, peut-il aider cette clientèle à s’extraire de la fragilité financière ? Grâce à la technologie, veut croire Hugues Le Bret : « Notre capacité à informer en temps réel nos clients de l’état de leur compte les aide à s’auto-contrôler ». Alors que les banques, handicapées par la lourdeur de leurs infrastructures informatiques, mettent souvent plusieurs jours à répercuter un paiement ou un retrait sur le solde de leurs clients, Compte Nickel, qui valide toutes les opérations a priori (ce qu’on appelle l’autorisation systématique), est capable de le faire dans l’instant, et d’en avertir son client par SMS.

Le service récolterait ainsi les fruits de l’incapacité des banques à s’adresser à cette clientèle fragile, autrement qu’en leur facturant des agios, des commissions d’intervention et des frais d’incidents. Cela pourrait toutefois changer dans les mois à venir. Mises sous pression par les pouvoirs publics, les enseignes se sont engagées à mieux détecter les clients en difficulté et à leur fournir une offre bancaire beaucoup plus complète que le Compte Nickel, pour 3 euros par mois. Une perspective qui ne semble pas effrayer Hugues Le Bret : « Si les banques se mettent à s’occuper de ces clients, tant mieux. Ce que je constate, c’est que les gens viennent chez nous pour se sentir libres et profiter des meilleures technologies ».

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« Rien n’est gratuit »

Liberté, modernité, modicité ? Pas vraiment. Compte-Nickel, en effet, n’est pas l’offre de compte la moins chère du marché. Dans sa communication, la FPE met souvent en avant un coût annuel moyen de 50 euros, à comparer avec les 192 euros dépensés en moyenne par les Français pour leurs services bancaires. Outre que la comparaison n’a pas grand sens - les banques fournissent, et donc facturent, des services inexistants chez Compte Nickel -, ce chiffre dépend beaucoup de l’utilisation faite du compte. Le coût d'un Compte Nickel peut se limiter aux 20 euros annuels payés pour la tenue du compte pour le client qui ne l'utilise que pour des paiements par carte. Il peut par contre monter assez vite pour celui qui l'utilise comme compte principal au quotidien : chaque retrait est en effet facturé un euro (ou 50 centimes s’il est effectué chez son buraliste), chaque dépôt en espèces génère 2% de frais et le pack de 10 SMS reçus est facturé 1 euro au-delà des 60 premiers par an. « Nous ne disons pas à nos clients : tout est gratuit, et il y a 80 euros offerts à l’ouverture, mais plutôt : rien n’est gratuit, vous payez quand vous utilisez » confirme Hugues Le Bret. « Les gens n’ont pas de problème à payer, à condition de payer un prix juste, de comprendre ce qu’ils payent et d’avoir de la qualité de service. »

De fait, certaines banques en ligne en font plus pour moins cher, y compris parmi celles qui ne fixent pas de conditions de revenus ou de dépôts minimum. C’est le cas de Monabanq, qui facture 2 euros par mois (soit 24 euros par an) son socle de services bancaires, carte inclue, ou de Soon, le service 100% mobile d’Axa banque.

« Les buralistes ont faim »

Plus que le produit ou sa tarification, la véritable bonne idée de Compte Nickel est sans doute son réseau de distribution. « Travailler avec les buralistes, il fallait y penser, ils ont faim », nous confie un cadre dirigeant d’une banque française, assez admiratif du concept. Confrontés à une baisse des revenus tirés de la vente de cigarettes et de journaux, les bureaux de tabac sont en recherche de relais de croissance. « Le buraliste de demain va vendre de moins en moins de produits physiques et de plus en plus de services de proximité » professe Hugues Le Bret.

Résultat : la demande est forte. Outre les quelques 600 bureaux de tabac déjà opérationnels, plus de 350 points de vente supplémentaires sont déjà agréés par le régulateur, l’Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR), et en attente d’installation, et plus de 200 dossiers sont en cours d’instruction. La FPE est donc en train de se constituer à vitesse grand V un large réseau de distribution, et ce à moindre coût. Les buralistes touchent en effet 3 euros à chaque ouverture de compte facturée 20 euros, plus un euro à chaque année de renouvellement du compte. « Un commerçant qui ouvre un compte par jour peut gagner 636 euros par mois au bout de 36 mois », calcule Hugues Le Bret. Compte-Nickel, pendant ce temps, aura capté près de 1.000 clients : une bonne affaire pour tout le monde.

Chevalier blanc

Au final, et de manière assez inattendue, le Compte Nickel a réussi à gagner la confiance d'un large public, grâce à d'incontestables points forts : la proximité permise par la distribution chez les buralistes, l'ouverture du compte en quelques minutes, l'absence de possibilité de découvert (et des frais qui y sont liés), ainsi que le solde mis à jour en temps réel, qui facilite la bonne gestion de ses finances.

Ces arguments, toutefois, n'ont pas permis de capter massivement la clientèle visée à l'origine : celle des exclus de la banque, des interdits bancaires et des sans revenus fixes. Ce n'est pourtant pas faute d'insister sur cette dimension de « chevalier blanc de la banque », en pratiquant un lobbying auprès des centres d’action sociale et des associations d’insertion et d’aide aux démunis, ou en s'associant avec Bleu Blanc Zèbre (de l'écrivain Alexandre Jardin), qui profite également de la médiatisation.