Depuis la publication, le 7 mars dernier, d’un décret ouvrant la voie à la dématérialisation des titres restaurant, les quatre émetteurs historiques (1) annoncent les uns après les autres les sorties prochaines de leurs « cartes restaurant ». Quels sont leurs avantages et inconvénients ? Vont-elles remplacer les traditionnels tickets ? Coûteront-elles plus cher ? Eléments de réponse avec Youssef Achour, directeur de la zone France au sein du groupe Chèque Déjeuner, numéro 2 du marché français.

Pourquoi la France est-elle en retard ?

La Turquie, l’Italie, le Mexique : dans ces pays, notamment, la carte restaurant fait déjà partie du quotidien des salariés. En France, qui a pourtant inventé le titre restaurant dans les années 1960 et qui possède les trois leaders mondiaux du secteur - Endered, Chèque Déjeuner, Sodexo - sa dématérialisation est encore en phase de développement. Comment expliquer ce décalage ?

« Le système français, fondé sur le titre papier, a été mis en place il y a un peu plus de 50 ans et reste très populaire », explique Youssef Achour. « Il s’est installé dans la durée, ce qui n’est pas le cas dans d’autres pays. C’est un support souple et simple : on le découpe, on le donne… » A cet argument culturel s’ajoute une question réglementaire : « Un décret de 1967 fermait jusqu’à présent l’utilisation du titre restaurant dématérialisé. Revoir ce décret n’était pas une priorité des pouvoirs publics. Et les restaurateurs n’étaient pas demandeurs . » En résumé : les conditions n’étaient pas réunies.

La situation a changé il y a un peu plus d’un an. « Les pouvoirs publics ont décidé que dans le cadre des orientations de modernisation de l’économie, il était temps de changer les contours du titre restaurant et de lui apporter une évolution par la dématérialisation », poursuit Youssef Achour. « Il a alors été plus facile pour les acteurs de se lancer. » Ce changement de perspective s’est concrétisé par la publication d’un décret, le 7 mars dernier, ouvrant la voie aux titres restaurant dématérialisés.

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Les cartes vont-elles remplacer les titres papier ?

« Nous n’avons pas l’intention de décider à la place des usagers », explique d’emblée le porte-parole de Chèque Déjeuner. « Le décret nous permet de proposer à nos clients à la fois des titres papier et des titres dématérialisés. L’un ne remplace pas l’autre, pas plus que l’un ne prépare la transition vers l’autre. » Ce sont donc les entreprises, éventuellement après consultation de leurs salariés, qui choisiront de passer, ou non, à la carte, ou de proposer les deux supports.

Chèque Déjeuner, qui fête cette année ses 50 ans d’existence, se situe dans une logique d’accompagnement des usages, d’évolution plutôt que de révolution. Interlocuteur des pouvoirs publics dans le cadre de la préparation du décret du 7 mars, le groupe explique aussi avoir veillé à préserver « l’esprit du titre restaurant », en demandant que l’usage des cartes soit assez strictement encadré. « Le décret veille à ce que le titre restaurant ne soit pas utilisé n’importe quand et n’importe où, c’est ce qu’ont voulu les autorités et l’ensemble des acteurs qui ont travaillé à sa construction », développe Youssef Achour. « Le titre restaurant n’est pas un complément de salaire, mais un droit social, qui permet aux salariés de déjeuner à midi et aux restaurateurs de maintenir leur activité. Le décret a pour principal avantage de préserver ce dispositif. »

Résultat : si la carte apporte des plus (notamment le débit au centime près), elle sera aussi d’usage moins souple que les titres restaurant. Plus question, par exemple, de les utiliser le week-end pour s’offrir un resto, ou de les céder à ses enfants. Des limitations qui, au final, pourraient ralentir l’adoption de la carte.

La carte restaurant est-elle une carte bancaire ?

Comme une carte bancaire, la carte restaurant permet de payer ses repas via le terminal de paiement électronique (TPE) du restaurateur, après composition d’un code confidentiel. Les quatre émetteurs historiques se sont en effet entendus entre eux - mais sans les deux nouveaux Resto Flash et Moneo Resto - pour constituer un nouveau collège au sein du groupement Cartes Bancaires, qui gèrent les transactions par carte pour le compte des banques françaises. « Sur cette base, nos cartes fonctionnent sur l’ensemble des TPE », détaille Youssef Achour. Un critère stratégique pour une large adoption.

Pour autant, la carte restaurant n’est pas une carte bancaire, et les flux générés - environ 2,7 milliards d’euros par an actuellement pour le titre papier - resteront des flux bancaires. « Nous voulons en conserver la maîtrise et maintenir notre relation directe avec le restaurateur », argumente le porte-parole de Chèque Déjeuner.

La carte restaurant va-t-elle coûter plus cher ?

L’émergence de la carte restaurant promet d’avoir un énorme impact sur le modèle économique des émetteurs. Actuellement, une partie de leurs revenus est issue de la gestion du décalage de trésorerie entre l’achat du titre par l’entreprise et son remboursement au restaurateur. Avec la carte, ce délai va être nettement raccourci. « Ce sont des recettes en moins », concède Youssef Achour. Certes, la carte va générer beaucoup moins de coûts - de matières premières, de transports, de gestion, etc. - que le titre papier. Mais tant que la demande pour ce dernier perdurera, les émetteurs devront faire cohabiter les deux modèles.

Du coup, vont-ils être tentés de compenser ce manque à gagner par une augmentation des commissions facturées aux restaurateurs, avec le risque d’une répercussion sur le prix final pour le consommateur ? Youssef Achour botte en touche : « Ces choix ne sont pas arrêtés. Mais nos règles de tarification carte resteront assez voisines de ce qui se passait avec le papier. »

La piste la plus probable reste celle d’une modulation du niveau de commissionnement, en fonction du délai de remboursement souhaité : plus vite les restaurateurs veulent être remboursés, plus cela leur coûtera cher. « Avec la carte, certains demanderont des remboursements immédiats, d’autres accepteront d’attendre si le commissionnement est moins fort », confirme Youssef Achour.

(1) Edenred (Ticket Restaurant), Groupe Chèque Déjeuner, Sodexo (Chèque Restaurant) et Natixis (Chèque de table).