Le registre des crédits, le fameux « fichier positif », voulu par le ministre délégué chargé de la Consommation, Benoît Hamon, a été censuré par le Conseil constitutionnel la semaine dernière. La raison ? Les Sages ont estimé qu’il portait atteinte au droit au respect de la vie privée. Un avis partagé par certains, décrié par d’autres. Bercy, de son côté, réfléchit déjà à une nouvelle version de ce fichier.

Le ministre délégué à l’Économie sociale et solidaire et de la Consommation, Benoît Hamon, souhaitait instaurer dans sa loi Consommation un registre recensant l’ensemble des crédits à la consommation accordés aux personnes physiques. Ce fameux « fichier positif » avait pour objectif affiché de prévenir le surendettement en France, en empêchant certains ménages de souscrire au « crédit de trop ». Le ministre de l’Économie, Pierre Moscovici, a reconnu une « déception » après la décision du Conseil constitutionnel de censurer ce dispositif. Une déception d’autant plus grande que « le gouvernement avait souhaité mettre en place ce fichier avec les meilleures garanties possibles d’efficacité et de protection des libertés publiques » a-t-il rappelé, lors d’une conférence de presse ce mercredi 19 mars. Le projet avait, en effet, été présenté au préalable au Conseil d’Etat et à la Cnil (1).

Les associations déchirées sur l’intérêt du fichier

Le Conseil constitutionnel a pourtant estimé que ce fichier était trop intrusif et portait « atteinte au droit au respect de la vie privée ». Un avis partagé par l’association de défense des consommateurs UFC-Que choisir, qui dénonçait une disproportion entre les moyens mis en œuvre et l'objectif du fichier positif. « Il s’agissait quand même (…) de ficher 12 millions de personnes pour détecter au final 100.000 nouveaux cas de surendettement chaque année en France », justifie Maxime Chipoy, chargé des questions bancaires au sein de l’association.

L’UFC-Que choisir est « opposée depuis longtemps à ce type de fichiers parce qu’ils n’ont jamais fait la démonstration de leur efficacité dans les pays où ils ont été mis en place », ajoute Maxime Chipoy. Pour Cresus, la chambre régionale du surendettement social, le fichier est au contraire un outil utile et peu coûteux pour contrer le surendettement : « Nous sommes un des rares pays où le montant d’un dossier de surendettement est de près de 35.000 euros », précise son président Jean-Louis Kiehl, « alors qu’en Belgique, où le registre a été mis en place en 2003, le montant moyen n’est que de 15.000 euros ». Mais l'exemple belge est à double tranchant : « Le surendettement a plus augmenté qu’en France entre 2003 et 2013 », rappelle ainsi la voix de l’UFC-Que choisir, qui dénonce un instrument « inefficace ».

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Un fichier réclamé par les spécialistes du crédit conso

Du côté des établissements bancaires, là encore, les avis divergent. Jérôme Guillemard, président d’Oney Banque Accord, nous expliquait il y a quelques mois que les grands groupes bancaires tels que le Crédit Agricole et BNP Paribas étaient contre l’instauration d’un fichier positif, car « [ils] disposent, de part leur taille et leur nombre de clients, de leurs propres fichiers positifs en interne ». « Du coup, [ils] ne veulent pas que leurs concurrents disposent d’un outil comparable », poursuit le président de la filiale bancaire du groupe Auchan

En revanche, les établissements spécialisés dans le crédit à la consommation sont, selon lui, plutôt favorables à la mise en place d’un tel registre. « Nous n’avons pas vocation à surendetter nos clients, et nous pensons que ce fichier nous aiderait dans cette démarche », explique Jérôme Guillemard. Le problème de respect de la vie de privée souligné par le Conseil constitutionnel ? Il le balaie d'un argument : « Il existe d’autres fichiers bancaires en France, comme le FICOBA (2), qui est utilisé par toute une série de professions, sans que cela semble gêner qui que ce soit. » 

Une nouvelle proposition bientôt sur la table ?

Véritable serpent de mer, ce fichier positif retoqué par les Sages devrait revenir, une fois encore, au cœur du débat. Lors d'une conférence de presse commune, les ministres de l’Économie et de la Consommation ont affirmé qu’ils ne comptaient pas renoncer à ce projet, en précisant que le gouvernement « travaillait sur de nouvelles pistes ». « Notre intention politique est de ne pas baisser les bras et de trouver une solution », a promis Pierre Moscovici. « Il n'est pas interdit pour nous de réfléchir à d'autres mesures pour compenser la décision du Conseil constitutionnel (…) et de remettre la question de la création d'un registre des crédits sur la table en prenant en comptes les remarques » des Sages, a renchéri Benoît Hamon.

(1) Commission nationale de l’informatique et des libertés.

(2) Fichier national des comptes bancaires et assimilés, qui recense tous les comptes bancaires ouverts en France et leurs titulaires.