Alors le décret réformant le régime de centralisation des fonds du Livret A et du Livret de développement durable (LDD) vient de paraître, Alban Aucoin, directeur général adjoint de la Fédération nationale du Crédit Agricole, a accepté de revenir sur les conditions de rédaction de ce texte, et sur l’insatisfaction des banques à son sujet.

Alban Aucoin, pourquoi de nouvelles règles de centralisation, trois ans seulement après la réforme de 2008, qui avait notamment permis la généralisation du Livret A à toutes les banques ?

La réforme de 2008 posait le principe d'un taux de centralisation unique, applicable à toutes les banques. Mais la fixation de ce taux, et du délai pour que les banques l’atteignent, avait été repoussée, au plus tard au 1er septembre 2011. Les récentes discussions ont donc porté sur ces deux paramètres. Mais le gouvernement en a profité pour rouvrir un sujet qui, a priori, étaient clos en 2008 : celui de la rémunération perçue par les banques en échange de la collecte. En 2008, il avait été fixé à 0,6% des sommes centralisées à la Caisse des Dépôts et Consignations [La CDC gère le Fonds d’épargne, l’utilisant à 50% pour financer le logement social, NDLR]. Pour des raisons budgétaires, le gouvernement a décidé de réduire ce taux, ce qui permet de faire remonter de l'argent dans le budget de l'Etat.

Quelles sont les dispositions contenues dans le nouveau texte ?

A terme, toutes les banques devront centraliser 65% de leur collecte du Livret A et du LDD au sein du Fonds d’épargne. Le délai de convergence vers ce taux cible est de 11 ans (jusqu’au au 1er mai 2022, NDLR). Le taux de rémunération est lui fixé à 0,5%, contre 0,6% auparavant. Mais c’est un taux moyen pour toutes les banques. Dans le détail, celles qui centralisent beaucoup bénéficieront d'un taux supérieur à 0,5%, celles qui centralisent moins d’un taux inférieur. Les collecteurs historiques, comme la Banque Postale, partent donc avec un avantage par rapport aux nouveaux entrants, comme le Crédit Agricole, qui centralise aujourd’hui environ 25% de l’épargne récoltée. Mais cette différence va s’atténuer avec le temps. Autre point : le texte prévoit un mécanisme d’alerte. Si le rapport entre les sommes centralisées à la Caisse des Dépôts et le montant des prêts accordés au logement social et à la politique de ville tombe en dessous de 135%, alors les différentes parties (Etat, banques, CDC, organismes de financement du logement social, représentant des entreprises, NDLR) se revoient pour discuter. Il y a de toutes façons une clause de rendez-vous en 2015, pour voir si le dispositif a fonctionné.

Quel le point de vue du Crédit Agricole sur ce texte ?

C'est un accord insatisfaisant, même si l’équilibre trouvé est moins mauvais que ce qu’il aurait pu être, grâce notamment à l’allongement de la durée de convergence. Le taux de centralisation reste néanmoins très élevé. L'épargne de nos clients sera captée au deux tiers par le Fonds d'épargne. Ce sont autant de ressources qui ne seront plus disponibles pour financer les entreprises et le développement des territoires, ce qui, en définitive est le métier des caisses régionales du Crédit Agricole. La différence entre notre taux de centralisation actuel, 25% environ, et les 65% à venir, c'est de l'argent qui aujourd'hui sert à financer les PME et qui servira demain à autre chose.

A financer le logement social, en l’occurrence…

En théorie, oui. Aujourd’hui, pourtant, il n'y a en gros que 50% des sommes centralisées qui servent effectivement à financer le logement social. Le reste est utilisé pour acheter des obligations de l'Etat français ou de grandes entreprises, à faire des placements financiers en somme. Notre proposition était donc la suivante : puisque la Caisse des Dépôts n'utilise que la moitié des fonds pour financer le logement social, attendons de voir. Restons-en à la réforme de 2008. Regardons chaque année combien la Caisse des Dépôts prête effectivement, et centralisons 125% du besoin constaté, sans fixer d'objectif a priori, qui ne correspondra peut-être à aucune réalité.

Pourquoi, selon vous, le gouvernement, n’a pas été plus sensible à vos arguments ?

Peut-être n’avons-nous pas été assez convaincants ? Ou peut-être les représentants du logement social possédaient de meilleures entrées au Parlement et ont été mieux entendus ? Les banques, après la crise, ne sont peut-être plus très écoutées, même si les Françaises ont été plutôt solides et vertueuses.

En 2008, le Crédit Agricole avait activement milité pour la généralisation du Livret A. Vous sentez-vous aujourd’hui pris au piège ?

Non, le Crédit Agricole va continuer à jouer le jeu. En 2008, nous avions expliqué que réserver le Livret A à quelques banques n’aboutissait qu’au déclin du produit. De fait, la généralisation a considérablement dynamisé la collecte. A lui seul, le Crédit Agricole a collecté environ 17 milliards d’euros et ouvert 5 millions de Livrets A. Nous considérons toujours que c’est un bon produit, mais au final ce sont nos clients qui décideront, en fonction des produits d’épargne qui leur seront offerts.