Forte d’un demi-million de clients captés en 2 ans, Orange Bank veut continuer à faire sa place sur le marché français avec un positionnement original, à mi-chemin entre la banque traditionnelle et la néobanque 100% digitale. Comment ? Les réponses de Paul de Leusse.

Paul de Leusse, directeur général d'Orange Bank

Paul de Leusse est directeur général adjoint d’Orange, en charge des services financiers mobiles, et directeur général d’Orange Bank.

500 000 clients en 2 ans : est-ce à la hauteur de ce qu’Orange pouvait espérer, compte tenu notamment de la notoriété de la marque ?

Paul de Leusse : « Oui, c’est un bon chiffre et une satisfaction, pour au moins deux raisons. La première, c’est qu’une part importante de ces clients vient à nous par l’intermédiaire des réseaux physiques d’Orange et Groupama [En 2016, Orange a racheté 65% du capital de la filiale bancaire de Groupama, rebaptisée Orange Bank, NDLR]. Cela nous permet de toucher des personnes qui ne seraient pas allées spontanément vers une banque digitale. Rendre le digital accessible à tout le monde, c’est vraiment dans notre ADN. L’autre élément de satisfaction, c’est le niveau d’activité de ces clients, leur engagement. Un quart d’entre eux sont venus par l’intermédiaire du crédit et sont par définition actifs. Les trois quarts restants, venus pour le compte bancaire, affichent un taux d’activité hebdomadaire compris entre 50 et 60%, parmi les plus élevés des néobanques. »

Vous captez actuellement environ 20 000 nouveaux clients par mois. Est-ce un rythme de croisière qui vous convient, ou comptez-vous faire grossir ce chiffre ?

Paul de Leusse : « Il s’agit d’un chiffre conservateur. En octobre, nous en avons plutôt capté autour de 25 000. Pour autant, le nombre de clients n’est pas une fin en soi, ce n’est pas comme ça que je souhaite piloter Orange Bank. Je préfère convaincre un seul client grâce au crédit ou à la carte bancaire premium que d’en attirer plusieurs avec des produits gratuits. »

Le crédit est-il appelé à devenir le principal produit d’appel d’Orange Bank ?

Paul de Leusse : « Nous disposons aujourd’hui de 3 canaux d’acquisition : les boutiques Orange, les agences Groupama et le canal digital. Jusqu’en septembre dernier, c’était assez simple : le canal digital et les boutiques Orange faisaient seulement de l’acquisition par le compte bancaire, les agences Groupama presque uniquement par le crédit. Cela a changé depuis octobre : nous proposons désormais des crédits en boutiques Orange. Et cela marche très bien. Cela va nous permettre de rééquilibrer la conquête : nous souhaitons à l’avenir que les clients venus par le crédit représentent 40% de notre conquête, contre 25% aujourd’hui. »

Orange Bank va muscler son offre de crédit conso

Orange Bank revendique aujourd’hui un stock de 122 000 crédits à la consommation. Un chiffre important, au regard du nombre total de clients. La grande majorité de ce stock est constitué par des crédits (auto notamment) apportés par Groupama. Pour ce qui est des crédits distribués en propre par Orange Bank, 11 000 environ sont des prêts personnels accordés à des clients, et un peu plus de 5 000 des prêts affectés au financement de terminaux mobiles, un produit proposé depuis octobre en boutiques Orange. Des offres qu’Orange Bank a en projet de muscler dans les mois à venir.

Lire aussi : Orange Bank : 1 client sur 4 est attiré par le crédit

Ces clients captés grâce au crédit ouvrent-ils également un compte bancaire ?

« La vision du compte avant tout est dépassée »

Paul de Leusse : « Dans l’imaginaire bancaire, en France aujourd’hui, un bon client est nécessairement un client qui ouvre un compte courant, et à qui, si tout va bien, on finira par accorder un crédit. Ce n’est pas ma vision des choses : si le client veut entrer en relation via le crédit, c’est très bien et je ne vais pas le forcer à s’équiper d’un compte courant. La vision du compte avant tout est dépassée. Ce qui importe, c’est ce que le client veut. »

La présence d’Orange Bank dans les boutiques Orange a-t-elle vocation à évoluer ?

Paul de Leusse : « Oui. Orange Bank a vocation à devenir la marque de tous les produits financiers vendus en boutiques Orange, c’est au cœur de notre stratégie. Orange Bank ne fonctionnera en boutiques que si on est capables de créer un lien avec l’offre télécom. A partir de janvier, par exemple, les assurances contre la casse et le vol de mobiles seront proposées par Orange Bank. D’autres produits sont également en projet, notamment autour de la famille, mais c’est encore un peu tôt pour en parler. »

Avez-vous l’ambition de devenir la banque principale de vos clients ? Et si oui, que vous manque-t-il encore pour y parvenir ?

« L’assurance vie ? Pas avant 2021 »

Paul de Leusse : « J’ai quelques réserves sur cette notion de banque principale, qui est à mon avis appelée à disparaître : je pense que la relation bancaire va plutôt avoir tendance à se morceler. Ceci dit, un tiers de nos clients équipés d’une carte premium nous disent que nous sommes leur première banque. Aujourd’hui, nous proposons un compte à vue, un compte épargne et du crédit conso. Il est certain que le crédit immobilier manquait, nous l’avons lancé en partenariat avec Nexity. Il nous manque encore l’épargne longue, en particulier l’assurance vie. Nous y réfléchissons mais ce ne sera pas avant 2021. »

Pourquoi cette alliance avec Nexity sur le crédit immo ?

Paul de Leusse : « C’est un choix, celui de passer dans un premier temps par un canal expérimenté, qui connaît bien le produit. Si elle tient ses promesses, nous réfléchirons à étendre l’offre sur d’autres canaux, et notamment sur le canal digital. »

Qu’en est-il du Livret A, compagnon traditionnel du compte courant ?

Paul de Leusse : « Ce n’est pas une priorité, d’autant que nous disposons déjà d’un compte sur livret mieux rémunéré que ceux des banques traditionnelles. Mon expérience de banquier m’a montré que l’argent qui va sur un Livret A n’en sort plus, sauf en cas de coup dur. C’est un produit de réserve, pas un compte dynamique, que les gens utilisent au quotidien, et le fait de ne pas le proposer n’est, selon moi, pas un frein pour nos clients. »

Vous avez également annoncé un partenariat avec Milleis, à qui vous allez « céder » certains clients Groupama à profil patrimonial. Pourquoi ?

Paul de Leusse : « Il s’agit de clients qui, de par leur profil, ont besoin d’une interaction physique très forte. Il nous a paru pertinent de les confier à un acteur disposant d’un réseau d’agences, et le courant est bien passé avec Milleis. Cela ne veut pas dire qu’Orange Bank ne proposera pas, un jour, des produits d’épargne longue. »

Orange Bank a entamé son internationalisation, avec un lancement en Espagne. Quelle est votre feuille de route ?

« 2 000 comptes en une semaine en Espagne »

Paul de Leusse : « En Espagne, nous avons reproduit la philosophie d’Orange Bank en France : une distribution sur le canal mobile et en boutiques Orange, une interface moderne et accessible à tous, une offre centrée sur les paiements mais avec, à terme, du crédit conso. Nous avons ouvert 2 000 comptes au cours de la 1ère semaine, c’est très encourageant. Il n’y a pas encore d’agenda pour les autres pays. Orange Money a été lancé en Roumanie, cela marche bien et l’offre a vocation à s’étoffer. Pour ce qui est de la Pologne, de la Belgique ou de la Slovaquie, nous allons attendre. Mais nous avons développé en Espagne un nouveau cœur bancaire informatique, qui sera naturellement exportable dans d’autres pays. »

Vous avez résumé votre vision de l’évolution de la banque de détail, dans un livre baptisé « Afterbanking… » (1). Quelle est-elle ?

Paul de Leusse : « Toute l’histoire de la banque repose sur une notion centrale, la confiance. La confiance du client dans la banque à qui il confie son argent, la confiance de la banque dans le client à qui elle prête de l’argent… Le livre part d’un constat : les banques traditionnelles ont petit à petit détruit cette confiance, en vendant des produits inadaptés aux besoins de leurs clients, en alourdissant leurs frais, en dépersonnalisant la relation… Exemple : un conseiller bancaire fait entre 500 et 600 rendez-vous par an. Quand il avait 300 clients en portefeuille, il pouvait donc les voir 2 fois par an. Mais désormais, il en a 1 500 ou 2000. Mon hypothèse, c’est que le digital peut permettre de recréer cette relation de confiance avec le client, avec plus de sécurité, de transparence, d’instantanéité, de prise en compte de ses besoins… »

Vous êtes néanmoins sceptique sur la pérennité du modèle déployé par certaines néobanques…

« La banque digitale n’a pas raison sur tout »

Paul de Leusse : « Oui, la banque digitale n’a pas raison sur tout, elle doit aussi se garder d’un certain nombre d’écueils. Un exemple : la blockchain est de nature à recréer de la confiance, pas les cryptomonnaies : proposer ce type de produits hautement spéculatifs à une large clientèle est à mon avis dangereux. L’autre écueil, c’est la dimension globale de certains acteurs, qui opèrent depuis des pays où les réglementations sont moins strictes et qui ne créent pas d’emplois en France. Orange Bank compte un peu moins de 900 collaborateurs en France, y paye des impôts, respecte les règles françaises anti-blanchiment… Les gens ont besoin d’être rassurés de ce point de vue, et le fait de s’appeler Orange, de disposer de boutiques partout en France, est, je pense, un vecteur de confiance. »

Pour aller plus loin : les détails de l’offre d’Orange Bank

(1) Paul de Leusse, « Afterbanking… », éditions Débats Publics, novembre 2019.