Pour les Franco-Américains, ouvrir et conserver un compte en banque peut se transformer en parcours du combattant. Ces derniers entrant dans le giron du Fatca, un règlement fiscal américain coûteux à respecter, certains établissements bancaires leur ferment les portes. Le président de l’Association des Américains accidentels, Fabien Lehagre, nous dévoile son plan d’action pour faire évoluer la législation.

Qu’entendez-vous par Américains accidentels ? Etes-vous nombreux en France ?

Fabien Lehagre : « Un Américain accidentel est un individu qui, à la naissance, a en plus de sa nationalité française obtenu la nationalité américaine soit par le droit du sol, s’il est né aux Etats-Unis, soit par filiation, en étant né sur le sol français d’au moins un parent américain. Il n’y a pas de statistiques officielles recensant les Américains accidentels. Notre association, créée il y a seulement un an, comprend 500 adhérents. D’après nos projections, nous serions plus de 10 000 en France. »

Quelle implication fiscale provoque cette double nationalité ?

F.L. : « Du fait de la citizenship based taxation [imposition basée sur la citoyenneté, NDLR], les Américains accidentels sont soumis à des obligations fiscales, y compris déclaratives, aux Etats-Unis. Des obligations qui existent depuis la guerre de Sécession mais qui jusqu’à récemment n’étaient pas appliquées. Toutefois, suite au scandale HSBC révélé en 2010 - des conseillers de la banque démarchaient des Américains fortunés pour cacher leurs avoirs dans des banques suisses - les Etats-Unis ont mis en place le Fatca pour Foreign Account Tax Compliance Act [loi sur la conformité fiscale des comptes étrangers, NDLR] dans l’objectif de traquer les fraudeurs fiscaux.

« En cas de manquements, les banques sont soumises à de lourdes pénalités »

Le Fatca impose aux établissements bancaires d’identifier les individus de nationalité américaine ou qui présentent des indices d’américanité, puis de transférer leurs informations bancaires au fisc américain. En cas de manquement, les banques sont soumises à des pénalités de 30% sur tous les flux financiers en provenance des Etats-Unis. Dans les faits, pour pouvoir faire respecter le Fatca à l’étranger, les Etats-Unis ont négocié avec la plupart des pays des accords intergouvernementaux (IGA). »

La France également…

F.L. : « Oui. En 2013, Pierre Moscovici, alors ministre de l’Economie et des Finances, a signé cet IGA. Après une étude d’impact très légère concernant les bi-nationaux, l’accord a été ratifié à l’été 2014 par l’Assemblée nationale et transposé en droit français. Depuis, les informations collectées par les banques sont transmises à l’administration fiscale française qui les transmet à son tour au fisc américain. »

Ce texte a-t-il fait débat à l’Assemblée nationale ?

F.L. : « Pas vraiment, les parlementaires ont reconnu que c’était un vote contraint. Les Etats-Unis étant hors de l’Union européenne et n’offrant pas un niveau de garantie suffisant, les banques françaises ne pouvaient pas transférer directement les données des bi-nationaux américains outre-Atlantique. Sans IGA, les établissements bancaires français auraient, de fait, été exposés à l’amende de 30%. »

Les banques françaises ne risquant plus de pénalités, quels problèmes leurs posent les personnes de nationalité américaine ?

F.L. : « Reconnaître les personnes présentant des indices d’américanité représente un réel coût. Cela nécessite de mettre en place toute une structure pour les identifier, collecter les informations et les transmettre au fisc français. Auditionnée dans le cadre de l’étude d’impact, la Fédération bancaire française avait d’ailleurs reconnu que le Fatca poserait des problèmes à certaines banques. Des établissements qui, du fait des coûts de conformité, se sépareraient tout simplement de leurs clients présentant des indices d’américanité. »

De quels établissements bancaires s’agit-il ?

« Les banques en ligne ne nous acceptent pas du fait de leur modèle low-cost »

F.L. : « Toutes les banques en lignes. Les Boursorama, Orange Bank, ING Direct, BforBank, Binck et autres Bourse Direct n’ont pas les moyens financiers de mettre en place les structures dédiées pour identifier ces bi-nationaux. Cela nécessiterait de relancer régulièrement les clients ou encore de former leur personnel : des coûts qu’elles n’assument pas du fait de leur modèle basé sur le low-cost. »

Les clients des banques traditionnelles ne s’exposent donc pas au risque de se voir clôturer leurs comptes ?

F.L. : « Les établissements bancaires de taille importante (BNP Paribas, Société Générale, La Banque Postale, LCL, BPCE…) ont, eux, mis en place les procédures. Toutefois, se pose parfois un problème de communication en interne. Certains conseillers n’ont en effet pas connaissance de la réglementation et des justificatifs que les bi-nationaux doivent légalement fournir. »

Pouvez-vous préciser ?

F.L. : « Concrètement, les banques demandent aux personnes identifiées comme américaines de remplir le W9. Dans ce formulaire, il faut renseigner le numéro de Sécurité Sociale ou le TIN [un identifiant américain dont se sert notamment l’administration fiscale, NDLR]. Or, ce numéro n’a été rendu obligatoire qu’en 1986. Tous les Américains accidentels n’en ont donc pas. De plus, il n’est pour le moment pas obligatoire. En 2017, la Fédération bancaire européenne avait publié un moratoire informant les banques qu’elles avaient jusqu’à fin 2019 pour obtenir ce numéro. Problème, les conseillers l’ignorent et menacent les bi-nationaux de fermer leurs comptes s’ils n’indiquent pas cet identifiant. »

Dans ces conditions, quelles solutions ont les Américains accidentels ? Renoncer à leur bi-nationalité, faire jouer le droit au compte…

F.L. : « La renonciation à la nationalité américaine nécessite de s’acquitter de 2 350 dollars au titre de la procédure. Cela implique également de se mettre en conformité avec l’administration fiscale des Etats-Unis, donc de payer des frais d’avocat et éventuellement des impôts… Tous les cas de figure n’étant pas couverts par la convention fiscale bilatérale. La facture peut donc vite grimper à plusieurs dizaines de milliers de dollars. Tout cela revient très cher pour simplement garder un compte bancaire. Quant au droit au compte, il ne permet pas toujours d’échapper au zèle des conseillers bancaires… »

Au niveau de l’association, quelles sont vos actions ?

« Nous attaquerons les banques en ligne à partir de septembre »

F.L. : « Les banques ont le droit de clôturer les comptes bancaires. En revanche, elles n’ont pas le droit de le faire sur la base de la nationalité. Les banques en ligne sont donc pénalement condamnables. En conséquence, nous allons toutes les attaquer à partir de septembre. Pour les autres établissements nous demandant des informations non obligatoires, nous aviserons au cas par cas, tout en nous réservant le droit de les poursuivre également. En parallèle, accompagnés par notre avocat Maître Spinosi, nous avons déposé en octobre 2017 un recours devant le Conseil d’Etat. Il sera normalement débattu soit à la fin de l’année, soit début 2019. Si le Conseil d’Etat nous donne raison, la France sera privée de base légale pour envoyer les informations bancaires aux Etats-Unis. Nous rentrerons donc dans une période de turbulences. En effet, les banques ne pouvant plus respecter le Fatca, elles se retrouveront sous le coup des 30% de pénalités. »