Depuis le 1er septembre, ING Direct a un nouveau patron en France. A peine deux mois après son arrivée, Olivier Luquet a accepté de partager avec cBanque son ambition pour l’enseigne, et son point de vue sur la révolution en cours dans le domaine de la banque de détail. Interview.

Olivier Luquet, vous êtes arrivés à la tête d’ING Direct depuis près de deux mois, en provenance de banques plus traditionnelles [voir encadré]. Quelles différences vous ont frappé ?

Olivier Luquet : « J’étais déjà client d’ING Direct avant d’en devenir le directeur général, je connaissais donc la marque, son ADN, sa culture. Le découvrir de l’intérieur est encore plus fort. Certaines choses m’ont effectivement étonné. D’abord, il y a cette volonté permanente de se remettre en cause pour améliorer l’expérience bancaire. Chez ING Direct, il n’y a pas de rente de situation, pas de réseau ou de filiales internes pour aller chercher le client. Il faut donc progresser tous les jours. C’est une exigence mais aussi une liberté, celle de sortir des consensus, de choisir ses sources d’inspiration hors du monde bancaire, du côté des géants du web ou des fintechs. Enfin, c’est la découverte d’un mode d’organisation différent, sans silos, basé sur la collaboration fluide. Une manière d’inventer les métiers de demain. »

Vous arrivez à la tête d’ING Direct dans un contexte de profonde transformation de l’activité de banque de détail. Quelle est votre vision des changements à l’œuvre actuellement ?
« L'ancien paradigme de la banque de détail a explosé »

O.L. : « Je suis effectivement persuadé que nous arrivons à un fort point d’inflexion du marché. L’ancien paradigme de la banque de détail - un service de proximité, avec un réseau d’agences dense, et une répartition à peu près équilibrée des revenus entre commissions et marges d’intérêt - a explosé. Les taux d’intérêt sont durablement bas. Les clients désertent les agences. Ils ne sont plus des usagers mais des consommateurs avertis. Je pense que ce contexte est très favorable à la banque en ligne. Jusqu’ici, elle n’était qu’une alternative possible, moins chère. C’est maintenant, je pense, qu’elle va prendre pleinement son essor. La loi Macron va d’ailleurs accélérer cette transformation. »

Justement, qu’attendez-vous du nouveau service de changement de banque issu de cette loi ?

O.L. : « Ce n’est pas complètement nouveau, ING Direct proposait déjà un service de ce type, le Switching Service. Malgré tout, le mandat de mobilité sera une des conditions de l’inflexion du modèle bancaire dont je parlais tout à l’heure. Son entrée en vigueur [le 6 février 2017, NDLR] va être l’occasion pour le client de se poser à nouveau la question de ce qu’il attend de sa banque, et pour nous de mettre en avant la qualité de notre expérience client. »

Allez-vous poursuivre la politique de primes à l’ouverture des comptes courants, et de taux boostés sur votre livret d’épargne ?

O.L. : « « Notre volonté est d’instaurer une relation durable avec chaque client, non pas d’être dans une démarche promotionnelle. Nous proposerons donc des offres de bienvenue de manière sélective, par exemple aux clients qui souhaitent domicilier leur salaire. La prime de 80 euros doit permettre d’installer une relation durable. »

Depuis le mois de juin, ING Direct facture 5 euros par mois ses clients compte courant qui n’effectuent pas suffisamment de dépôts ? Quel premier bilan tirez-vous de ce changement tarifaire ?
« Les clients qui nous ont quitté à cause de la nouvelle facturation sont rares »

O.L. : « Un bilan positif. Les clients qui nous ont quittés sont rares, plus rares que nous l’avions prévu, et il s’agit surtout de clients dormants, avec qui la relation s’était déjà distendue. A l’inverse, parmi les 20% de clients compte courant concernés par cette tarification, un nombre significatif ont choisi de se rapprocher de nous, en respectant les nouvelles conditions de dépôts. Un autre motif de satisfaction est le faible nombre de réclamations. L’opération a été réalisée selon nos valeurs, dans la transparence : nous avons communiqué dès le mois d’avril, donné le top en juin et commencé à facturer en octobre. Au final, rares sont les clients qui ont découvert cette nouvelle tarification en consultant leur relevé de compte. »

Est-on, selon vous, arrivé au bout de la logique du low cost, jusqu’ici dominante dans la banque en ligne ?

O.L : « ING Direct n’a jamais affiché la volonté d’être le leader du low cost. Nous avons par contre l’ambition d’être le leader qualitatif du marché, de proposer à nos clients le meilleur rapport qualité-prix. ING compte 14 millions de clients particuliers en Europe, 1 million en France, nous avons atteint une taille critique. L’enjeu pour nous est désormais de devenir la banque de préférence de nos clients. »

« En 2017, nous allons accélérer sur le crédit immobilier »
Comment comptez-vous y parvenir ?

O.L. : « Nous devons apporter à nos clients un service plus riche, et diversifier du même coup nos sources de revenus. Nous allons ainsi continuer à les accompagner dans l’optimisation de leur épargne, comme nous le faisons déjà avec le Coach Epargne. Accélérer également sur le crédit immobilier, en valorisant notre offre en 2017. Le crédit à la consommation est aussi un axe que nous envisageons. Enfin, notre offre de banque au quotidien va être enrichie. Nous avons plusieurs projets à l’étude, dans les domaines de l’aide à la gestion de budget, du solde prédictif, du paiement… Tout le monde constate qu’il y a une attente des clients, et nous souhaitons leur apporter de nouvelles solutions en 2017. Globalement, notre objectif est de mieux exploiter les données de nos clients, afin de leur apporter de meilleurs services au quotidien et un meilleur accompagnement dans les moments clés. »

Le groupe ING a dévoilé récemment un plan destiné à accélérer sa transformation numérique (2). Quelles conséquences pour ING Direct en France ?
« Une plateforme digitale européenne commune fin 2017 »

O.L. : « L’un des objectifs annoncés par ce plan est de lancer une plateforme digitale commune aux filiales ING Direct dans 5 pays - la France, l’Espagne, l’Italie, la République tchèque et l’Autriche - afin de mettre en commun le meilleur des innovations de chaque pays. Cette plateforme devrait voir le jour fin 2017, et son impact se faire réellement sentir en 2018. »

D’ici là, vous allez être de plus en plus concurrencés, sur l’ensemble de vos métiers, par une série de nouveaux acteurs : des fintechs comme Morning ou N26, mais aussi des géants venus d’autres secteurs comme Orange. En êtes-vous inquiet ?

O.L. : « La question qu’il se pose, je pense, est celle de la capacité de ces acteurs à apporter une réponse bancaire globale aux clients. Ce qui n’empêche pas ING Direct de valoriser chez eux la capacité à offrir des parcours clients très fluides, et de travailler avec eux dans le cadre de partenariats. »

Un DG qui vient de la banque traditionnelle

Olivier Luquet affiche une vingtaine d’années de carrière dans le secteur financier, en tant que consultant d’abord puis de banquier chez BPCE et BNP Paribas. Au sein de cette dernière, à compter de 2009, il a pris en charge le business développement pour le marché des particuliers en France et à l’international, ce qui l’a amené à beaucoup voyager dans toute l’Europe. Un point fort chez ING, groupe très internationalisé. L’autre point fort d’Olivier Luquet, c’est sa capacité à piloter la transformation du modèle bancaire d’ING Direct, comme il l’a fait auparavant, notamment, à la Caisse d’Epargne.