L’assurance vie, une enveloppe aux multiples facettes, ouverte aussi bien pour préparer sa succession, sa retraite que pour épargner à plus court terme. Mais ce marché pesant 1 750 milliards d’euros cache de très fortes disparités de traitement, selon les assureurs, d’un épargnant à l'autre.

Sur le marché de l’épargne comme du crédit, les taux s’approchent toujours plus du point zéro. Dans ce contexte, le fonds en euros de l’assurance vie, support sans risque privilégié par les détenteurs de contrats, a finalement réalisé une performance « honorable » en 2018, en maintenant le même niveau de rémunération qu’en 2017, 1,83% selon le régulateur banque-assurance, l’ACPR (1). Le cabinet spécialisé Facts & Figures anticipe toutefois d’ores et déjà un « rattrapage » des assureurs sur la rémunération 2019 des fonds en euros, avec une baisse de 0,30 à 0,40 point. Cette rémunération 2019 sera-t-elle homogène ? A la lecture des rapports de l’ACPR et de Facts & Figures, le marché de l’assurance vie apparaît de plus en plus inégalitaire, sur le plan des rendements, des frais et des options de gestion.

1 – Les banques et les autres

Surprise : plusieurs grandes banques ont revu la rémunération de leurs fonds en euros à la hausse pour l’année 2018 ! C'est le cas au Crédit Agricole, à la Caisse d’Epargne ou encore à la Banque Postale. L’ACPR annonce un frémissement du rendement moyen servi par ces « bancassureurs », de 1,67% à 1,71%. Il n’empêche, cette légère remontée doit plutôt être vue comme la compensation de baisses de taux trop sévères ces dernières années.

Toujours selon l’ACPR, les banques rémunèrent leurs fonds en euros à 1,71% en 2018, contre 2% en moyenne pour les assureurs « traditionnels » (non liés à un groupe bancaire, comme Axa, Generali, Aviva, AG2R La Mondiale…). Selon le régulateur bancaire, cet écart de rémunération est, aussi, une conséquence de l’importance des frais de gestion annuels ponctionnés par les banques, « les plus élevés » du marché. Or les bancassureurs concentrent 61% de l’épargne investie en assurance vie. La force du réseau de distribution, même si les contrats sont moins rentables.

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2 – Les clients « patrimoniaux » favorisés au détriment du grand public

En optant pour une méthodologie différente (2), le cabinet Facts & Figures, fondé par Cyrille Chartier-Kastler, estime le taux moyen 2018 des fonds en euros à 1,67% net de frais de gestion. Mais le constat est le même que l’ACPR sur les écarts de rendement. Ce cabinet segmente même les taux par gamme de contrat : « standard » pour l’assurance vie grand public, accessible à tous, « patrimoniale » pour les contrats naviguant schématiquement entre 30 000 et 100 000 euros, et enfin « gestion privée » pour le très haut de gamme.

Verdict : la rémunération 2018 des contrats grand public stagne à 1,56% quand les rendements des contrats patrimoniaux (1,82%) et gestion privée (1,87%) restent bien mieux rémunérés. L’expression consacrée à cette pratique favorisant les clients haut de gamme : « Déshabiller Pierre pour habiller Paul. » Les assureurs sont effet tenu de reverser la majeure partie (85%) des bénéfices financiers de leur fonds en euros à leurs clients, mais la loi leur laisse toute latitude quant à la répartition des gains. Ce qui explique qu’une banque peut livrer un rendement de 1,25% à ses clients « standard » et 1,90% aux clients de sa banque privée.

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3 – Les jeunes plutôt que les « vieux » contrats

Dernière inégalité concernant la répartition de la rémunération sur les fonds en euros : les épargnants sont plus ou moins bien lotis selon la date à laquelle ils ont souscrit leur contrat. Ainsi les fonds en euros des contrats les plus récents (ouverts depuis 2010) sont rémunérés en moyenne à 1,91% selon l’ACPR, contre 1,73% pour ceux ouverts lors de la décennie précédente. Objectif des assureurs : mettre en avant la bonne rémunération du contrat actuellement en « tête de gondole ». En revanche, les contrats les plus anciens (ouverture avant 1980) sont les mieux rémunérés (2,29% en 2018) grâce à aux engagements contractuels des assureurs (des taux garantis élevés notamment) qui les contraignent à livrer de meilleures rémunérations.

Attention : tous les assureurs n’ont pas recours aux rémunérations différenciées. De nombreux assureurs mutualistes et les principales associations d’épargnants servent le même rendement à tous leurs adhérents.

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4 – La gestion pilotée « active » doublée par la gestion « passive »

Les banques et assureurs traditionnels poussent de plus en plus leurs clients vers la gestion sous mandat. L’objectif premier : les inciter à investir sur l’autre grande famille de supports de l’assurance vie, les unités de compte (UC), plus risquée, potentiellement plus rentable pour l’épargnant, et plus facile à gérer pour l’assureur en matière de solvabilité. Or la gestion sous mandat, ou gestion pilotée, permet aux épargnants de déléguer leurs arbitrages en UC à des experts. Plus rassurant… mais parfois moins rentable ! Facts & Figures constate dans son baromètre 2019 que les gestions proposées par les assureurs vie affichent des performances « globalement décevantes » : sur 5 ans (2014-2018), les gestions profilées « prudente » et « modérée » affichent un rendement annualisé inférieur à celui du fonds en euros : respectivement 1,22% par an, 1,59% et 1,96% selon les calculs du cabinet. Loin derrière une gestion orientée à 100% sur les actions françaises (6,12% par an) ou un investissement immobilier en SCPI (4,67%).

Pire, Facts & Figures pointe « le niveau de frais élevé de la gestion active » : 2,29% de frais courants sur les actions françaises, par exemple, en faisant ainsi référence aux frais internes aux UC, qui rognent indirectement la performance servie aux épargnants. « L’avenir s’inscrira très probablement autour des parts clean shares [fonds peu chargés en frais, et sans rétrocession pour les banques ou courtiers, NDLR] en gestion active et des trackers [fonds répliquant un indice, ou ETF, NDLR] », juge Facts & Figures. En effet, sous l’impulsion des fintechs (Yomoni, WeSave, Nalo…), les offres de gestion dite « passive » reposant sur les ETF fleurissent sur internet, et même dans les banques. Par nature, les frais courants des ETF sont peu élevés (moins de 0,40%), car ces fonds se contentent de répliquer un indice financier (CAC40, EuroStoxx50…). A l’autre extrémité, les épargnants suffisamment avertis pour investir sans assistance, en gestion libre, peuvent eux profiter de frais peu élevés s’ils savent bien sélectionner leur contrat et leurs UC.

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5 - Un placement de moins en moins « populaire » ?

Facts & Figures liste les nombreuses tendances du marché de l’assurance vie, parmi lesquelles le développement de nouvelles familles d’UC, la multiplication des modes de gestion, le modèle de tarification évoluant vers l’incitation à la gestion sous mandat, la baisse de rémunération des fonds en euros, le développement de l’offre en ligne, etc. « Toutes ces évolutions conduisent à une complexification croissante de l’assurance vie », argumente Facts & Figures en conclusion de son baromètre 2019. « Celle-ci est de moins en moins populaire et risque, de ce fait, de l’être de moins en moins », soulignant que plus de la moitié de l’épargne en gestion appartient désormais à des clients « patrimoniaux » ou en gestion privée. « La dérive est constante depuis que le secteur ne peut plus, ou ne veut plus, vendre de fonds en euros », le support le plus accessible de l’assurance vie. Et ce même si 39% des ménages possèdent au moins une assurance vie, un pourcentage qui reste en progression selon l'Insee.

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(1) Autorité de contrôle prudentiel et de résolution

(2) Facts & Figures confirme que ses données sont légèrement différentes que celles livrées par « la profession » (la Fédération française de l’assurance) car son « baromètre 2019 de l’épargne-vie individuelle » se concentre sur « l’épargne-vie individuelle uniquement », alors que la FFA intègre d’autres activités épargne réalisées dans le cadre de l’assurance vie, y compris la retraite Madelin et la retraite collective.