La saison des annonces de rendements 2018 des assurances vie se profile. Attendus en baisse modérée, ces taux sont-ils le fruit d’un calcul savant, ou d’une « simple » décision marketing ?

1 – Le calendrier de la détermination du taux

« Les taux ne se constatent pas, ils se décrètent ! » L'adage désormais célèbre dans le monde de l'assurance vie correspond-il à la réalité ? Le sujet semble tabou pour les assureurs, car éminemment stratégique. Aucun des assureurs contactés n’a donné suite à notre demande d’interview. Generali a tout de même accepté de répondre par écrit : « Le processus d’élaboration des taux s’appuie tout d’abord sur une gestion ALM [actif-passif, NDLR] au long cours, un pilotage fin des actifs et des études de scénarii de comportements actif-passif à venir. Ces travaux sont suivis au sein d’une gouvernance stricte et propre à chaque compagnie. » Au-delà de cette base exclusivement financière, Generali confirme un aspect marketing et stratégique : « Les estimations globales sont préalablement présentées en conseil d’administration pour accord. Enfin, après obtention des résultats de fin d’année, les taux sont fixés en comité exécutif de la compagnie. » Ces dernières années, les annonces officielles se sont surtout concentrées mi-janvier, donc peu après l’arrêt des résultats annuels et le passage en comité exécutif.

2 – Un placement avant tout « obligataire »

La première étape de ce processus est donc d’ordre financier. Selon le site spécialisé Good value for money, les fonds en euros sont composés à plus de 80% d'obligations, autrement dit de titres de créances. Cette catégorie d’actifs financiers est peu rentable mais aussi peu risquée, et elle permet de dégager des rémunérations régulières grâce aux coupons, l’équivalent d’intérêts de placement. C’est donc ce qui permet aux assureurs de garantir aux épargnants qu’ils n’essuieront pas de perte en capital via le fonds en euros (1).

Ces obligations sont actuellement équitablement réparties entre emprunts d’Etat (ou « obligations souveraines ») et obligations corporate, c’est-à-dire des titres de créance émis par des entreprises, plus rentables. Par ailleurs, si les taux des emprunts d’Etat sont extrêmement bas (0,66% aujourd’hui pour l’OAT 10 ans française), les assureurs profitent des rémunérations des obligations investies voici de nombreuses années, quand les taux étaient plus élevés. Les assureurs investissent enfin une petite partie des fonds en euros sur les actions (près de 9%) ou en immobilier (6%) afin d’aller chercher du rendement sans prendre trop de risques. En 2017, la poche actions avait permis aux assureurs de maintenir le niveau de rémunération de 2016, le rendement brut des fonds dépassant alors les 3%.

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3 – Une obligation de rémunération minimum

« Il faut rassurer les épargnants : il y a des dispositions réglementaires qui encadrent la détermination des taux ! » Gildas Robert, directeur conseil actuariat et finance du cabinet de conseil Optimind rappelle tout d’abord que le code des assurances « oblige les assureurs à reverser chaque année au minimum 85% des bénéfices financiers – et 90% des bénéfices techniques – du fonds en euros » : « Chaque année, sur cette base, les assureurs doivent donc verser un taux de participation aux bénéfices minimum. Ensuite, ils distribuent de la participation aux bénéfices discrétionnaire : ce montant est nécessairement nul ou positif, et il s’additionne à la participation aux bénéfices minimum. » Autrement dit, si le fonds en euros est rentable, l’assureur est obligé de reverser une rémunération minimum aux épargnants. Mais pas nécessairement l’ensemble des bénéfices.

4 – Une importante marge de manœuvre

L’assureur est libre d'utiliser cette marge de manœuvre « discrétionnaire » comme il l’entend : la garder pour lui (en plus des frais de gestion) ou la distribuer en partie. « Un assureur peut se garder jusqu’à 15% des bénéfices financiers en respectant le code des assurances ! » confirme Guillaume Prache, directeur général de Better Finance et président de la Faider, fédération regroupant plusieurs associations d’épargnants. « Tous ne vont évidemment pas jusqu’à cette extrémité. A la Faider, la moyenne est proche de zéro. » Gildas Robert, d’Optimind, confirme que cette décision est « totalement à la main de l’assureur », mais il nuance en soulignant qu'il « doit prendre en compte les risques commerciaux – baisse de la collecte, rachats - s’il sert des rendements trop faibles ».

« Déshabiller Pierre pour habiller Paul »

L’assureur peut aussi choisir de récompenser ses assurés en fonction de leur profil. Exemple : la filiale d’assurance d’un groupe bancaire gère, dans un même pot commun, « l’actif général », les fonds euros des assurances vie de son réseau banque de détail, des contrats patrimoniaux et des contrats distribués par sa banque en ligne. Cet assureur peut servir un rendement de 1,30% net de frais de gestion sur le fonds euros de son contrat bancaire, 1,90% pour les contrats patrimoniaux, et 2,10% pour les contrats en ligne, qui bénéficient de frais de gestion moins élevés. Pour reprendre l’expression consacrée : « Déshabiller Pierre pour habiller Paul. »

Dans une enquête publiée l’an passé, la CLCV estimait que les inégalités de rémunération, chez un même assureur, était notamment dues au fait que le client connait ou non ce type de produit, en visant sans ambiguïté les clients souscrivant un contrat en agence bancaire : « Nombre de personnes souscrivent à de contrats d’assurance sans bien connaître le produit et sans beaucoup suivre son évolution (…) il n’est pas trop besoin de donner beaucoup de bénéfices sur ces contrats. » A cela s’ajoute la politique des bonus de rendement : une rémunération plus ou moins bonifiée si l’épargnant investit sur les supports en unités de compte (UC).

« Les détenteurs de vieux contrats reçoivent souvent des rémunérations inférieures »

Sur ce point, Guillaume Prache met en avant l’avantage des associations d’épargnants, qui profitent de fonds « cantonnés » : la gestion du fonds est cloisonnée et les bénéfices financiers ne peuvent donc pas nourrir d’autres contrats de l’assureur. « Chez la plupart des assureurs et dans les groupes bancaires, tous les souscripteurs individuels ne sont pas traités de la même manière ! » dénonce Guillaume Prache. « Les détenteurs de vieux contrats reçoivent souvent des rémunérations inférieures. Cela offre une énorme marge aux assureurs ! Lorsque les fonds sont cantonnés, la marge de manœuvre est bien plus faible. »

5 – Des instruments pour éviter les chutes

Les assureurs disposent d’autres leviers, parmi lesquels la provision pour participation aux bénéfices (PPB), censée permettre de lisser les rendements dans le temps : « C’est un levier, à la main de l’assureur après avoir déterminé la participation aux bénéfices minimum », explique Gildas Robert, d’Optimind. « Cette provision doit toutefois nécessairement revenir aux assurés dans les 8 ans. Pour nous, actuaires, doter la PPB répond à une saine gestion du risque. L’ACPR [le gendarme du secteur, NDLR] encourage régulièrement les assureurs à renforcer leur PPB. » Guillaume Prache, de la Faider, reconnaît toutefois que cette provision « peut être constamment renouvelée », et donc échapper à certains assurés.

Autre levier : les plus-values latentes, c’est-à-dire des gains sur certains actifs que l’assureur n’a pas encore concrétisé en les revendant. « Cela permet souvent de lisser les performances dans le temps et de concrétiser des plus-values si vous anticipez une moindre performance que la concurrence », explique Gildas Robert. Ce levier peut ainsi être actionné avant même de déterminer la participation aux bénéfices, ce qui offre une souplesse supplémentaire à l’assureur.

Les différentes marges de manœuvre des assureurs

  • Les plus-values latentes : il s’agit du premier levier à la main de l’assureur. Il choisit de concrétiser ou non des bénéfices, qui vont alimenter les résultats financiers annuels du fonds en euros.
  • La participation aux bénéfices minimum : 85% des résultats financiers annuels, qui doivent nécessairement revenir aux assurés. Elle n'est toutefois pas forcément répartie équitablement entre assurés.
  • 15% des bénéfices financiers annuels : c’est la partie « discrétionnaire » de la rémunération. L’assureur peut choisir de la conserver pour lui, ou de la verser, équitablement ou non.
  • La provision pour participation aux bénéfices (PPB) : elle fait partie des 85% qui doivent nécessairement revenir aux assurés. Cette provision peut toutefois être conservée en « réserve » pendant 8 ans, et être reversée équitablement ou non.

6 – Comment expliquer de tels écarts de rémunération ?

En 2017, la rémunération moyenne des fonds en euros était de 1,83% selon l’ACPR, mais elle grimpe à 2,07% pour les assureurs traditionnels et tombe à 1,67% pour les assureurs filiales de groupes bancaires. Au-delà des multiples leviers à la disposition des assureurs, Gildas Robert avance un élément d’explication de la faiblesse des rendements dans les banques : « A la différence de petits assureurs mutualistes, les bancassureurs peuvent plus difficilement piloter leur collecte, car les filiales d’assurance des groupes bancaires n’ont pas la main sur le réseau de distribution. Ils sont donc par exemple en difficulté pour empêcher la dilution de leurs actifs. » Les distributeurs, eux, n’ont pas d’influence sur la détermination de ce taux : « Nous le connaissons légèrement avant l’annonce, afin de préparer notre communication auprès de la clientèle, mais cela s’arrête là », confirme Guillaume Piard, président de Nalo.

Un consensus sur un rendement moyen de 1,60% pour 2018

Good value for money, qui fait souvent référence en la matière, a livré son estimation pour les rendements 2018 : 1,60% pour les fonds en euros « classiques ». Une prévision que partage Gildas Robert, du cabinet Optimind, qui prévoit une baisse « homogène » des taux de revalorisation : « Les taux sont restés très bas et en parallèle les marchés actions étaient orientés à la baisse. Il reste une incertitude sur la prise en compte par les assureurs de la remontée de l’inflation. »

(1) En cas de rendement négatif des actifs du fonds en euros, la garantie en capital s’entend cependant le plus souvent « brute de frais de gestion ». Les assureurs pourraient alors se servir sur le capital pour prélever leur frais, même en l’absence de rémunération.