Quand vous souscrivez une assurance-vie, devez-vous absolument désigner précisément les bénéficiaires ? Ou est-il suffisant de laisser la clause par défaut ?

« Couteau-suisse de l’épargne », l'assurance-vie est aussi, comme son nom l’indique, un mode de transmission du patrimoine au décès de l'assuré. Un outil qui, hors cas particuliers, offre à l’assuré une liberté quasi totale dans la répartition de son épargne, et ce sans droits de succession jusqu’à 152 500 euros par bénéficiaire (1). A l’heure de souscrire un contrat, la succession n’est toutefois pas toujours en tête des préoccupations. A la ligne « bénéficiaire(s) », « bénéficiaires en cas de décès » ou « désignation des bénéficiaires » du bulletin d’adhésion, est-il risqué de cocher le choix par défaut ?

1 - La clause standard est-elle adaptée aux situations « classiques » ?

« Mon conjoint ou partenaire de Pacs, à défaut mes enfants, nés ou à naître, vivants ou représentés, par parts égales entre eux, à défaut mes héritiers. »

Voici, à quelques mots et variantes près, la clause bénéficiaire standard des contrats d’assurance-vie. Certains assureurs préfèrent « l’assuré » au « je », d’autres omettent d’évoquer le Pacs, d’autres précisent « mon conjoint non séparé judiciairement », d’autres incluent le « concubin »… mais l’architecture de la clause type reste toujours la même.

Pourquoi cette formulation particulièrement large et anonyme ? « Elle a été rédigée de telle manière qu’elle répond à la préoccupation première des épargnants : la protection du conjoint », explique Stéphane Carlucci, directeur de l’ingénierie patrimoniale du courtier Linxea. « Ce n’est pas un standard juridique, mais les assureurs se sont adaptés aux préoccupations du plus grand nombre. » Surtout, cette rédaction « en cascade » permet de s’adapter au décès du conjoint avant celui de l’assuré : dans ce cas les bénéficiaires sont les enfants en vie, à parts égales, à défaut les petits-enfants, etc.

« La clause standard couvre la grande majorité des cas, l’objectif étant d’éviter que l’assurance-vie ne retombe dans la succession »

« La clause standard couvre la grande majorité des cas, l’objectif étant d’éviter que l’assurance-vie ne retombe dans la succession », confirme Anne Potiez, directrice juridique et fiscal chez Swiss Life France. En l’absence d’enfants, disparus avant l’assuré, le fait que cette clause standard finisse par « à défaut mes héritiers » ouvre une issue à l’assurance-vie, puisque le notaire doit dans tous les cas identifier les ayant-droits.

Sollicitée, la Fédération française de l’assurance (FFA) ne dispose pas de statistiques sur ce point mais, de fait, « environ 8 assurés sur 10 ont conservé la clause bénéficiaire standard », estime Anne Potiez, de Swiss Life France. Anne Potiez juge que trop peu d’épargnants prennent le temps d’adapter ou modifier cette clause, tout en reconnaissant que cette formulation générique correspond parfaitement aux cas communs : « La clause standard a évolué et elle prend en compte désormais le partenaire de Pacs ou concubin, ainsi que les enfants nés ou à naître. Ainsi, cette clause large permet de s’adapter à la situation familiale de l’assuré au moment du décès, et donc d’éviter les situations de déshérence. » Bref, si l’assuré n’a pas la volonté d’orienter particulièrement sa succession, cette clause type s’adapte bien aux situations familiales « classiques » et évolutives : un ou une célibataire dont le couple n’est pas encore installé, une jeune famille, un couple stable aux enfants plus âgés, etc.

Une clause standard sans le conjoint

A savoir : certains contrats d’assurance-vie prévoient la clause standard type, avec le conjoint en premier bénéficiaire, et une seconde clause générique qui vise directement les descendants : « à mes enfants nés ou à naître, vivants ou représentés, par parts égales entre eux, à défaut à mes héritiers ».

La clause standard peut aussi être légèrement adaptée. Stéphane Carlucci, de Linxea, conseille le démembrement : « Le conjoint survivant en usufruit et les enfants en nus propriétaires. Cela permet d’éviter que le capital du contrat du défunt alourdisse la succession du conjoint survivant. »

2 – Quand faut-il opter pour une clause personnalisée ?

Certains conseillers financiers jugent durement cette clause générique : « La clause standard, anonyme, ne permet pas d’avoir un résultat satisfaisant », coupe François Leneveu, président du directoire d’Altaprofits, courtier d’épargne en ligne. « Elle est imprécise et peut créer des tensions familiales ou extrafamiliales dès que l’on sort du cas commun. Nous proposons cette clause standard, bien entendu, mais notre formulaire en ligne est extrêmement dense en options : nous voulons englober le plus de cas possibles et encourageons les souscripteurs à se montrer très précis dans l’identification des bénéficiaires ainsi désignés. »

« L’essentiel est que les gens sachent ce qu’ils veulent », ajoute Anne Potiez, de Swiss Life France. « Dès que l’on sort de la rédaction par défaut, il faut être extrêmement précis et si possible se faire assister. Dans ce cas, il faut indiquer noms, prénoms mais aussi la date et le lieu de naissance qui permettent de distinguer les homonymes. » Stéphane Carlucci, de Linxea, conseille même de mentionner le numéro de Sécurité sociale, unique pour chaque personne de plus de 16 ans.

« Il faut éviter les chausse-trappes »

Car lorsqu'il se lance dans la personnalisation de la clause bénéficiaire, l’assuré court deux risques : d’une part une mauvaise identification (dans ce cas son contrat pourrait finir en déshérence – non réclamé - faute de bénéficiaire) ; d’autre part oublier de modifier la clause lorsque ses souhaits ou sa situation évoluent. « Il faut éviter les chausse-trappes : indiquer nommément son conjoint puis oublier de changer la clause lors d’une séparation, ou omettre d’indiquer ''enfants nés ou à naître'' », résume Anne Potiez. « La clause standard vise à éviter ces chausse-trappes. » Si vous adaptez cette clause, n’oubliez donc pas de conserver la logique de « cascade », par exemple : « Mme X, né le X, à X, résidant à X, à défaut ses enfants nés ou à naître, à défaut ses héritiers ».

« Lorsqu’il s’agit de s’adapter aux situations particulières, c’est un outil très puissant qui permet de réaliser du sur-mesure », affirme tout de même Thierry Claeys, conseiller en gestion de patrimoine du cabinet TCP Patrimoine. Elle peut notamment permettre de compenser une succession jugée peu satisfaisante par l’assurée dans le cas de familles recomposées. Cette clause peut en effet être détaillée à l’infini : vous pouvez décider par avance la part revenant à chaque bénéficiaire, en précisant le pourcentage du capital, même s’il faut veiller à ne pas agir de façon déraisonnable par rapport aux droits des héritiers.

3 – Quand et comment modifier cette clause ?

Bonne nouvelle : la clause bénéficiaire est modifiable à volonté ! « Pour modifier la clause, il suffit d’envoyer un courrier à l’assureur, qui vous fait parvenir un avenant à compléter et signer », souligne Anne Potiez, de Swiss Life. « Parfois cela peut se faire en ligne mais dans tous les cas cette procédure est sécurisée : tous les assureurs y portent énormément d’attention. Le plus important, c’est de penser à la modifier en cas de divorce, de naissance, de mariage des enfants, etc. Et toujours en se demandant : qui veux-je protéger en priorité ? »

« Le contenu de la clause est totalement confidentiel »

Pas d’inquiétude quant aux éventuelles jalousies : « Le contenu de la clause est totalement confidentiel, y compris ou moment du dénouement du contrat », rassure Anne Potiez, qui conseille de garder le silence de son vivant sur le contenu de cette clause. Elle conseille aussi de conserver une copie du dernier avenant modifiant la clause à son domicile, au cas où, voire chez le notaire dans le cas de gros patrimoines.

L’acceptation de la clause ? Rarissime et déconseillé

Un bénéficiaire peut « accepter » la clause avant le décès de l’assuré, ce qui se matérialise par un avenant tripartite avec l’assureur. Cette procédure a été réglementée voici un peu plus de 10 ans pour éviter les acceptations abusives. « L’acceptation existe encore, mais de façon marginale », affirme Anne Potiez, de Swiss Life. Même écho de la part de Stéphane Carlucci, de Linxea : « C’est rarissime ! » Et même déconseillé selon Anne Potiez : « Mis à part le cas de la banque utilisant l’assurance-vie en garantie d’un prêt, je ne conseille pas l’acceptation. » Qui risque surtout d’envenimer les relations.

Ce qu’il faut retenir

  • Si vous êtes dans une situation familiale « classique » ou si votre situation personnelle risque d’évoluer, privilégiez la clause standard. Sauf en cas de volonté bien spécifique quant au bénéfice de votre assurance-vie.
  • Si vous souhaitez adapter votre clause, réclamez l’aide de votre conseiller bancaire ou financier, et n’oubliez pas de prévoir une formulation en cascade : « untel, à défaut… ».
  • Si vous l’avez personnalisée, pensez à modifier votre clause bénéficiaire lors des évolutions familiales.

Plus d'infos sur la clause bénéficiaire de l'assurance-vie

(1) Exonération valable pour les versements effectués avant 70 ans. Plus de détails sur la fiscalité de l’assurance-vie en cas de décès.