Comme l’an passé, les assureurs ne se bousculent pas pour dégainer leurs taux de rémunération 2016. La saison des annonces de rendement va ainsi se concentrer sur le mois de janvier 2017. Pour des taux annoncés en forte baisse : certains acteurs n’hésitent plus à parler de diminution de 0,50 point, ou plus. Le point de vue de Cyrille Chartier-Kastler, fondateur du cabinet de conseil Facts & Figures.

Vous avez annoncé voici quelques mois un rendement moyen de 1,95% pour l’année 2016, contre 2,27% selon l’ACPR en 2015. Maintenez-vous votre prévision ?

Cyrille Chartier-Kastler : « La prévision du taux moyen est un exercice extrêmement difficile. Car il dépend beaucoup de la décision des plus gros acteurs que sont CNP, Prédica [groupe Crédit Agricole, NDLR], BNP Paribas Cardif, etc. En janvier, nous n’aurons que les rendements distribués au titre de l’année 2016 sur les principaux contrats, en cours de commercialisation. Il faut attendre les mois suivants pour savoir à quelle hauteur les vieux contrats, en run off [qui ne sont plus commercialisés, NDLR] seront rémunérés. Notre prévision, nous l’estimons en fonction de données macro-économiques mais il y a des éléments dépendant uniquement de l’arbitrage de l'assureur : il décide ainsi de charger plus ou moins fortement sa provision de participation aux bénéfices (PPB). Cette PPB a déjà fait un saut de 2,08% fin 2014 à 2,62% fin 2015 ! De notre point de vue, les fonds en euros devraient afficher une performance brute de 2,80% à 3,20% en 2016, hors frais de gestion et dotation de la PPB. Après, tout dépend donc de la part qu’ils souhaitent allouer à cette réserve. Dans ce contexte, je ne vois pas pourquoi revoir notre prévision. »

Mise à jour : un taux moyen de « 1,80% à 1,95% »

Début janvier, suite aux premières annonces de taux des assureurs, Cyrille Chartier-Kastler a finalement livré une « une fourchette de taux moyen pour 2016 entre 1,80% et 1,95% ». Interrogé par Les Echos en tant que fondateur du site prescripteur Good value for money, il émet l'hypothèse d'une demande de l'Autorité de contrôle prudentiel et de résolution (ACPR) d'abaisser des rendements servis d'au moins 0,50 point. « Le taux moyen pourrait être un peu inférieur » à la prévision initiale de 1,95%, a-t-il par la suite développé, au conditionnel, auprès de cBanque, « avec pour conséquence davantage d’alimentation de la PPB (ou une moindre réalisation de plus-values sur actions fin 2015) ».

L’an passé, pour les rendements 2015, une ligne de démarcation s’est dessinée à 2% avec les taux les plus faibles. Et cette année ?
« Certaines banques casseront la barre des 1% ! »

C-K. : « Je pense que certains assureurs membres d’un groupe bancaire casseront la barre des 1% ! Les fonds en euros des contrats qui ne sont plus commercialisés pourraient passer sous cette barre. Ou ceux des contrats sur lesquels les assureurs privilégient clairement les supports en unités de compte. Mais ce sera plutôt à la marge. »

Des fonds en euros classiques (1) rapportant plus de 3%, est-ce encore possible ?

C-K. : « Oui, les meilleurs rendements devraient dépasser les 3%. Il faut être réaliste : les actifs génèrent du rendement ! Oui, les obligations auxquelles souscrivent les assureurs actuellement sont peu rémunératrices mais les fonds en euros bénéficient des rémunérations des obligations souscrites plusieurs années auparavant. Ils ont des plus-values latentes (2). Et, là encore, la provision pour participation aux bénéfices (PPB) joue un rôle important : plus la PPB est richement dotée, plus l’assureur peut prendre des risques avec le portefeuille de son fonds en euros, et donc générer plus de rendement… Pour parler franchement, les assureurs gèrent bien leurs fonds en euros ! »

Donc les assureurs qui veulent afficher des taux de rémunération élevés, ils le peuvent ?
« Une fourchette de 2,30% à 2,60% pour l’assurance-vie patrimoniale »

C-K. : « Afin d’abaisser les taux servis pour l’année 2016, beaucoup d’assureurs vont devoir doter leur PPB… Donc je pense que l’on trouvera encore quelques acteurs à 3% et au-delà. Mais, bien entendu, la grosse masse des rendements se situera autour de 1,60% ou 1,70% pour les contrats standards, et sur une fourchette allant de 2,30% à 2,60% pour l’assurance-vie patrimoniale. »

Les acteurs qui dévoilent un taux « canon » dès le mois de novembre ou de décembre, pour attirer la lumière, c’est du passé ?

C-K. : « La situation est variable selon les assureurs. Je pense notamment à certaines mutuelles d’épargne qui ont une clientèle plutôt âgée, ce qui génère évidemment beaucoup de sorties. Dans leur cas, il n’y a pas de risque de dilution des actifs en cas de forte collecte. Ils peuvent donc encore mettre en avant des taux élevés. Après, concernant le calendrier, nous sommes toujours sur un poker menteur : je crois que les premières annonces devraient intervenir autour de la mi-décembre, et il faudra voir ce que décident les assureurs en termes de politique de bonus. Ces bonus de rendement leur permettent d’annoncer des taux élevés, mais avec des conditions d’encours et d’investissement en unités de compte. »

Certains assureurs ne cachent aujourd’hui plus un objectif de décollecte sur leurs fonds en euros…
La fin de la garantie à 100% ? Paradoxalement « plutôt dans le sens de l’épargnant »

C-K. : « Oui, et ce n’est pas totalement nouveau. Les normes européennes Solvabilité 2 poussent les assureurs à booster leur collecte en unités de compte, au détriment des fonds en euros, plus contraignants en termes de fonds propres. Mais ils se heurtent à la culture des Français, averses au risque. »

Dans votre dernier baromètre de l’épargne-vie, vous préconisiez de lancer des fonds en euros avec une garantie partielle en capital. Certains assureurs proposent désormais une garantie « brute de frais de gestion »…

C-K. : « Il s’agit là encore d’une conséquence de Solvabilité 2. En ne prenant plus en compte leurs frais de gestion dans le capital garanti, ils peuvent prendre plus de risque dans la gestion financière du fonds en euros, donc viser plus de rendement. Contrairement à ce que l’on pourrait croire, cette évolution va plutôt dans le sens de l’épargnant. »

Lire à ce propos : Vers la fin des fonds en euros garantis à 100%

Comment expliquez-vous que, pour la première fois depuis 3 ans, l’assurance-vie a enregistré une décollecte en octobre ? La conséquence de la polémique autour de la loi Sapin 2 ?

C-K. : « La loi Sapin 2, avec la potentielle restriction des retraits en cas de crise, a effectivement généré des peurs auprès de certains épargnants, en particulier dans les banques privées. Car ce serait probablement les plus gros contrats qui seraient bloqués. Mais ce n’est pas le seul élément d’explication : c’est aussi dû à la période de l’année, qui correspond au paiement des impôts. Il ne faut pas y voir uniquement une réaction à la loi Sapin 2, d’autant qu’il s’agit pour l’heure d’une petite décollecte. »

A propos de la loi Sapin 2 : Assurance-vie : jusqu'où iront les pouvoirs de Bercy

(1) Par « classiques » s’entendent les fonds en euros principaux des contrats multisupports. A la différence des fonds en euros dynamiques ou à dominante immobilière.

(2) Ventes potentielles que les assureurs n’ont pas encore concrétisées en conservant les actifs concernés dans leur fonds en euros.