Les épargnants pourront-ils bientôt comparer les commissions que touchent les courtiers sur leurs contrats d’assurance-vie ? C’est le sens de la directive assurances (DIA II) votée par le Parlement européen le mois dernier. Les distributeurs d'assurance-vie devront probablement afficher noir sur blanc les commissions que leurs reversent assureurs et sociétés de gestion. Explications.

88% du chiffre d’affaire des conseillers financiers est réalisé « par l’intermédiation sur les produits et les rétrocessions » selon une étude de Morningstar auprès de conseillers en investissement financiers (CIF) en 2014. Pour ces derniers, qui exercent en grande majorité comme conseillers en gestion de patrimoine (CGP), facturer le conseil en réclamant des honoraires ne permet de financer que 12% de leur activité. Et dans ce business model, l’assurance-vie a une place à part. « Pour la majorité des conseillers en gestion de patrimoine, les rétrocessions de l’assurance-vie représentent 70% à 80% des revenus », confirme David Charlet, président de l’association nationale des conseils financiers (Anacofi). Ainsi, tous les intermédiaires proposant de l’assurance-vie, qu’il s’agisse de CGP ou de courtiers web, sont au moins en partie rémunérés grâce à des commissions reversées par les sociétés de gestion gérant les supports en unités de compte (OCPVM, etc.), par l’assureur gérant le contrat d’assurance-vie, etc.

La chasse aux rétrocessions sur les produits financiers

« Le conflit d’intérêt des distributeurs a été considéré comme suffisamment patent pour qu’une meilleure explication de la rémunération soit jugée nécessaire », explique Isabelle Monin-Lafin, associée fondatrice d’Astrée avocats, cabinet spécialiste de l’intermédiation en assurance. L’Union européenne se penche de longue date sur ce dossier. Un texte a particulièrement fait peur aux conseillers financiers : MIF II, une directive qui vise à interdire les rétrocessions dans le cadre du conseil « indépendant ».

L’AMF, autorité de tutelle des CIF, a déjà intégré dans son règlement l’interdiction au conseiller se présentant comme indépendant de « percevoir autre chose que des rémunérations directement versées par son client pour la commercialisation de produits financiers », souligne Isabelle Monin-Lafin. « Raison pour laquelle les conseillers financiers se présentent de moins en moins en tant que conseiller en gestion de patrimoine indépendant (CGPI) [mais seulement en tant que CGP, NDLR]. » En cours de transposition en droit français, cette directive s’appliquera à compter de 2017. Mais la directive MIF II ne concerne que les produits financiers (OPCVM, actions, FCPI, etc.), pas l’assurance-vie.

Une directive assurance moins contraignante que prévu

Pour les produits d’assurance, et donc tous les fonds investis par le biais de l’assurance-vie, les rétro-commissions ne seront pas interdites. La directive européenne portant sur la distribution d’assurances, DIA II, réclame uniquement plus de transparence. Et contrairement à MIF II, elle n’obligera pas les courtiers ou autres distributeurs à dévoiler précisément leurs commissions, mais uniquement les « modalités » de rémunération : « Concrètement, pour 100 euros investis, ils ne devront pas indiquer qu’ils ont perçu 1 euro mais qu’ils touchent 1% des primes collectées », illustre l’avocate Isabelle Monin-Lafin. « Ces modalités devront être détaillées pour les rétrocessions sur les unités de compte ainsi que pour les commissions reversées au distributeur par l’assureur. »

Un moindre mal pour les courtiers et conseillers financiers, au regard de la plus contraignante directive MIF II : « Reste à connaître le contenu du texte complémentaire accompagnant cette directive [DIA II]. Mais je ne suis pas particulièrement inquiet », assure David Charlet, de l’Anacofi. Reste aussi à savoir quand cette directive sur la distribution d’assurance, approuvée en novembre par le Parlement européen, va entrer en vigueur en France. Elle « devrait être transposée plus rapidement en droit national que la précédente [théoriquement en 2017 ou 2018, NDLR] », affirme l’avocate Isabelle Monin-Lafin. Mais le président de l’Anacofi David Charlet, qui a participé aux discussions préparatoires, confie avoir des « doutes considérables » sur une entrée en vigueur rapide des mesures contenues dans la directive, tablant lui « plutôt sur 2019 ».

Des règles de transparence aujourd’hui peu respectées

En attendant, les distributeurs d’assurance-vie sont déjà censés faire preuve de transparence : ils doivent fournir un document d’entrée en relation « où [le conseiller] explique à ses clients comment il est rémunéré » depuis avril 2007, rappelle David Charlet. « Cette obligation n’est pas respectée par tous les acteurs, aussi bien en présentiel que dans le numérique : sur internet, ce document doit être téléchargé ou envoyé par email. Cette obligation est toutefois respectée par les adhérents à un syndicat comme l’Anacofi, qui les accompagne et les sanctionnerait en cas de manquement », affirme-t-il.

Isabelle Monin-Lafin, dont le cabinet conseille des conseillers financiers sur les aspects réglementaires, livre un jugement plus sévère : « A ce jour, seulement une très faible part des courtiers ou conseillers en investissement financiers appliquent cette transparence sur les commissions de l’assurance-vie. » Une transparence que le régulateur du secteur, l’ACPR, réclame, mais qu’elle « ne peut pas imposer », faute de loi, se contentant d'encourager les « bonnes pratiques ».

Des « bonnes pratiques » discrètes

Difficile de savoir comment ces conseillers présentent ces rétro-commissions à leurs clients. L’AMF n’a pas effectué de visites mystère chez ces acteurs, mais elle l’a fait dans les banques : ces tests montrent alors que dans « 1 cas sur 2, aucune information sur les frais n’a été communiquée ». Idem pour les banques privées, pourtant censées apporter un conseil plus détaillé et personnalisé.

Certains distributeurs se distinguent toutefois par leurs bonnes pratiques, en affichant ouvertement les commissions perçues grâce à l’assurance-vie. C’est le cas de Fortuneo qui précise les rétrocessions touchées par la banque en ligne « en sa qualité d'intermédiaire en assurances ». Des informations disponibles sur son site, sur les fiches propres à chaque fonds - la commission rétrocédée y apparaît en pourcentage -, ainsi que dans la brochure tarifaire. Etrangement, invitée à commenter sa démarche, Fortuneo se contente d’appuyer ce « choix de la transparence », qui fait « écho » à la directive DIA II, sans plus d’explications.

Les revenus des intermédiaires, un tabou

Communiquer sur les frais, et encore plus sur des frais « cachés », les intermédiaires préfèrent en faire l’économie. Dans un secteur où la règle est plutôt la « non-révélation des rémunérations », l’avocate Isabelle Monin-Lafin reconnaît qu’il n’y a « pas beaucoup de volonté, en France, pour mettre en place cette transparence ». Des freins qu’elle met sur le dos de la « culture française », où « il faut cacher ses revenus ! » Or, la transparence peut instaurer un cercle vertueux : « Les Anglo-Saxons trainaient les pieds sur la transparence, par crainte que les clients se mettent à négocier les commissions. Finalement, désormais appliquée, cette transparence leur permet surtout d’expliquer leur travail pour justifier leurs revenus », argue Isabelle Monin-Lafin.

Dans l’étude Morningstar, les conseillers financiers se disent toutefois favorables à une évolution de leur modèle de rémunération, avec plus d’honoraires et moins de rétrocessions. Mais ils renvoient la balle vers les autres, en espérant des campagnes de communication auprès des épargnants sur les bienfaits de l’indépendance, une évolution de la fiscalité des honoraires, etc. En attendant, le modèle reposant sur les commissions apparaît plus commode : « Les rétrocessions sont perçues comme indolores, le client n’ayant pas à débourser d’argent directement », souligne la société d’analyse financière Morningstar dans son étude, en ajoutant : « L’épargnant français a culturellement pris l’habitude de ne pas payer pour les services et analyses financières ». Autrement dit, de nombreux distributeurs d’assurance-vie attendront probablement l’entrée en vigueur de la récente directive européenne pour afficher très ouvertement leurs rétro-commissions.